Rappelons-le : l’arbitrage réglementaire est le fruit de la panoplie de lois qui encadrent le système financier canadien. Citons-en quelques cas. Si un client québécois achète un fonds d’investissement, son conseiller sera encadré par la Loi sur les valeurs mobilières et la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), entre autres.

S’il souscrit une assurance vie ou un fonds distinct, c’est la LDPSF et la Loi sur les assurances qui en balise la distribution. S’il va dans une banque ou une caisse pour avoir un certificat de placement garanti, on parle de la Loi sur les banques et de la Loi sur les coopératives de services financiers. Si ce client achète un fonds par l’intermédiaire de son régime de retraite à cotisation déterminée, la Loi sur les régimes complémentaires de retraite le touche.

Les règles qui découlent de chaque loi entraînent des effets différents. Par exemple, certaines choses sont permises en distribution d’assurance, comme les concours de vente, mais sont prohibées en distribution de fonds d’investissement.

Chaque fois que les régulateurs qui encadrent une loi en particulier modifient les règlements touchant cette loi sans se coordonner avec les régulateurs qui encadrent les autres lois, ils accentuent les risques d’arbitrage réglementaire.

L’arbitrage peut prendre plusieurs formes. Par exemple, un conseiller titulaire de deux permis, l’un pour distribuer des produits d’assurance et l’autre pour les fonds d’investissement, pourrait privilégier d’offrir des fonds distincts plutôt que des fonds communs en raison des règles plus souples dans la distribution des fonds distincts. Ce représentant pourrait aussi carrément abandonner son permis en épargne collective et offrir uniquement des fonds distincts à ses clients. Gageons que ces derniers risquent de ne pas comprendre la différence entre les deux produits.

L’arbitrage est un processus normal : l’humain a tendance à opter pour la voie la plus facile pour atteindre son but. Sa bonne conscience, son intégrité professionnelle et son éthique peuvent heureusement freiner cette tendance.

Les régulateurs ont beau tenter d’accentuer la protection des clients en haussant les obligations des courtiers et des représentants dans la distribution de valeurs mobilières, ils risquent du même coup de creuser le fossé réglementaire qui sépare la distribution de ces produits de la distribution des produits bancaires, d’assurance ou de régimes de retraite.

Soyons juste, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), dont fait partie l’Autorité des marchés financiers (AMF), ont fait des efforts à ce chapitre. Notamment, les ACVM ont travaillé de concert avec les responsables de la réglementation d’assurance en vue d’atténuer le risque potentiel d’arbitrage réglementaire entre les fonds d’investissement et les fonds distincts individuels.

De plus, selon la consultation 33-404, les ACVM proposent que si un représentant également assujetti à d’autres régimes réglementaires, applicables notamment aux assurances ou aux banques, recommande à un client d’investir dans un produit financier autre qu’un titre, par exemple dans un fonds distinct, et que le client peut raisonnablement supposer qu’il envisageait de placer des titres, le représentant doit être en mesure de démontrer qu’il a géré le conflit découlant du fait qu’il possède deux permis.

C’est un bon début. Et le fait que l’AMF soit un régulateur intégré, mais dont les pouvoirs restent limités, est une bonne chose afin de lutter contre l’arbitrage réglementaire. Toutefois, l’AMF risque inévitablement de se retrouver devant des contradictions.

Par exemple, l’AMF juge que les commissions, dans la distribution d’assurance, sont un incitatif à risque moyen de conflit d’intérêts, selon la consultation sur la gestion des risques de conflits d’intérêts liés aux incitatifs publiée en juillet. Par contre, les commissions présentent un risque tel que ce régulateur, tout comme les ACVM, envisage d’abolir les commissions intégrées dans la distribution de valeurs mobilières.

Certains diront que les commissions initiales sont standardisées au sein des catégories de produits d’assurance. Or, c’est également le cas en placement, où la commission accordée pour un fonds d’actions est assez semblable d’un produit à l’autre, bien qu’elle diffère de celle accordée pour les fonds d’obligations.

Une autre contradiction touche les concours de vente. Selon l’AMF, les concours de vente et la bonification liée au volume de primes ou à un seuil de performance comportent quant à eux un risque élevé de conflit d’intérêts. D’accord, mais l’AMF n’a pas encore interdit les concours de vente en assurance, alors qu’ils sont prohibés en valeurs mobilières depuis des années.

Que penser de ces positions qui semblent manquer de cohérence ?

Les autorités réglementaires ne peuvent pas nier le risque d’arbitrage. Même si elles peuvent difficilement quantifier ce risque, elles doivent l’éliminer. Il est de leur devoir de créer un environnement réglementaire équitable pour tous les acteurs de l’industrie et qui protège le consommateur.

L’équipe de Finance et Investissement