33-404 : Vers une avalanche de poursuites?
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C’est ce qu’affirment des membres de l’industrie financière alors que des groupes de défense des intérêts du client les prônent, d’après différents mémoires remis aux ACVM en réponse au document de consultation 33-404 sur le rehaussement des obligations des conseillers et des courtiers envers leurs clients.

Dans cet avis, les ACVM proposent d’appliquer un triple filtre de convenance avant qu’une personne inscrite ne recommande l’achat, la vente ou la conservation d’un titre pour un client.

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Le conseiller et sa firme devraient premièrement évaluer si d’autres stratégies de base seraient plus susceptibles de satisfaire ses besoins, comme le remboursement de dettes à taux d’intérêt élevé ou le transfert de liquidités dans un compte d’épargne. Dans certains cas, le représentant pourrait l’aviser « que l’achat d’un autre produit financier, comme un produit d’assurance ou un produit bancaire, représente une stratégie préférable » et lui expliquer pourquoi.

Deuxièmement, les personnes inscrites devraient « établir pour le client une stratégie de répartition d’actifs de base et évaluer toute autre stratégie d’investissement. » Elles fixeraient un taux de rendement cible qui permette au client de satisfaire ses besoins et objectifs de placement. « Si le risque à prendre pour satisfaire les besoins et objectifs dépasse la capacité du client, la personne inscrite doit réviser les besoins et objectifs de placement avec lui », lit-on dans le document 33-404.

Troisièmement, un conseiller et sa firme devraient tenir compte des caractéristiques du produit proposé ou détenu, notamment de son coût et « l’incidence sur le rendement du produit de la rémunération versée à la personne inscrite par le client ou à un tiers ». Le produit devrait être « le plus susceptible de satisfaire les besoins et objectifs de placement du client ». Autrement, on devrait éviter ce produit ou conseiller au client de changer celui qu’il détient.

Mission impossible?

L’obligation d’envisager d’autres stratégies financières de base, comme le paiement de dettes, soulève plusieurs réserves. Celle-ci va au-delà des exigences de compétence applicables à plusieurs représentants, et au-delà de ce qu’on peut raisonnablement attendre d’eux, selon l’Association des banquiers canadiens (ABC) : « La proposition imposerait aux représentants une quasi-exigence de planification financière complète alors qu’on ne peut pas s’attendre d’eux d’avoir la compétence nécessaire pour la faire. Les investisseurs pourraient aussi croire à tort qu’ils ont reçu des conseils de planification financière alors que cela n’a pas été le cas. Cela accroîtrait considérablement les coûts de conformité et placerait les représentants dans des situations intenables vis-à-vis leurs clients. »

Plusieurs partagent ces réserves, dont Martin Gagnon, premier vice-président à la direction, Gestion de patrimoine, à la Banque Nationale et coprésident et cochef de la direction de la Financière Banque Nationale: « Les principes sous-jacents à cette exigence sont valables, mais nous redoutons que leur mise en œuvre pratique soit difficile, voire impossible. »

Les moyens prévus pour remplir cette obligation risquent de dépasser le champ de compétence de certains courtiers, Raymonde Crête, professeure associée et avocate, directrice du Groupe de recherche en droit des services financiers de l’Université Laval, et sa collègue Cinthia Duclos, professeure assistante et avocate : « Certaines indications données par les ACVM peuvent également susciter des attentes trop élevées de la part des clients qui sollicitent les services des courtiers en épargne collective. Par ailleurs, nous reconnaissons que ce risque de méprise peut être réduit en obligeant les courtiers en épargne collective et leurs représentants à informer le client par écrit et verbalement de la portée restreinte de leurs services et de leurs produits ».

Des membres de l’industrie appuient toutefois l’obligation d’envisager d’autres stratégies financière de base, dont MICA Capital, HighView Financial Group et de la division canadienne du CFA Institute. C’est aussi le cas des groupes de défense des intérêts des investisseurs comme FAIR Canada et le Consumers Concil of Canada.

Avalanche de poursuites?

Fixer un taux de rendement cible tel que proposé par les ACVM est inapproprié, selon certains intervenants.

« Nous craignons qu’un taux cible de rendement fixé puisse être interprété par un client comme une promesse de rendement. En conséquence, le fait de fixer un taux cible de rendement, puisque mal interprété par un client, pourrait amener des plaintes de client à l’encontre de son représentant au motif qu’il a fait défaut d’atteindre le rendement ciblé », écrit MICA. Cette crainte est répandue dans l’industrie.

« Quels seraient les risques que certains clients intentent des recours légaux contre leur conseiller advenant le cas où les taux cibles n’étaient pas atteints en raison d’événements sans lien avec les recommandations du conseiller? », écrit le Groupe Cloutier, qui remet aussi en question la pertinence d’un tel taux cible.

En remplacement du taux de rendement cible, lequel est inapproprié pour plusieurs clients qui ne souhaitent pas payer pour l’obtenir, l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières propose un taux d’épargne cible qui aide un client à atteindre ses objectifs.

L’obligation selon laquelle le produit devrait être « le plus susceptible » de satisfaire les besoins du client créerait par ailleurs de l’incertitude.

« La notion de « plus susceptible » nous apparait pour le moins floue et sujette à interprétations multiples et possiblement contradictoire. La transaction la « plus susceptible » est-elle la meilleure transaction? La moins pire? La plus optimale? », lit-on dans le mémoire de Mérici Services financiers.

Il est tout simplement impossible d’identifier objectivement un investissement qui est « le plus susceptible de satisfaire les besoins » du client, selon la Sun Life.

D’après le Groupe financier PEAK, « cette obligation pourrait créer des attentes de la part des clients à l’effet que le conseiller a l’obligation d’identifier les produits qui génèrent la meilleure performance sur le marché. Ce qui engendrait possiblement des plaintes injustifiées que les firmes devraient traitées. »

« Placer sur les épaules des personnes autorisées la responsabilité d’effectuer LA recommandation la plus susceptible parmi des milliers de possibilités différentes fait peser sur elles un risque inacceptable qu’aucun professionnel ne saurait accepter, écrit le Groupe Cloutier, dans son mémoire. Pour cette raison, nous croyons qu’il serait préférable de conserver un objectif de convenance par rapport à la situation et aux objectifs du client. »