Un groupe d’agents généraux s’est réuni en septembre, à l’initiative du Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF), puis a fait part de ses craintes aux médias. (Voir le texte en page 8)

Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la Chambre de la sécurité financière (CSF), a publié un dossier spécial de six pages dans la dernière édition du magazine Sécurité financière, destiné aux 32 000 conseillers assujettis à la CSF. Elle invitait, à cette occasion, Québec à tenir des audiences publiques sur les recommandations du rapport (voir le texte en une).

Évidemment, la quasi-totalité des groupes concernés ont déposé un mémoire auprès du ministère des Finances.

Cependant, en coulisse, certains emploient ou envisagent d’utiliser d’autres stratégies, a appris Finance et Investissement. Rencontre avec des membres du ministère des Finances, lobbying auprès de ce même ministère, approche des députés de l’opposition : tous les moyens seront bons pour convaincre Carlos Leitão, le ministre des Finances du Québec, ou pour s’imposer par la force des choses dans son agenda.

Par exemple, le 22 juin, le Mouvement Desjardins a inscrit un mandat au registre des lobbyistes selon lequel la modernisation de la LDPSF devrait «tenir compte de l’accroissement du commerce électronique et du double encadrement auquel les représentants sont actuellement assujettis», lit-on dans le mandat dont l’échéance provisoire est la fin de 2015.

Ce mandat arrive après celui lancé en septembre 2014 par la Corporation des assureurs directs de dommages du Québec (CDADD), qui prône l’adoption d’un cadre législatif et réglementaire souple «pour la vente d’assurance via Internet».

Une question de poids ?

Dans sa révision de la LDPSF, le ministre des Finances devrait avoir comme première valeur «l’intérêt du public et la protection des consommateurs», estime Bernard Landry, ancien ministre des Finances du Québec et auteur de la LDPSF, qui a été adoptée en 1998.

«Il veut s’assurer que la concurrence favorise le consommateur, et non pas quelque groupe que ce soit, poursuit-il. Le ministre, son devoir, c’est d’écouter et d’agir.»

Bien qu’il soit difficile de savoir qui aura le plus d’influence sur le ministre, certains acteurs de l’industrie pourraient peser plus lourd dans la décision de Québec.

À la fin de 2014, le Mouvement Desjardins travaillait avec 7 787 représentants en épargne collective et 545 représentants en assurance de personnes, qui versaient une cotisation cumulative de 2,37 M$ à la CSF, selon André Chapleau, conseiller à la direction principale, Relations publiques, chez Desjardins.

À lui seul, le Mouvement Desjardins couvre 24,2 % de l’ensemble des cotisations perçues par la CSF en 2014.

En ajoutant à ces cotisations les 1,48 M$ versés à l’Autorité des marchés financiers (AMF) et les 1,33 M$ remis au Fonds d’indemnisation des services financiers, Desjardins trouve que la facture totale, de plus de 5 M$, est salée. «C’est de l’argent !» souligne André Chapleau.

Pas étonnant que Desjardins recommande que l’AMF absorbe la CSF, la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et l’Institut québécois de planification financière (IQPF). L’opération lui ferait économiser 1,7 M$ par an en transposant ses activités d’épargne collective dans le cadre réglementaire des autres provinces.

Si on ajoute à l’équation les quelque 2 800 représentants liés à la Banque Nationale assujettis à la CSF, selon Jean-François Cadieux, directeur aux affaires publiques de l’institution, on se rend compte qu’à elles seules, les deux institutions représentent le tiers des représentants inscrits, et qu’elles assument aussi le tiers des cotisations à la CSF. La Banque Nationale n’a pas souhaité commenter ni déposer de mémoire.

En additionnant les 4 177 représentants en assurance de personnes et assurance collective rattachés à un assureur inscrit à titre de cabinet, on se rend compte que 15 300 conseillers sont majoritairement représentés par des institutions favorables à plusieurs recommandations du rapport.

Selon le rapport, on compte 3 977 représentants autonomes, dont 2 748 en assurance de personnes, 750 en assurance collective et 368 planificateurs financiers.

Organisation nécessaire

Pour mettre toutes les chances de leur côté, les opposants à l’adoption de certaines recommandations du rapport devront s’organiser, selon Raymond Hudon, professeur retraité de l’Université Laval et spécialiste des pratiques d’influence et du lobbying.

Il cible des ingrédients qui ont permis à différents groupes de faire changer d’avis le gouvernement dans le passé : un bon dossier, un message bien contrôlé, sans contradiction entre ce qui est dit au public et ce qui est dit au gouvernement. Raymond Hudon ajoute à la formule un porte-parole commun qui a l’appui de tous, quel que soit leur tempérament : «Les gros ego, c’est la meilleure manière de se planter».

Selon Raymond Hudon, il est aussi capital de sensibiliser le grand public au risque qu’il encoure si les recommandations étaient adoptées : «La seule stratégie, d’après ce que je vois, ça serait de démonstrer que beaucoup de personnes seraient touchées s’il y avait un dérapage».

«Si les clients ne sont pas sensibilisés à cela, le ministre et les députés ne bougeront pas beaucoup», dit le professeur. Il ajoute que d’inonder quelqu’un de courriels ou de publier des communiqués de presse à répétition n’a pas d’impact sans l’appui d’une mobilisation populaire.

Selon Michel Nadeau, les opposants devraient aussi sensibiliser leurs élus locaux. «Si [ces derniers] sont convaincus que ce n’est pas bon, ils feront pression sur le ministre pour lui dire que leurs électeurs ne sont pas très chauds», dit le directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).

«La meilleure façon d’amorcer le débat est de démontrer pourquoi la loi ne va pas dans l’intérêt du consommateur, poursuit-il, soulignant que cette tâche revient aux intermédiaires. Mais il y a une forte côte à remonter, parce que le gouvernement va dire : « Laissons le consommateur choisir »».

Selon Michel Nadeau, certains clients sont peut-être prêts à prendre le risque d’acheter de l’assurance sur Internet sans conseiller.

24,2 %

À lui seul, le Mouvement Desjardins couvre 24,2 % de l’ensemble des cotisations perçues par la CSF en 2014.