Président du cabinet Financière Radisson, Dany Bergeron explique que l’Australie a une faible culture de réglementation… comme au Far West.

«Chez les Australiens, à peu près n’importe qui peut s’improviser conseiller. C’est pourquoi le conseil y a très mauvaise réputation», dit-il.

Vendre à des morts

Un scandale récent vient d’ailleurs de mettre au jour une pratique inimaginable au Québec : plusieurs conseillers australiens avaient pris l’habitude de «vendre» des polices à des personnes décédées afin d’empocher les généreuses commissions de première année (http://tiny.cc/szmxyx).

Appelée tombstoning (ou faire de la pierre tombale), cette pratique est possible parce qu’au pays des kangourous, les remplacements de polices (churning) sont très faciles à faire. Si faciles que dans une récente étude, le régulateur, la Australian Securities and Investments Commission (ASIC) a reconnu le churning comme l’une des causes principales de la perte de confiance du public envers l’industrie de l’assurance de personnes (http://tiny.cc/n0nxyx).

Afin de contrer ce phénomène, une étude remise en mars au régulateur australien propose de limiter la commission de première année à 20 % de la prime ou à un maximum de 1 200 $. Dans le cas des petites polices dont la prime est inférieure à 2 000 $, la commission de première année atteindrait un maximum de 60 % (http://tiny.cc/y3zoyx).

Pendant que des ministres australiens en discutent publiquement, certains cabinets australiens ont déjà renoncé à la rémunération de première année afin d’adopter carrément un mode de rémunération à honoraires (http://tiny.cc/s2zoyx).

Obstacles au churning

«Le régulateur australien s’inquiète des remplacements abusifs de polices. Mais au Québec, il existe des moyens efficaces pour l’empêcher. Chez nous, on voit très peu de remplacements abusifs», dit Yan Charbonneau, directeur général de l’agent général AFL Groupe Financier.

Cela s’expliquerait par au moins deux raisons.

Si la police est remplacée en moins de 24 mois, le conseiller a l’obligation de rembourser sa commission de première année au prorata de ce qu’il a déjà touché. «Supposons une commission de première année de 2 000 $. S’il y a changement de police après un an, le conseiller devra remettre 1 000 $», remarque Yan Charbonneau.

De plus, le conseiller devra remplir un formulaire spécifique de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le «Préavis de remplacement de police». Ce formulaire établit la comparaison des caractéristiques, des avantages et des désavantages du contrat en vigueur par rapport au contrat de remplacement. Il doit ensuite être signé par le client.

«Avant d’apposer sa signature, l’assuré doit être vraiment convaincu de poser le bon geste !» constate Yan Charbonneau.

La question de la divulgation

Consultant et ancien vice-président exécutif d’AXA Canada, Robert Landry rappelle que les remplacements de polices ne se font pas toujours au détriment du client.

«Il est possible que les conditions d’un client changent, par exemple après une séparation. Il est également possible qu’un deuxième conseiller fasse un meilleur travail que le premier conseiller, et qu’il suggère une autre police, mieux adaptée aux besoins réels du client que celle qu’il a déjà», dit-il.

Robert Landry pense que de façon générale, peu de conseillers au Québec encouragent les remplacements de polices afin d’encaisser uniquement les généreuses commissions de première année, comme c’est le cas en Australie.

«Les conseillers seraient les premiers à dénoncer des concurrents qui agiraient de cette façon. De plus, les assureurs ne pourraient pas tolérer indéfiniment que certains conseillers leur enlèvent systématiquement des contrats qui ne deviennent généralement rentables pour eux qu’après deux ans et demi», dit-il.

Toutefois, l’occasion fait parfois le larron. Certains conseillers pourraient tout de même être tentés d’augmenter leurs commissions – et certains assureurs, leur part de marché – en recourant à des stratégies agressives de remplacements de polices.

«Des mauvais éléments, il y en aura toujours. Mais je crois qu’au Québec, le marché peut se discipliner lui-même, sans l’intervention du régulateur. Surtout au moyen de la divulgation. Si le client sait par exemple que son conseiller a retiré une commission de première année de 1 400 $, pensez-vous qu’il acceptera facilement de changer de police au bout de deux ans ? Je ne le crois pas», estime Robert Landry.

Selon lui, la divulgation des commissions en assurance de personnes est un des enjeux de l’heure chez les régulateurs du Québec et du Canada. «C’est par la divulgation que le churning deviendra chose du passé», conclut-il.

Par ailleurs, certaines propositions actuellement débattues en Australie pourraient inspirer nos régulateurs. «Le rapport remis au régulateur australien propose que chaque conseiller soit obligé de négocier avec au moins la moitié des assureurs. C’est fabuleux, car cela implique que les consommateurs auraient un choix très étendu de produits en assurance de personnes !» dit Dany Bergeron.