Malgré la popularité des FNB au bêta stratégique (ou peut-être à cause d’elle), voici ce qu’en dit John Bogle, figure légendaire de l’industrie des fonds de placement et fondateur de Vanguard :

« Le bêta intelligent est une idée stupide, ça n’existe tout simplement pas. Ça ne tient pas debout. Pour citer Shakespeare : « C’est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. » (Cité dans un article de 2015 du magazine « Institutional Investor ».) 

Bien qu’une dose de scepticisme aussi forte ne soit peut-être pas de mise, cela nous rappelle que nous ne devrions jamais tenir les produits de placement comme acquis. Quand nous envisageons un placement dans un FNB au bêta stratégique, nous devrions en particulier examiner avec soin les questions suivantes :

Acceptez-vous la prémisse de la stratégie en question?

Les concepts qui sous-tendent l’approche du bêta stratégique reposent sur deux grandes idées. La première est la notion de placement factoriel, dans lequel un portefeuille penche vers une participation à un ou plusieurs facteurs qui ont historiquement produit des rendements supérieurs à ceux du marché sur de longues périodes.

Pour les portefeuilles d’actions, ces facteurs comprennent la valeur (les placements bon marché surclassent les placements chers), la taille (les petites actions surclassent les grandes), l’élan (les gagnants récents surclassent les perdants récents), la liquidité et la volatilité (une faible volatilité surclasse une volatilité élevée).

L’autre grande idée est d’utiliser des pondérations qui ne se fondent pas sur la valeur boursière, mais plus particulièrement sur les données fondamentales des compagnies, comme les présentent Rob Arnott et sa firme Research Affiliates.

De nombreuses approches axées sur le bêta stratégique incorporent à la fois le placement factoriel et des schémas de pondérations qui ne se fondent pas sur la valeur boursière. ( La définition du bêta stratégique de Morningstar comprend des approches à tendance factorielle qui utilisent des pondérations axées sur la valeur boursière).

On parle beaucoup des raisons pour lesquelles le penchant pour certains facteurs a produit un rendement supérieur par rapport au portefeuille du marché. Certains partisans de l’hypothèse de l’efficience du marché prétendent qu’une prime liée à un facteur particulier représente une récompense pour avoir pris un certain risque. Dans le camp adverse, certaines théories comportementales considèrent que les primes factorielles sont le fruit d’un comportement irrationnel dans le placement.

Quelle que soit la raison pour laquelle pencher vers certains facteurs est une méthode qui réussit (ou du moins qui a réussi dans le passé), puisque ce sont tous les investisseurs combinés qui constituent le marché, s’il y a un groupe d’investisseurs qui surclasse systématiquement le marché, il doit y avoir des investisseurs qui se sous-classent par rapport à ce dernier. Ce principe a été énoncé pour la première fois par le prix Nobel William Sharpe en 1991

C’est en fonction de ce principe que M. Arnott a créé le terme « perdants consentants » pour décrire les investisseurs qui se trouvent du côté des perdants. Knut Rostad cite à cet effet M. Arnott dans son ouvrage de 2013 intitulé The Man in the Arena : Vanguard Founder John C. Bogle and His Lifelong Battle to Serve Investors First (Un homme dans l’arène : Le fondateur de Vanguard John C. Bogle et sa lutte pour servir les investisseurs d’abord) : « Si nous divergeons de l’indexation pondérée selon la capitalisation boursière, nous devons reconnaître à juste titre que nous ne pouvons battre le marché que si quelqu’un à l’opposé de nos transactions est un perdant consentant ». Par conséquent, une des prémisses de toute approche relevant du bêta stratégique devrait être l’identité des perdants consentants.

Pouvons-nous supporter des périodes de sous-classement?

Même la meilleure stratégie ne peut pas battre en tout temps le portefeuille pondéré selon le marché. Il y aura toujours des périodes de sous-classement.

Prenons pour exemple l’un des plus anciens FNB axés sur le bêta stratégique au Canada, le FNB iShares Canadian Fundamental Index, lancé en février 2006, qui piste l’indice FTSE RAFI Canada.

Dans l’ensemble, depuis sa création, ce FNB a surclassé son homologue à gestion passive, le iShares Core S&P/TSX Capped Composite Index, qui piste l’indice de référence du marché. Toutefois, sur quatre de ses neuf années civiles entières, CRQ a été surclassé par XIC, notamment en 2015, où la chute de 11,5 % de CRQ a été de 3,2 points de pourcentage plus sévère que celle de XIC, et 2014, où le rendement de 6,4 % de CRQ a été surclassé par XIC de 4 points de pourcentage entiers.

Comme l’a fait remarquer Rob Arnott : « Les portefeuilles basés sur des indices fondamentaux ont un penchant pour la valeur et cela est positif quand c’est la valeur qui gagne, et négatif quand elle perd. Est-ce que ce principe a été à la hauteur des attentes? Non. Beaucoup de gens ont entendu ce qu’ils voulaient entendre (une valeur ajoutée à long terme) et présumé que ça voulait dire tout le temps. Ce n’est simplement pas réaliste ». (Wall Street Journal, 6 avril 2009.)

Une stratégie qui se vérifie bien dans les tests rétrospectifs peut s’avérer décevante en temps réel, surtout quand on y incorpore les coûts. Cela ne veut pas dire que cette stratégie ne va pas se surclasser dans l’avenir, mais que quelle que soit la force de notre conviction pour une stratégie donnée, il faut que nous puissions supporter des périodes de sous-classement.

Pensez-vous que le rendement passé soit dû à un processus intrinsèquement générateur de bonifications ou à la popularité croissante de la stratégie?

Nous connaissons tous la mise en garde qui accompagne à peu près tous les produits de placement à l’effet que les rendements passés ne sont pas nécessairement une indication des résultats futurs. Vous m’en direz tant. Mais Rob Arnott et certains de ses collègues à Research Affiliates vont plus loin. Ils écrivent :

« Nous prévoyons la probabilité raisonnable d’un effondrement du bêta intelligent à la suite de l’essor des stratégies qui ont un penchant factoriel (« Comment le bêta intelligent peut-il conduire à de si épouvantables erreurs ? » Février 2016.) 

En d’autres termes, si le succès passé d’un produit relevant du bêta stratégique a été causé par des hausses de prix alimentées par la demande des investisseurs plutôt que parce que cette stratégie récoltait une prime du fait de son caractère factoriel, à un moment ou à un autre le prix doit baisser, en vertu de la Loi de Stein : « Si un phénomène ne peut continuer indéfiniment, il s’arrêtera. »

Je ne sais pas si M. Arnott a raison; seul l’avenir nous le dira. Mais il soulève une question importante sur le bêta stratégique dont il faut tenir compte avant d’investir dans les FNB qui pistent ces stratégies-là.

Les frais en valent-ils la peine?

Le coût est toujours un facteur important pour déterminer quel produit de placement acheter. Par exemple, au Canada, les investisseurs peuvent obtenir une participation au marché boursier canadien pour un ratio de frais aussi faible que 0,03 %. Mais une fois que l’on passe d’une participation au marché global au bêta stratégique, le ratio bondit pour atteindre de 0,33 % à 0,79 %, selon la stratégie et le fournisseur du FNB concerné.

Pour en revenir à notre comparaison ci-dessus, les frais d’un mandat au bêta stratégique comme le FNB iShares Canadian Fundamental Index sont généralement un handicap plus important à surmonter que ceux beaucoup moins élevés de son homologue géré passivement. Son ratio de frais actuellement publié est de 0,72 %, contre seulement 0,06 % pour le FNB iShares Core S&P/TSX Capped Composite Index.

Bien que les ratios de frais des FNB au bêta stratégique soient beaucoup plus faibles que ceux des fonds communs traditionnels gérés activement, ils sont élevés par rapport à ceux des indices pondérés selon le marché global. Les coûts sont toujours importants, et on devrait donc toujours en tenir compte quand on sélectionne des produits de placement.

Par exemple, disons que vous investissez dans un FNB dont le ratio de frais est de 0,06 %; avec un rendement brut de 5 % sur 10 ans, un placement de 1 000 $ atteindrait 1 619 $. Toutefois, si le ratio de frais s’élevait à 0,72 %, avec le même rendement brut de 5 %, le placement n’atteindrait que 1 515 $.

Donc, placer son argent dans un FNB au bêta stratégique revient à parier que cette stratégie surclassera le portefeuille pondéré selon le marché, au moins du montant de la différence entre les ratios de frais du FNB en question et ceux d’un FNB à faible coût indexé au marché.

Conclusion

Tous les produits de placement devraient être étudiés assez minutieusement avant qu’on y investisse. Compte tenu de la prolifération des FNB au bêta stratégique, ce serait une erreur de les écarter tous d’un seul coup. Mais ce serait aussi une erreur de tous les accepter comme de bons placements. Inévitablement, certains vont réussir et d’autres échouer.

En examinant plus attentivement ce qu’ils cachent, nous pourrons peut-être discerner lesquels vont réussir ou échouer à long terme. En d’autres termes, peut-être pourrons-nous discerner lesquels gagnent en popularité du fait de la « sagesse des foules », et lesquels de la « folie des foules ».