Reconnaissance de l'ACCFM au Québec : pas de majorité claire
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Dans le cadre de son pointage des régulateurs, Finance et Investissement a demandé à 124 responsables en conformité, dirigeants et directeurs de succursale s’ils étaient favorables à ce que le gouvernement reconnaisse l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) comme seul régulateur des représentants et des firmes de courtage en épargne collective au Québec.

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Les résultats montrent une industrie profondément divisée sur la question. Globalement, les «favorables» l’emportent avec une mince majorité (51 %), tandis que 33 % des répondants sont contre et que 16 % n’ont pas d’opinions sur le sujet.

Le graphique montre que les répondants en épargne collective (plus petit cercle intérieur) sont les plus polarisés sur la question, alors qu’une faible majorité est favorable à la reconnaissance de l’ACCFM au Québec. Les répondants en assurance sont les plus favorables, mais présentent une importante proportion d’indécis, à l’instar des personnes en plein exercice interrogées.

Bon nombre des répondants favorables au changement de régulateur évoquent l’argument de la simplicité. «Ça simplifierait le processus pour les intervenants qui travaillent non seulement au Québec, mais aussi dans les autres provinces», affirme un répondant.

Un autre considère aussi qu’il serait «moins compliqué» de travailler avec un seul régulateur. «C’est un dédoublement, une forme d’injustice, de laisser-aller», juge un troisième.

Yvan-Pierre Grimard, directeur aux relations gouvernementales, Québec, au Mouvement Desjardins, partage totalement ces opinions. «Essentiellement, ça nous permettrait d’avoir à appliquer un seul livre de règlements pour l’ensemble de nos activités canadiennes», affirme-t-il en entrevue.

Selon Yvan-Pierre Grimard, la simplification concerne aussi le type de réglementation qui est appliqué par l’ACCFM. Cette dernière fait respecter une réglementation «prescriptive», tandis que l’Autorité des marchés financiers (AMF) impose une réglementation basée sur des principes. Même si cette dernière est en général considérée plus flexible, elle peut créer de l’incertitude quant aux attentes du régulateur.

«La réglementation prescriptive, c’est un peu comme une recette. Une série d’éléments doivent être remplis et qui vous permettent d’assurer votre con-formité. Cette formule est facile à appliquer», explique Yvan-Pierre Grimard.

D’ailleurs, depuis plusieurs années, certains répondants au sondage du Pointage des régulateurs se plaignent du flou réglementaire entraîné par la réglementation par principe.

«Il est très difficile d’avoir des réponses claires à l’AMF. On répond toujours à nos questions par de grands principes et on découvre lors des inspections si tout est correct. À l’ACCFM, on nous répond pratiquement dans la même journée!» indique un répondant interrogé au début de 2016.

Plus (ou moins) cher

Du côté des opposants à la reconnaissance de l’ACCFM au Québec interrogés, on déplore la faiblesse de l’encadrement de cet organisme et la rigidité des normes prescriptives.

Ceci rejoint la position défendue par Mérici Services Financiers dans un mémoire remis au ministère des Finances du Québec dans le cadre de la révision de la Loi sur la distribution des produits et services financiers. Son chef de la conformité, Maxime Gauthier, dénonçait que l’approche réglementaire de l’ACCFM soit prescriptive, et que pour un cabinet de petite taille, elle soit «lourde à opérer» et risque de «tuer l’innovation».

Ce sont cependant les coûts supplémentaires impliqués par le passage à l’ACCFM qu’évoquent le plus de «défavorables». Un répondant craint que les mêmes frais s’appliqueraient aux grandes firmes comme aux petites firmes. Deux autres soulignent aussi que l’inscription à l’ACCFM est désavantageuse pour les petites firmes, à cause d’un coût plus élevé.

Pour Yvan Morin, avocat, vice-président aux affaires juridiques et chef de conformité chez Mica Services financiers, c’est aussi une évidence que le passage à l’ACCFM implique un fardeau supplémentaire pour les petites firmes comme Mica, qui ne font affaire qu’au Québec.

«Les grandes firmes ont déjà l’habitude de payer [à l’ACCFM]. Elles doivent seulement en rajouter une couche pour les actifs du Québec. Pour les courtiers d’envergure plus modeste, l’imposition d’une charge financière supplémentaire, c’est peut-être la différence entre conserver ces entreprises ou qu’elles disparaissent», s’inquiète Yvan Morin.

Advenant un tel changement, Yvan Morin prédit un «mouvement de consolidation» et une baisse de la concurrence sur le marché. «Est-ce que c’est vraiment dans l’intérêt des consommateurs qu’il y ait moins de concurrence ?», demande-t-il.

Le problème des coûts supplémentaires serait lié à la manière dont se finance l’organisme canadien, comparativement à l’AMF ou à la Chambre de la sécurité financière. Cette dernière impose des frais par représentant, tandis que l’ACCFM calcule le coût d’une adhésion en fonction de l’actif sous gestion d’une firme.

Yvan Morin rappelle aussi qu’il faut considérer d’autres coûts indirects. «L’ajustement à de nouvelles procédures signifie des ressources, du temps, et donc, de l’argent», indique-t-il.

Yvan-Pierre Grimard offre un point de vue tout à fait opposé. «Nous considérons que les coûts seraient réduits», plaide-t-il. Il cite l’exemple de la cotisation au fonds d’indemnisation qui, au Québec, est aussi facturée selon le nombre de représentants, alors que le pendant canadien est financé en fonction des actifs. Avec quelque 8 000 représentants, le Mouvement Desjardins préfère nettement la formule de l’ACCFM, qui serait moins onéreuse pour la coopérative selon ses calculs.

Si ce n’est pas brisé…

De son côté, Yvan Morin n’est pas convaincu qu’une réglementation prescriptive soit si avantageuse. Même s’il n’a pas d’expérience directe avec l’ACCFM, il a entendu dire que l’organisme peut parfois être «intransigeant». «Ils n’ont pas peur de mettre le pied à terre et le poing sur la table», dit-il.

Selon lui, l’AMF est relativement plus flexible. «Il arrive, quand la réglementation n’est pas claire, qu’on ajuste certaines choses pour accommoder un modèle d’affaires. Ce n’est pas le buffet à volonté, mais on peut débattre de certains points», explique-t-il.

Yvan-Pierre Grimard considère pour sa part que «le système canadien a quand même bien « livré » et s’est montré prompt à corriger sa réglementation si nécessaire.»

Sur le fond, Yvan Morin ne peut s’empêcher d’être perplexe devant ce qu’il juge un comportement contradictoire du gouvernement du Québec. Alors que les gouvernements québécois ont toujours défendu la compétence provinciale en matière de valeurs mobilières, il s’étonne qu’on soit maintenant prêt à s’en remettre à un régulateur unique pancanadien dans le domaine de l’épargne collective. «On semble avoir un double discours», dit-il.

Le projet est d’autant plus étonnant, selon Yvan Morin, qu’ailleurs au Canada, comme en Ontario, certains envisagent d’adopter un modèle semblable à celui du Québec, en matière d’encadrement des représentants en assurance de personnes. «Bien que perfectible, le modèle actuel n’est pas si mauvais que ça. En fait, il est si peu mauvais que dans le reste du Canada, on parle d’adopter un modèle comme celui du Québec. Comme on dit : If it ain’t broke, don’t fix it!»