«Il y a trois règles : documentez vos dossiers, documentez-les encore plus, et documentez encore vos dossiers», a répété Michel Mailloux, qui offre de l’accompagnement en conformité pour l’industrie financière.

Marc Champagne, qui représente non pas les intérêts de l’assureur, mais les intérêts des conseillers et des cabinets qui se défendent lors de litiges, a indiqué ce que ceux-ci doivent faire pour se préparer à un éventuel procès.

1. Connaissez votre client

Cette règle d’or du conseil financier est très importante. Pour bien conseiller son client et offrir des produits qui lui conviennent, un représentant doit être bien renseigné sur sa situation personnelle et financière, ses besoins et ses objectifs. À ce chapitre, les conseillers doivent adopter les meilleures pratiques, conformes à la réglementation.

«Il ne suffit pas d’aller jouer au golf avec lui de temps en temps», a caricaturé Marc Champagne, qui travaille au cabinet d’avocats Jurilis, à Montréal.

2. Tenez bien vos dossiers

Un conseiller devrait idéalement avoir un journal de bord qui consigne le moment et le contenu des conversations avec le client. «Ne lésinez pas sur le contenu du dossier, a dit Marc Champagne. Si on n’a pas ça, comment on fait pour démontrer à la Cour que le conseiller a parlé à son client à maintes reprises, et que la conversation durait 30 minutes ?»

En l’absence d’un journal de bord, un conseiller est plus vulnérable devant un tribunal, a souligné Michel Mailloux. «Que faire si vous vous faites demander par l’avocat de la partie adverse ce que vous avez dit à votre client le 20 novembre 2003 ? S’il est particulièrement vicieux, il vous demandera qui a gagné la partie de hockey ce soir-là ou ce que vous avez mangé.» L’avocat adverse peut alors facilement démontrer que le souvenir du conseiller est en fait ce qu’il pense avoir dit, et qu’on peut donc accorder une très faible valeur à ce souvenir.

3. Documentez une recommandation refusée

Un client refuse une recommandation que vous jugez pertinente à sa situation et convenable en fonction de ses besoins ? «Faites signer le client quand il refuse une suggestion que vous jugez appropriée», a souligné Marc Champagne.

Si un conseiller avait un problème par la suite, parce que son client a refusé de prendre un avenant d’une police par exemple, il garde ainsi une trace.

4. Conservez bien vos dossiers

Un cabinet ou un représentant devrait conserver en lieu sûr une copie complète du dossier. «Si vous avez un incendie, si un chat mange le dossier… Faites une copie de sécurité. Tous les moyens sont bons pour garder une copie intacte», a souligné l’avocat.

Cette copie peut être numérisée et elle reste valide. «Qui dit numérisation dit technologie. Une technologie, comme une clé USB, peut avoir une durée de vie limitée. Il faut prendre les moyens pour que le dossier soit complet et sécurisé», a-t-il mentionné.

Marc Champagne a rappelé que, dans l’affaire Norbourg, des conseillers se sont fait reprocher d’avoir tenu des dossiers éparpillés et incomplets. Rappelons que les dossiers de ces représentants n’étaient pas complets parce qu’une partie en avait été saisie par les corps policiers et l’Autorité des marchés financiers.

Michel Mailloux a relaté l’histoire d’un cabinet qui avait eu un dégât d’eau. Ce cabinet, qui n’avait que des dossiers en format papier, a alors tenté de faire sécher les pages humides. «Une semaine après, la CSST est arrivée et a dit : « Il y a des champignons dans vos dossiers, vous devez tout brûler immédiatement. » Dix ans de dossiers ont été effacés d’un coup.»

Michel Mailloux a aussi raconté le cas d’un conseiller qui avait l’habitude d’empiler dans un coin les analyses des besoins financiers (ABF), au lieu de les verser aux dossiers de ses clients. Il a tout de même reçu une amende de 10 000 $ pour absence d’ABF aux dossiers.

5. Restez vigilant avec vos clients qui sont des amis

«Quand vous faites affaire avec un membre de la famille ou un ami proche, soyez doublement vigilant et soyez certain de documenter les éléments importants du dossier, voire tous les éléments du dossier», a insisté Marc Champagne.

L’avocat a raconté le cas d’un conseiller qui connaissait si bien son client qu’il voyageait et allait même faire laver son auto avec lui. «Le problème est qu’une proximité s’était installée. Tenez pour acquis que même si c’est un ami proche, même si c’est un membre de la famille, faites un dossier aussi complet, sinon plus complet, que si c’était un pur étranger.»

6. Lisez vos polices d’assurance

Marc Champagne a souligné l’importance de bien lire la couverture de la police d’assurance responsabilité d’un cabinet ou d’un représentant : «On doit bien la comprendre avant de la signer.»

On doit aussi comprendre les limites de couverture d’une police et les conséquences si on est poursuivi pour une somme supérieure à ce plafond.

«On a eu un dossier où la poursuite initiale était de 6 M$ et la limite de couverture de 2 M$. Un avocat a été mandaté pour agir pour l’excédent. La personne était allée au bâton pour un montant important. En fin de compte, on a eu un règlement satisfaisant bien en dessous de la limite de couverture. Pendant tout ce temps, le conseiller devait assumer les frais de son propre avocat en surplus, alors que l’assureur payait pour l’avocat de la [partie de 2 M$]», a-t-il expliqué.

Un cabinet ou un représentant devrait en outre vérifier que sa police d’assurance couvre aussi la responsabilité découlant des gestes posés par le vendeur d’un bloc d’affaires qu’on a acheté.

Marc Champagne cite l’exemple d’un cabinet qui a acheté «une belle clientèle», à la suite du décès d’un représentant. Malheureusement, parmi cette clientèle, un client a mal compris les nuances entre une police d’assurance libérée et une police prépayée. Une poursuite s’en est suivie : «Les nouveaux propriétaires de la clientèle se retrouvent impliqués dans les poursuites. Donc, le cabinet, les anciens conseillers, les nouveaux, la succession, tout le monde est poursuivi.»

Il a également souligné que les polices d’assurance responsabilité ne couvrent généralement pas les frais d’avocat d’une plainte disciplinaire : «J’ai vu plusieurs dossiers plus longs qu’un recours civil. Dans certains cas, pour une plainte portée devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, l’audition a duré 12 jours.»

7. Oubliez la sympathie des juges

Lorsqu’un dossier est porté en cour, dans la grande majorité des cas, le client est ou prétend être un néophyte, voire un ignorant en matière financière. Il avait reçu des garanties et son profil est prudent, selon Marc Champagne.

«Quand je me présente en cour, le débat se fait entre un individu qui a perdu ses économies en tout ou en partie, l’argent pour sa retraite, en raison des conseils et des agissements d’un conseiller, d’un courtier ou d’un cabinet. Lesquels sont représentés par une gigantesque compagnie d’assurance, parfois même pire, une société étrangère. C’est rare que j’aie la chance de jouer la carte de la sympathie auprès du ou de la juge», a dit Marc Champagne.

Les magistrats sont tentés d’indemniser le client, sachant que la somme en cause change souvent peu de chose dans le budget d’un important assureur, mais beaucoup de chose dans celui du client. «On est toujours sur la défensive et on n’a jamais la sympathie de qui que ce soit», note Marc Champagne.

8. N’oubliez pas l’aspect disciplinaire

Une plainte disciplinaire peut coûter cher au représentant et lui causer plusieurs ennuis.

Il cite le cas d’une cliente qui a admis avoir déposé une plainte disciplinaire non fondée simplement pour faire pression sur le représentant qu’elle poursuivait déjà dans un recours civil. «Le dossier disciplinaire a finalement été abandonné», a-t-il dit. Le conseiller a tout de même subi le stress psychologique et financier d’une telle démarche.

Marc Champagne note que l’enjeu est souvent de taille dans le cas d’une poursuite disciplinaire, puisque ce processus peut mener un représentant à perdre son droit de travailler.