Conflits d'intérêts: des pratiques douteuses existent toujours
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En 1998, j’ai rédigé le commentaire de la brochure de l’Institut des fonds d’investissement du Canada sur la Norme canadienne 81-105 : les pratiques commerciales des organismes de placement collectifs et l’instruction complémentaire qui l’accompagnait. Cette norme canadienne règlemente les pratiques de vente et de commerce auxquelles doivent adhérer les sociétés de fonds communs, les courtiers et les vendeurs. L’instruction complémentaire fournissait certaines consignes sur l’interprétation des règles faite par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières.  

La NC 81-105 a été créée en raison de pratiques de vente et de modes de rémunération qui mettaient les intérêts des vendeurs au-dessus de ceux des clients, ou, comme l’indiquait le règlement : « qui ont conduit à se demander si les courtiers participants et leurs préposés plaçaient les titres d’O.P.C. en fonction des mesures incitatives dont ils bénéficiaient plutôt qu’en fonction de la situation et des intérêts de leurs clients. »

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Parmi les pratiques les plus scandaleuses, des voyages dans des lieux exotiques étaient payés par les sociétés de fonds communs aux vendeurs qui avaient vendu leurs produits à concurrence d’un certain montant. En général, les sociétés de fonds travaillaient directement avec les vendeurs plutôt que les firmes de courtage. De nombreux représentants en fonds communs se considéraient comme des entrepreneurs indépendants qui pouvaient faire ce qu’ils voulaient alors qu’en réalité, c’étaient des employés d’une maison de courtage de fonds communs qui se portait garante de leur comportement.

Il y a eu des cas mettant en jeu une société de fonds communs qui travaillait avec un courtier en placements spécifique plutôt qu’avec les vendeurs. Dans ces cas-là, la société de fonds fournissait un programme spécifiquement à l’intention des représentants de cette firme de courtage. De plus, les courtiers en valeurs mobilières qui vendaient des fonds communs s’attendaient souvent à recevoir (et recevaient) des commissions de ventes selon un barème basé sur les volumes vendus, pratique à laquelle la NC 81-105 a mis un terme.

Les règes ont été appliquées autant aux sociétés de fonds, aux distributeurs et aux représentants. Les commissions de ventes et les commissions de suivi sont autorisées. Les taux des commissions ne peuvent pas s’accroître en fonction du volume vendu ou de la base d’actifs, et aucune prime de vente saisonnière n’est permise. Les courtiers ne peuvent pas adopter des taux de versement différents selon les représentants des ventes concernés pour favoriser un groupe par rapport à un autre. Et si les sociétés de fonds peuvent encore tenir des conférences éducatives, le courtier doit décider lesquels de ses employés y participeront, et les sociétés de fonds se sont vu interdire de payer des indemnités de voyage et de logement. J’ai indiqué dans mon commentaire de 1998 qu’il ne fallait pas essayer de faire le malin pour tenter de contourner le règlement. Par exemple, une société de fonds ne peut pas surpayer un imprimeur ou une société de relations publiques en s’attendant à ce que l’excédent serve à faire une fleur à certains courtiers.

Nous voici de nouveau, près de 20 ans plus tard, et à la mi-septembre l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels a publié le bulletin 0705-C sur la révision des rémunérations, mesures incitatives et conflits d’intérêts.

L’ACCFM a trouvé des pratiques de rémunération et d’incitation qui avaient le potentiel d’affecter le comportement des représentants. Un petit nombre d’entre eux avaient des barèmes de rémunération qui, selon l’ACCFM, n’étaient pas conformes à la NC 81-105. Plus précisément, elle a trouvé des membres qui favorisaient des fonds maison ou des fonds d’une certaine famille par rapport à d’autres fonds. Dans un cas, un courtier avait payé des commissions supplémentaires sur les ventes de l’année précédente, mais seulement pour les fonds de deux compagnies spécifiques. Il avait conclu un accord du même style relativement à l’achat du carnet d’affaires d’un représentant qui prenait sa retraite.

Le document de l’ACCFM précise : « Ces dossiers ont été référés à notre service d’application. Tous nos membres ont bien réagi à nos conclusions et ont pris les mesures qui s’imposaient pour modifier leurs barèmes de rémunération et éliminer les mesures incitatives favorisant les produits maison. »

Je suis sûr que les investisseurs qui lisent ces lignes vont mieux dormir ce soir, et je suis impatient de voir, à une date ultérieure, qui sont ces courtiers de fonds mutuels et les détails des accords qu’ils avaient avec les sociétés de fonds concernées, dont j’espère qu’elles seront nommées. Je ne peux pas prédire quelles seront les pénalités appliquées pour ces comportements, mais je soupçonne qu’au minimum un des cabinets d’avocats spécialisés dans les recours collectifs va jeter un œil attentif sur ce qui sera dévoilé.

L’ACCFM a aussi trouvé des barèmes de rémunération qui procuraient des incitations supplémentaires aux représentants qui recommandaient des fonds vendus avec frais d’acquisition différés qui, à son avis « accroissaient le risque de ventes inadaptées et de conseils inopportuns ».

Elle a donné deux exemples : Une firme payait à certains représentants à peine 10 % des commissions de suivi sur les comptes clients, alors que les commissions sur les nouvelles ventes de fonds avec frais d’acquisition différés étaient versées au représentant à des taux entre 40 % et 75 %.

Un autre exemple était celui d’une firme qui payait des primes à la commission de 10 % pour des ventes dépassant 500 000 $ de fonds à frais d’acquisition différés ou réduits, et des primes de production additionnelles pour chaque vente de fonds aux frais d’acquisition différés ou réduits dépassant 1 million de dollars (M$).

À mon avis, en tant que personne qui a une certaine expérience de la conformité dans l’industrie des fonds, ces mesures incitatives représentaient un conflit d’intérêts avec le client et transgressaient la NC 81-105. Je suis sûr que certains investisseurs qui ont acheté ces fonds s’attendraient à ce que le courtier leur offre une compensation pour tous frais additionnels qu’ils ont encourus à suivre les directives de leur conseiller.

L’ACCFM est également préoccupée par les incitations financières versées aux courtiers de fonds mutuels qui sont aussi agréés pour vendre des produits du marché dispensé, même si la NC 81-105 ne s’applique qu’aux fonds communs de placement. Ce qui est ici préoccupant, c’est que les émetteurs de produits dispensés versent des rémunérations à des taux souvent bien plus élevés que ceux qui sont payés pour les fonds communs. « De plus, dans bien des cas, les types de rémunération ou les avantages que reçoivent les courtiers en provenance d’autres produits de placement ou en raison d’accord de recommandation sont les types de rémunération ou d’avantages interdits par la Norme canadienne 81-105 pour les fonds communs. » La suggestion que je ferais à l’ACCFM est de simplement interdire à ses membres de conclure des accords de rémunération qui seraient interdits pour un fonds commun.

L’auteur de cet article est Président de Steven G. Kelman & Associates Limited.