Mesure de l'influence
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Pour chaque recommandation ministérielle, nous avons rangé les mémoires sous deux catégories selon leurs auteurs. La première catégorie comprend les positions de 17 associations professionnelles et de consommateurs, de lobbys et d’institutions non financières. La Chambre de la sécurité financière (CSF), Option consommateurs et l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) figurent dans cette catégorie. L’opinion de chaque association a le même poids que les autres associations de son échantillon. Dans les graphiques en page 8, ces opinions figurent dans le cercle extérieur.

La seconde catégorie comprend les opinions exprimées par la dizaine de cabinets de l’industrie auxquels des représentants membres assujettis à la CSF sont liés. Cette fois, Finance et Investissement a attribué un poids à chaque opinion exprimée en fonction du nombre de conseillers que ce cabinet représente. Près de 14 000 représentants inscrits à la CSF sont inclus dans cette analyse, soit près de la moitié des 32 000 membres de la CSF.

Dans les graphiques ci-contre, leurs opinions figurent dans le cercle intérieur.

Notons que le Mouvement Desjardins, fort de ses 7 787 représentants, pèse lourd dans la balance, son opinion représentant à elle seule celle de plus de la moitié de l’industrie. Industrielle Alliance (iA) suit, avec quelque 2 300 représentants, puis la Banque Royale (RBC) (1 769 représentants), suivi de Groupe Investors (1 025). Le poids de l’opinion des plus petites sociétés telles que Mérici Services Financiers (50) et Planifax (8) se trouve nécessairement dilué, mais cette opinion n’en est pas moins pertinente.

Différents encadrements

Le débat sur l’encadrement réglementaire des représentants au Québec est un bon exemple de la divergence d’opinions entre les associations et les cabinets, et permet de clarifier une situation dans laquelle les acteurs importants sont du même avis, ce qui donne l’impression d’un consensus fort parmi les cabinets.

En effet, Desjardins, RBC, Groupe Investors, iA et Quadrus sont tous partisans d’une reconnaissance de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) en tant que régulateur québécois en épargne collective. Ils représentent à eux seuls plus de 80 % de l’échantillon (le cercle intérieur du graphique). Si cette position devait être adoptée, ils recommandent tous néanmoins des aménagements sur le plan de la gouvernance de l’organisation afin de tenir compte des spécificités québécoises, notamment en matière de services en français.

Le Mouvement Desjardins nuance cependant sa position. Même s’il se dit un «ardent promoteur du guichet unique», il recommande tout de même à l’Autorité des marchés financiers (AMF) «la reconnaissance d’un organisme d’autoréglementation pancanadien au Québec comme l’ACCFM.»

Le maintien de la structure actuelle, où la CSF encadre les représentants, et l’AMF, les cabinets, ne rallie que 1 % de l’industrie, surtout des petits cabinets. Cependant, le statu quo obtient la faveur de 29 % des associations (le cercle extérieur du graphique). C’est le cas notamment d’Option consommateurs, qui dit douter du fait que le «double encadrement» est un problème réel. Le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF) souhaite aussi le maintien de la CSF, tout en recommandant la poursuite des «travaux d’harmonisation entre les règles de l’ACCFM et [les règles] québécoises.»

Les associations qui se disent favorables à d’«autres aménagements» ne sont pas non plus vendues à l’idée de la reconnaissance de l’ACCFM au Québec. L’Ordre des administrateurs agréés du Québec (ADMA) privilégie l’idée que l’industrie soit réglementée par un seul régulateur, mais ne spécifie pas lequel. L’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) préconise pour sa part la création d’un ordre professionnel pour tous les conseillers.

L’Institut québécois de planification financière (IQPF) prône également la création d’un ordre, mais seulement pour encadrer les planificateurs financiers. Toutefois, son mémoire a été mis de côté dans cette analyse, étant donné que l’IQPF ne prend pas position directement sur aucune des recommandations du rapport sur la LDPSF.

Polarisante vente en ligne

Le rapport sur la LDPSF propose aussi de mettre en place un «cadre législatif souple qui permettra aux assureurs d’offrir leurs produits par Internet.» Cette offre se ferait sans l’intervention obligatoire d’un représentant.

À ce sujet, la différence des opinions entre les cabinets et les associations est frappante. Alors que 80 % de l’industrie est favorable à cet assouplissement, 35 % des associations seulement le sont. Une fois de plus, les grands cabinets et leurs lobbys y sont généralement favorables, alors que les petits cabinets et les associations de représentant y sont défavorables.

Cela dit, des nuances doivent être apportées. Si Desjardins ne contient pas son enthousiasme à l’idée du commerce d’assurance en ligne, d’autres se montrent plus prudents. Desjardins croit aussi que l’intérêt des entreprises en ce qui concerne la satisfaction de leurs clients devrait suffire pour assurer le bon fonctionnement de la vente sur Internet. «Quel que soit le canal de distribution, l’assureur n’a aucun avantage à se retrouver avec des clients qui détiennent des produits d’assurance mal adaptés à leurs besoins», peut-on lire dans le mémoire de la coopérative.

Pour sa part, iA se dit en faveur de la mesure, mais insiste pour qu’on rappelle au client l’utilité des conseils d’un représentant, et ajoute «qu’en tout temps, la possibilité de négocier par l’intermédiaire d’un représentant leur soit offerte.» Groupe Investors est en faveur de la vente sur Internet, mais considère que certains produits «plus complexes» devraient en être exclus.

La vente sur Internet semble inévitable pour de nombreux intervenants, qui se résignent à n’offrir que des mises en garde. Mérici, qui est plutôt défavorable à la mesure, affirme dans son mémoire que les écueils sont multiples. «Le législateur devrait être extrêmement prudent avant de permettre la vente de produits d’assurance-vie par Internet», prévient le cabinet.

Quant aux associations qui se prononcent sur le sujet, la division est parfaite : six sont pour (35 %) et six contre. Les opposants restent plus tranchés. «Un membre de la CSF devrait intervenir dans tous les cas d’offres de produits et services financiers, et ce, quel que soit le mode de communication retenu par le consommateur», croit la CSF.

Débat sur le fonds

L’avis exprimé à propos de l’encadrement réglementaire du représentant vient évidemment teinter l’opinion des intervenants quant à l’avenir du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF). Le rapport ministériel sur la LDPSF propose que ce fonds puisse indemniser les clients «même si la réclamation concerne la vente de produits que le représentant n’était pas autorisé à offrir.»

Peu de cabinets accueillent cette proposition favorablement (13 %), la majorité d’entre eux (69 %) lui préférant l’adoption de la Corporation de protection des investisseurs (CPI), le fonds d’indemnisation de l’ACCFM, qui découlerait de sa reconnaissance en tant qu’organisme d’autoréglementation (OAR) au Québec.

L’élargissement des critères d’admissibilité rallie néanmoins une pluralité d’associations (35 %), dont Option consommateurs, FAIR Canada et la CSF.

Le statu quo reste par ailleurs une option relativement populaire, et obtient l’appui de 17 % des cabinets et de 29 % des associations. Ceux qui sont en faveur du maintien des règles actuelles d’indemnisation considèrent qu’un élargissement des critères viendrait «déresponsabiliser» les consommateurs. Le Mouvement Desjardins, qui favorise par ailleurs l’adoption de la CPI, croit que cette déresponsabilisation «risque de faire augmenter les cas de fraudes, et par conséquent, les coûts d’indemnisation.»

DSR dénoncée

Afin de pallier les «lacunes du régime» de la distribution sans représentant (DSR), le ministère suggère de «confirmer le rôle des distributeurs à titre de mandataires de l’assureur.» Cette suggestion a mené à de nombreuses propositions de la part des cabinets et des associations.

La plupart des intervenants présentent cependant des aménagements différents de la formule des mandataires. Toutefois, le Mouvement Desjardins est favorable à la mesure. Mérici et Promutuel sont aussi d’accord, ce qui résulte en un pourcentage de 57 % en faveur de cette formule.

Une fois de plus, les opinions exprimées ne sont pas aussi catégoriques que le graphique ci-contre pourrait le laisser croire. Les discussions sur la proposition servent en effet souvent de tremplin aux intervenants pour dénoncer la DSR.

Par exemple, Mérici affirme dans son mémoire que la responsabilisation des assureurs (par l’intermédiaire d’un régime de mandataires) est un «bon départ», mais ajoute que le législateur devrait se demander si la DSR a «vraiment sa place au Québec». Le CDPSF et l’APCSF préféreraient quant à eux voir la DSR disparaître au profit de la vente par des représentants certifiés.

L’idée de faire des distributeurs des mandataires des sociétés d’assurance ne reçoit l’appui que d’une association (6 %), soit Option consommateurs. Plusieurs associations et lobbys souhaiteraient que d’autres aménagements réglementaires soient mis en place. La CSF voudrait plutôt que les distributeurs soient tenus d’obtenir un «permis restreint», tandis que l’Association des banquiers canadiens (ABC) réclame une supervision accrue des distributeurs.

Rien n’est joué

Si Québec entend réellement adopter les recommandations du rapport sur la LDPSF, il aura, pour nombre d’entre elles, des alliés parmi les grands cabinets et leurs lobbys. Toutefois, force est de constater que ces propositions ne pourront être adoptées sans une autre ronde de discussions, cette fois sous forme d’audiences publiques ou autrement, comme le demandent entre autres le CDPSF et la CSF.

Même si la vente d’assurance sans représentant sur Internet semble recevoir beaucoup d’appuis, tant dans l’industrie que dans les associations, notons que ces dernières n’avaient pas un poids représentatif du nombre de leurs membres dans notre analyse. Du fait que le CDPSF et l’APCSF s’opposent à la mesure, il se peut qu’elle ne soit pas adoptée sans heurt.

La recommandation de faire des distributeurs les mandataires des sociétés d’assurance reçoit aussi un accueil partagé, tant de la part des associations (7 % en faveur) que de celle de l’industrie (57 %), même si la mesure a la faveur du Mouvement Desjardins. L’ACCAP se prononce contre la proposition, et nombre d’autres lobbys proposent des aménagements différents.

Le cas de l’encadrement des représentants est également compliqué pour Québec. Un pourcentage important des intervenants se disent en faveur d’une rationalisation de la réglementation et de la fin du «double encadrement», mais un gouvernement qui défend bec et ongle l’AMF à titre de régulateur multidisciplinaire voudra-t-il en fin de compte sectoriser l’encadrement et l’indemnisation par discipline ? Rien n’est moins sûr.

Ainsi, rien ne semble joué, d’autant plus qu’au-delà des divergences d’opinions, de nombreux intervenants critiquent le processus de consultation lui-même, et suggèrent au ministère ni plus ni moins de refaire son travail en étoffant davantage son rapport.

Raymonde Crête et Cynthia Duclos, de l’Université Laval, déplorent le fait que le ministère n’ait pas procédé à une analyse rigoureuse des «coûts directs et indirects» de la réglementation, et critiquent vertement la méthodologie «préoccupante» du ministère.

Méthodologie

Pour réaliser ces graphiques, Finance et Investissement a consulté les 333 mémoires rendus publics par le ministère des Finances au début d’octobre. De ce nombre, 160 (48 %) ont été retirés de l’analyse, puisqu’ils étaient exclusivement liés à des questions touchant des experts en sinistres. Huit autres mémoires ont été exclus, soit parce qu’ils ne portaient pas sur les questions traitées dans le rapport, soit parce que les entreprises n’employaient pas de représentants inscrits à la CSF.

Parmi les intervenants, 21 personnes ont écrit au ministère pour appuyer le mémoire du CDPSF, et 12 autres ont aussi envoyé diverses lettres. Tous ont été inclus dans l’analyse.

Dix-sept mémoires issus d’associations professionnelles ou de regroupements de consommateurs ont été analysés, ainsi que les mémoires de huit sociétés. Sept individus ont aussi tenu à produire un mémoire pour commenter le rapport, et 102 personnes – pour la plupart des conseillers de Mica Services Financiers – ont envoyé la même lettre type.

Nous reconnaissons que l’opinion d’un cabinet ne représente pas nécessairement celle de l’ensemble des conseillers qu’il chapeaute.