Montréal a tout pour réussir, sauf que...
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Le service de placement de l’Université Laval sert d’ailleurs une mise en garde aux étudiants en évoquant le nombre important de diplômés formés aux cycles supérieurs en finance et en ingénierie financière au Québec et le peu de postes ouverts dans le domaine des marchés boursiers. «Il faut aussi tenir compte du lieu géographique des différentes salles des marchés des institutions financières canadiennes. Comme les sièges sociaux sont principalement à Toronto, les emplois se retrouvent dans cette région», peut-on lire sur son site Internet.

Pourtant, le Grand Montréal ne cesse de gravir les échelons sur l’échelle des centres financiers internationaux. En mars 2017, la ville s’est inscrite au 14e rang mondial des plus grands centres financiers du classement semestriel de Z/Yen Group, gagnant une position par rapport à l’année précédente, et sept comparativement à 2015.

La région métropolitaine comptait en 2017 près de 100 000 emplois en finance au sein de quelque 3 000 entreprises, 25 000 spécialistes financiers et près de 2 500 professionnels membres de l’Association CFA Montréal, selon Montréal International.

Malgré cela, les occasions ne foisonnent pas pour les gens en début de carrière et les firmes en émergence. «On a besoin d’autres belles histoires comme celles de Fiera Capital et d’Hexavest. Gestion Cristallin a été fondée en 1998, mais son actif sous gestion est d’environ 400 M$. À New York, avec un actif de moins de 2 G$, tu es très émergent. C’est pourquoi l’écosystème a besoin de grandir. S’il y a plus de firmes dans l’écosystème et qu’elles ont besoin de talent, elles vont globalement être capables de grandir et tout le monde va y gagner», estime Charles Lemay, qui a travaillé 10 ans à Wall Street, d’abord chez Morgan Stanley, mais principalement chez Goldman Sachs.

Dans son analyse intégrée des marchés financiers québécois publiée en juin 2016, le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) constate une tendance concernant «la place croissante occupée par les grandes institutions financières et leurs courtiers en valeurs mobilières dans les écosystèmes financiers québécois et canadien», qui entraîne «la disparition graduelle des banques d’affaires et des courtiers en valeurs mobilières indépendants, au Québec mais également dans le reste du Canada».

Le CIRANO évoque également un manque d’adéquation entre l’offre de capital et la demande par les entreprises. Ainsi, bien que la demande de capital soit grande pour les entreprises en démarrage et en croissance ayant atteint une certaine maturité, l’offre en matière de capital «est relativement faible». À l’inverse, «pour les entreprises en croissance qui ne sont ni en amorçage ni matures, l’offre de capital est relativement abondante par rapport à la demande».

Dans un tel contexte, le développement d’un environnement favorable à l’émergence et à la croissance de l’entrepreneuriat est jugé essentiel par le CIRANO. Le Centre de recherche est d’avis que l’atteinte de cet objectif [repose davantage] sur la mise en place de conditions gagnantes que sur l’ajout de programmes de formation, et que le «dynamisme de l’écosystème financier québécois repose en grande partie sur le dynamisme de son écosystème d’innovation».

Initiatives requises

En matière d’innovation, quelques initiatives sont déjà mises en oeuvre. Charles Lemay évoque le Programme des gestionnaires en émergence du Québec (PGEQ), «qui est en train de faire des miracles pour certains gestionnaires».

Le PGEQ a vu le jour en avril 2015 à l’initiative de Finance Montréal. Son objectif est de confier des mandats de gestion à des firmes québécoises en démarrage ou de petite taille afin de les aider à percer le marché institutionnel. Pour y parvenir, le PGEQ poursuit constamment ses efforts d’obtention d’actifs auprès des grandes caisses de retraite et des investisseurs institutionnels afin de confier de nouveaux mandats.

En date du 31 octobre 2017, le PGEQ avait rassemblé dans son portefeuille un actif de 141 M$ pour son volet traditionnel et de 127 M$ pour son volet alternatif, confirme Carolyn Cartier-Hawrish, directrice du programme. Ces fonds sont alloués sous forme de mandats à différents gestionnaires, par exemple LionGuard Gestion de Capital, Allard, Allard & Associés, et Conseillers en valeurs Razorbill, qui sont au nombre de la dizaine de firmes que le programme a sélectionnées jusqu’ici.

«Le PGEQ est une très bonne façon de donner de l’expérience aux gestionnaires d’ici, croit Charles Lemay, d’autant plus que la gestion de risque se fait très étroitement grâce à l’implication d’Innocap.» Il estime que cela peut certainement inciter les caisses de retraite et les investisseurs institutionnels d’ici à investir davantage localement.

«Souvent, les caisses de retraite hésitent à investir ici, mais vont le faire dans le talent de Bridgewater Associates, de Millenium, ou d’autres gros noms américains ou de Londres. C’est sûr que ces gestionnaires ont de bonnes réputations et peuvent prendre de plus gros chèques, mais l’écosystème de Montréal ne va jamais évoluer si on ne l’aide pas nous aussi», lance Charles Lemay.

À cet égard, le CGE met aussi la main à la pâte et tenait en septembre la deuxième édition de son événement d’introduction aux capitaux. L’activité a réuni cette année, au Club Saint-James, près de 120 participants, dont 49 gestionnaires et une douzaine d’allocateurs d’actifs, dont 5 en provenance des États-Unis et 3 de l’Ontario. On y alterne les panels, les rencontres individuelles entre allocateurs d’actifs et gestionnaires, et les séances de réseautage.

Aux États-Unis, toutes les grandes caisses de retraite investissent une part de leur actif dans les gestionnaires en émergence. «C’est un secteur structuré et des activités d’introduction aux capitaux sont tenues régulièrement», rappelle Charles Lemay. Il évoque le parcours de Vital Proulx et Robert Brunelle, respectivement cochef des placements et président du conseil d’administration, ainsi que premier vice-président d’Hexavest, qui en 2008, après deux ans d’efforts et une participation à environ 250 rencontres de ce type, ont obtenu un premier mandat aux États-Unis.

«C’est devenu l’histoire d’une réussite», dit Charles Lemay. Toutefois, toutes les firmes en émergence ne sont pas en mesure de prendre la route des États-Unis pendant des mois et des mois, ajoute-t-il. C’est pourquoi le CGE investit tant d’efforts pour amener des allocateurs d’actifs américains à venir rencontrer ici des gestionnaires en émergence dont certains, peut-être, pourraient un jour attirer des investissements.

«C’est sûr qu’ils connaissent Fiera, Hexavest, et qu’ils ont déjà entendu parler de Jarislowsky Fraser, mais beaucoup moins des plus petites firmes. Et souvent, la question demeure : « Montreal, where is that ? »» raconte Charles Lemay.