Voilà ce que ressort d’un atelier portant sur le thème « Les risques de conflits d’intérêts liés aux régimes d’incitatifs : est-il possible de les gérer et de les mitiger? », présenté à l’occasion du 12e Rendez-vous de l’Autorité des marchés financiers (AMF), lundi.

D’abord, plusieurs panélistes l’ont affirmé : aucune forme de rémunération n’est exempte de conflits d’intérêts.

« On sait qu’on n’évitera jamais tous les risques de conflits d’intérêts. C’est probablement une mission impossible, mais il faut qu’on s’assure qu’on dispose des moyens adéquats pour les mitiger », a déclaré Louise Gauthier, directrice principale des politiques d’encadrement de la distribution, Autorité des marchés financiers.

Les régulateurs visent à s’assurer de gérer les risques de conflit d’intérêts chez les manufacturiers, les cabinets et les représentants afin de donner la marge de manoeuvre qui est nécessaire au représentant pour qu’il agisse toujours dans le meilleur intérêt du client, a-t-elle expliqué : « Il s’agit d’avoir en place les mécanismes de surveillance adéquats pour réprimander des comportements non souhaitables. »

« Toute forme de rémunération et d’incitatif va incorporer un conflit d’intérêts. L’objectif d’éliminer le conflit n’est pas atteignable. Pour éliminer le conflit, il faudrait carrément éliminer la transaction, donc il n’y aurait plus de marché. Mais, la bonne nouvelle est que nous pouvons encadrer le conflit de manière efficace », a indiqué quant à lui Kia Rassekh, directeur régional, Québec, Conseil des fonds d’investissement du Québec.

Selon lui, cet encadrement se fait « à travers les différents règlements », dont le règlement 31-103. La surveillance des activités des représentants, par les départements de conformité des courtiers, la formation continue des représentants, le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, la supervision du courtier par le régulateur ainsi que la transparence offerte au client par l’intermédiaire de différents documents et relevés sont toutes des mesures de gestion des conflits d’intérêts.

« Les mesures de transparence qui améliorent la connaissance du client. C’est une mesure de mitigation [des risques de conflits d’intérêts]. Ça permet de mieux superviser le travail de son représentant », a-t-il mentionné.

L’objectif visé ne doit pas être une absence de conflits, mais de détecter les problèmes et de gérer les conflits, a souligné Lyne Duhaime, présidente d’ACCAP-Québec et vice-présidente principale Distribution, Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

« L’intérêt du consommateur doit avoir préséance sur une rémunération liée à une vente. L’éducation et la formation des conseillers ainsi que la transparence, donc la divulgation, peuvent contribuer à des résultats équitables pour les clients. Des conseillers compétents et formés suivant des pratiques de ventes basées sur les besoins des clients et fournissant des informations significatives conduisent à des résultats équitables et aident à minimiser les risques de conflits d’intérêts. »

La gestion des conflits d’intérêts repose donc sur une série de mesures, dont la surveillance des acteurs de l’industrie tout comme la mise en place de mesures de détections, ajoute Lyne Duhaime.

Lorsqu’on recherche des solutions pour gérer les conflits d’intérêts, il ne faut pas perdre de vue que le consommateur est vulnérable », a indiqué Annik Bélanger-Krams, avocate, chez Option consommateurs. Selon elle, l’intervention du régulateur est primordiale et l’intervention des manufacturiers et des représentants est importante aussi.

Pas une baguette magique

Lyne Duhaime et Kia Rassekh ont vanté plusieurs mérites à la transparence. Toutefois, aucun panéliste n’a estimé qu’il s’agit d’une solution à toute épreuve, car si un client ne comprend pas l’information qu’on lui divulgue, on n’est pas plus avancé.

« C’est important d’avoir la bonne stratégie de communication. On a beau être aussi transparent qu’on le veut, si le message, la manière dont il est communiqué, le public ne le comprend pas, eh bien tous les beaux efforts d’être transparent ne servent à rien », a indiqué Annik Bélanger-Krams. Elle note par exemple que, selon un sondage mené par Option consommateurs, 15 % des répondants identifiaient à tort le mot « prime » comme un boni ou un cadeau.

Selon elle, la communication doit être adaptée selon le client cible, en tenant compte de son niveau de vulnérabilité et être transmise dans un langage facile à comprendre. « Si la personne est vulnérable, nos obligations doivent augmenter », dit-elle. L’avocate souligne par ailleurs que le consommateur devrait, selon différentes lignes directrices de traitement équitable de celui-ci, connaître la façon dont le représentant est rémunéré et le montant de sa rémunération.

Il faut faire toutefois attention pour ne pas noyer le poisson et divulguer trop d’information ont prévenu Kia Rassekh et Lyne Duhaime. « Attention à ce qu’une sur règmentation mène à des documents beaucoup trop complexes pour le consommateur », a dit Lyne Duhaime.

Notons par ailleurs que la divulgation au client des conflits d’intérêts eux-mêmes peut même amener son lot d’effets pervers, comme on peut le lire dans le document de consultation 33-404, produit par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières en 2016. « La communication des conflits est, en soi, généralement inefficace comme stratégie d’atténuation et peut donner des résultats contre-intuitifs, comme le recours accru à des conseils conflictuels, ce qui donne de mauvais résultats aux investisseurs. »

« La transparence n’est pas une solution suffisante en soi. Le conflit relié à un régime d’incitatif ne doit pas juste être divulgué par l’intermédiaire d’un rapport, mais c’est un départ. Une discussion doit avoir lieu et les règles vont devoir être complétées. Il y a des règles actuelles, mais elles peuvent être améliorées », a indiqué Louise Gauthier, en marge de la conférence. C’est pourquoi les ACVM travaillent actuellement à rehausser les exigences du règlement 31-103. Une nouvelle consultation doit être rendue publique par les ACVM dans le premier semestre de 2018.

Durant le panel, Kia Rassekh a souligné que selon une étude Pollara menée pour l’Institut des fonds d’investissement du Canada, 86 % des investisseurs disent que le nouveau rapport sur les taux de rendement est clair. Toutefois, « seulement 50 % disent que les informations pour les frais étaient claires. C’est un autre signe évident qu’il y a des améliorations à apporter », a-t-il dit.

« Il y a des signes que la transparence marche. Ce n’est pas la baguette magique qui va régler tous les problèmes. C’est une mesure efficace pour mitiger les conflits d’intérêts, mais nous avons du travail à faire par rapport à la sensibilisation du public, et comme les sondages le démontrent, l’amélioration de la clarté des rapports [découlant de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller] », a affirmé Kia Rassekh.

Le consommateur a une responsabilité

Par ailleurs, à la fois Kia Rassekh et Lyne Duhaime ont souligné que le client a une responsabilité à l’égard de la gestion des conflits d’intérêts potentiels.

Le manufacturier, que je représentante, a une responsabilité d’être à l’affut des problèmes potentiels, a dit Lyne Duhaime. Tous les intervenants ont une responsabilité partagée. Bien sûr le conseiller, mais aussi le consommateur. On ne peut pas totalement déresponsabiliser le consommateur et laisser au manufacturier et conseiller toute la responsabilité. Lui, il n’a pas une responsabilité de s’informer, de bien comprendre, d’aller chercher les conseils dont il a besoin. »

Louise Gauthier a ajouté que les régulateurs ont aussi une responsabilité, tout comme en a le consommateur, l’industrie, les manufactiers et les intermédiaires. « Les consommateurs mieux éduqués vont prendre des décisions plus éclairées », a-t-elle dit.

« Peu importe les initiatives de littératie qui vont être prises, ça n’enlève pas le fait qu’il faut un encadrement qui soit adéquat. Et la responsabilisation des manufacturiers, des intermédiaires [et des régulateurs] est beaucoup plus importante. Le consommateur est vulnérable. On ne peut pas lui mettre ce fardeau et à égalité avec les autres parties. La plupart des consommateurs n’ont pas les connaissances pour comparer les produits », a dit Annik Bélanger-Krams. La responsabilité de gérer les conflits d’intérêts n’incombe donc pas au client selon elle.

« Nous croyons que l’intervention du régulateur et l’encadrement doit toujours être privilégié. L’industrie doit être encadrée adéquatement. L’encadrement des manufacturiers est primordial. Il ne faut pas oublier l’importance de l’encadrement individuel du représentant et l’importance d’un code de déontologie. Cela représente le strict minimum », a-t-elle ajouté.

S’il est déterminé que certains produits et services comportent tout simplement trop de risques, le régulateur doit intervenir pour les baliser spécifiquement ou les interdire carrément, d’après Annik Bélanger-Krams.