L'homme qui construit des relations
Martin Laprise

«Au fil de discussions avec mon futur beau-père, Germain Fontaine, qui avait fondé le cabinet AFL, j’ai appris à connaître le monde de l’assurance. J’ai constaté qu’il correspondait à mon caractère et à mes intérêts. J’ai toujours adoré relever le défi des ventes et je pense que le succès en affaires découle du soin que l’on met à nouer et à entretenir des relations. Très jeune, j’avais la piqûre de l’entrepreneuriat. Bref, j’ai rapidement constaté que l’univers de l’assurance et des services financiers m’allait comme un gant», dit Yan Charbonneau.

Ainsi, quatre ans à peine après l’obtention de son diplôme, Yan Charbonneau quitte ses fonctions de fiscaliste comptable chez Deloitte Touche (maintenant Deloitte) et entre chez AFL Groupe financier à titre de directeur du développement des affaires. Initialement fondé par Germain Fontaine et Armand Lemay en 1983 sous le nom d’Assurances Fontaine Lemay, ce cabinet de Lévis était alors l’agent général d’une quinzaine de conseillers et courtiers. Ce petit nombre explose en 2008 lorsque Yan Charbonneau commence à faire fructifier un contrat de distribution des obligations d’Épargne Placements Québec que le cabinet détenait depuis le début des années 2000.

«En l’espace de trois ans et demi, nous avions 450 conseillers et courtiers sous contrat. Et en 2015, plus de 1 000 conseillers distribuaient les obligations d’Épargne Placements Québec par notre intermédiaire», signale Yan Charbonneau.

Le jeune directeur du développement des affaires d’AFL a été le premier responsable d’agent général à saisir l’importance des obligations d’épargne gouvernementales. Rappelons qu’en 2010, les taux étaient alléchants et les baby-boomers, qui préparaient leur retraite, appréciaient le côté simple et efficace du produit.

«Nous avons alors développé une expertise très recherchée par les conseillers, comme le décaissement sans frais des obligations et la possibilité de puiser dans le capital pour effectuer une mise de fonds au régime d’accession à la propriété», raconte le dirigeant.

La stratégie de développement des affaires de Yan Charbonneau pourrait un jour figurer au rayon des études de cas des écoles de sciences de la gestion. Elle a permis à AFL Groupe financier de passer inaperçue auprès de ses concurrents et de prendre son envol en toute quiétude.

«Dans l’ombre»

Dès son premier jour chez AFL, Yan Charbonneau savait que le cabinet devait avoir un produit unique afin de faire sa marque auprès des courtiers et des conseillers.

«Avec les obligations d’Épargne Placements Québec, la marge de profit était très mince. Jusqu’à un certain point, il s’agissait d’un produit d’appel (loss leader) qui servait à faire connaître AFL auprès des conseillers. Personnellement, j’ai dû faire des ventes d’assurance le soir afin de boucler mon budget familial ! En revanche, les obligations d’Épargne Placements Québec nous ont ouvert la porte des courtiers et des conseillers d’un peu partout au Québec», dit l’ancien directeur du développement des affaires.

Pourquoi les autres agents généraux ont-ils laissé AFL s’imposer peu à peu sur leur patinoire ?

«Nos concurrents ne nous ont pas vus venir, ce qui nous a permis de travailler quelques années dans l’ombre. Nous avons tranquillement recruté nos conseillers un par un, au rythme d’environ 250 par année. J’ai même fait des présentations dans des bureaux d’autres agents généraux !» se souvient-il.

Cela dit, cet épisode n’aurait pas été fructueux sans le talent particulier de Yan Charbonneau pour bâtir des relations.

«Les conseillers indépendants ont la liberté de confier leurs affaires aux agents généraux de leur choix. Ainsi, lorsque les ventes d’obligations ont fondu avec la chute des taux d’intérêt, j’étais devenu crédible aux yeux des conseillers, car je les connaissais personnellement. J’avais passé du temps en leur compagnie et je connaissais leurs besoins. Je pouvais ainsi leur proposer de distribuer d’autres produits, ceux d’Axa Assurance Vie, Humania, SSQ, et Industrielle Alliance», dit Yan Charbonneau.

Résultat : parmi les quelque 1 000 conseillers d’AFL ayant distribué les obligations d’Épargne Placements Québec, de 200 à 250 seraient aujourd’hui responsables de 75 % à 80 % des ventes du cabinet. «Ils viennent à nos congrès et ils participent à nos formations. Une centaine d’entre eux sont de gros producteurs. C’est notre noyau», précise Yan Charbonneau.

Pendant ces années d’expansion, la direction d’AFL s’est également enrichie de l’ajout de nouveaux visages connus pour leur compétence. Ainsi, Lyne Lapointe est devenue directrice assurance vie et prestations du vivant en 2011. Elle avait précédemment passé une dizaine d’années au Groupe Cloutier en tant que spécialiste des prestations du vivant. «Sa venue a facilité le recrutement des conseillers», précise Yan Charbonneau.

Ayant démontré la pertinence de sa vision entrepreneuriale et son habileté à naviguer dans le monde de l’assurance, Yan Charbonneau a succédé au cofondateur Germain Fontaine en 2013 à titre de président-directeur général d’AFL.

Devenu maître à bord, il entend notamment élargir l’actionnariat du cabinet aux directeurs et aux vice-présidents. «Moi et ma conjointe, Marie-Ève Fontaine, qui est directrice du marketing, sommes propriétaires de 94 % des actions d’AFL. Nous voulons diminuer cette proportion afin de récompenser l’implication des directeurs et vice-présidents du cabinet», dit Yan Charbonneau.

Et c’est ce qui va bientôt se passer dans le cas de Lyne Lapointe.

«D’ici quelques mois, je deviens actionnaire. C’est un des éléments qui montrent à quel point Yan fait partager le succès autour de lui. Il a confiance en son entourage et il croit aux personnes avec qui il travaille. Il montre la direction à suivre tout en donnant la marge de manoeuvre et l’autonomie qui font qu’on peut exploiter toutes ses possibilités», dit Lyne Lapointe, qui est devenue vice-présidente exécutive d’AFL en janvier dernier.

Plus de 1 G$

En 2017, AFL Groupe financier a dépassé la marque symbolique du premier milliard de dollars géré en fonds d’investissement, soit en fonds distincts et en fonds communs de placement.

«Depuis 2011, nous enregistrons une progression annuelle d’au moins 15 % de l’actif et des ventes de fonds d’investissement. Et en assurance de personnes, l’augmentation annuelle des primes émises est d’au moins 25 %», signale Yan Charbonneau.

À court et moyen termes, les objectifs de croissance annuelle sont de 15 % concernant l’actif et les ventes de fonds. Ils sont de 25 % en primes émises en assurance de personnes.

«Ces objectifs sont très réalistes, car le monde de l’assurance et de l’épargne recèle énormément de potentiel. D’une part, nous sommes relativement peu présents dans la région de Montréal et notre impact grandira au cours des prochaines années. D’autre part, le secteur commercial, à savoir le collectif et les stratégies d’investissement sophistiquées, est peu exploité. Les clients nous demandent d’être plus présents. La demande est forte», dit-il.

Vers les «grands risques»

Ce père de famille de trois jeunes enfants a déjà été un athlète de haut niveau en natation, s’entraînant une trentaine d’heures par semaine du temps de ses études à l’Université de Sherbrooke. Il dit se servir de l’esprit d’endurance propre à cette discipline sportive afin de franchir les diverses étapes qui rapprochent AFL de l’univers des grands agents généraux.

«Nous avons beaucoup de travail à accomplir, car il nous faut croître. D’ici cinq ans, je crois qu’il ne restera tout au plus, au Québec, que cinq grands agents généraux indépendants et trois grands agents généraux appartenant à des assureurs. Et nous serons parmi les cinq grands indépendants», dit-il.

Les objectifs de Yan Charbonneau ne s’arrêtent pas là. «D’ici 10 ans, AFL deviendra un agent général pancanadien. Notre croissance s’étendra au-delà du Québec, par acquisitions et de façon interne», dit-il.

Le patron d’AFL estime que les agents généraux devront aussi monter en gamme.

«Les ventes de produits d’assurance de personnes sur Internet vont s’accélérer. Les réseaux de distribution propriétaires des assureurs en tireront profit grâce à leurs ressources financières. Les grands réseaux de distribution indépendants pourront également tirer leur épingle du jeu, à la condition d’investir du temps et de l’argent en technologies de l’information. Quant à nous, les agents généraux indépendants, nous devrons développer notre capacité à gérer les grands risques. Personne n’ira acheter des protections d’assurance de sept chiffres sur le Web !» dit-il.

Le patron d’AFL entend suivre la voie des «grands risques» – d’au moins 50 000 $ en primes – tout en continuant à servir le marché des produits de masse.

Toutefois, ajoute-t-il, le marché de masse risque de rétrécir comme une peau de chagrin au cours des prochaines années en raison de l’inéluctable rouleau compresseur de la vente sur Internet. Que faire ?

«Malheureusement, bien des conseillers n’ont pas encore fait le saut vers le numérique. Mais je pense que nos investissements en technologies de l’information nous permettront d’aider les conseillers à faire face à ces défis», affirme Yan Charbonneau. À suivre !