L'amour et l'argent font-ils bon ménage ?
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«Les couples parlent rarement d’argent sinon pour certaines dépenses au quotidien et le prix de différents produits. Mais ils ne doivent pas attendre une séparation pour discuter de questions plus importantes, comme la planification financière de la retraite», souligne la professeure-chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) – Centre Urbanisation Culture Société qui vient de cosigner le livre L’amour et l’argent : Guide de survie en 60 questions.

Si les conseils à l’égard de la planification financière, des placements ou encore de la Bourse sont légion, la manière dont l’argent circule à l’intérieur des ménages est moins souvent abordée, selon Hélène Belleau, qui précise que les conseillers en services financiers peuvent servir de courroie de transmission.

«Les conseillers ont un rôle extrêmement important, ne serait-ce que pour amener les couples à discuter de ces questions. Ils ont un oeil extérieur et peuvent présenter les divers scénarios qui s’offrent à leurs clients, selon leur situation financière et familiale», fait-elle valoir.

Hélène Gagné, planificatrice financière et gestionnaire de portefeuille chez Gestion Privée PEAK, fait écho à ces propos. «Quand un client m’approche, je lui demande toujours s’il a une conjointe, et que nous fassions la rencontre ensemble. En effet, il y a des sujets à aborder et des choix à faire qui ont des répercussions sur le couple», souligne-t-elle, en précisant qu’aujourd’hui, les femmes s’intéressent davantage aux questions d’argent.

Le couple qui a une perspective à long terme doit effectivement préparer ensemble son cheminement vers l’indépendance financière qui s’acquiert habituellement à la retraite, affirme aussi Gaétan Veillette, planificateur financier chez Groupe Investors.

«Bien des facteurs influencent la dynamique dans un couple. Le conseiller doit donc amener ses clients à s’informer, à réfléchir, à saisir des occasions, à agir, à être sensibilisés à certaines situations», précise-t-il.

Hélène Belleau note toutefois que certains conseillers n’ont pas les connaissances nécessaires pour parler de la gestion de l’argent dans le couple. «Certains ne savent même pas qu’il y a une différence importante si un couple est marié ou s’il vit en union libre lorsqu’il est question du partage du patrimoine familial. Pourtant, le Québec est le champion des unions libres au pays», a-t-elle pu constater.

D’amour et d’eau fraîche

Les couples fonctionnent principalement selon trois modes de gestion, note Hélène Belleau, qui a agi comme experte dans la célèbre saga judiciaire «Éric c. Lola». Plus de la moitié des ménages (54 %) mettent en commun leurs revenus et s’en servent pour payer toutes leurs dépenses, y compris les dépenses personnelles.

Dans 37 % des ménages, les conjoints conservent leurs propres revenus, mais paient ensemble les dépenses communes. Celles-ci sont le plus souvent payées au prorata des revenus de chacun (21 %), soit assumées moitié-moitié (16 %). Enfin, dans 9 % des couples, un seul conjoint paie toutes les dépenses du ménage. Les couples recomposés sont plus enclins à partager les dépenses que les couples qui n’ont pas encore connu de rupture.

Chacune de ces formules a ses avantages et ses inconvénients, constate Hélène Belleau. Par exemple, la mise en commun des revenus permet de mettre dans la balance le temps rémunéré consacré aux enfants, aux courses et à l’entretien de la maison. Ce mode de fonctionnement peut aussi devenir un piège.

«Celui qui gagne le plus est celui qui a le plus de légitimité pour décider des dépenses. La personne qui gagne moins restreint souvent d’elle-même ses dépenses, même si l’autre ne fait aucune pression en ce sens», indique la sociologue, qui mène des recherches sur la famille et la gestion de l’argent au sein des couples depuis une dizaine d’années.

Conseiller au secours

Un conseiller qui traite un dossier de couple doit d’ailleurs clarifier plusieurs points, précise Gaétan Veillette. Il doit justement connaître le statut (marié, en union de fait), le mode de gestion des épargnes et dépenses ou savoir comment se répartit le patrimoine de chacun des membres.

Il n’est pas souhaitable, entre autres, de concentrer la détention du patrimoine ou d’en confier l’administration à un seul membre du couple. Il importe aussi d’avoir des actes légaux appropriés : convention de vie commune, procuration, mandat en cas d’inaptitude, testament, contrat de mariage, convention d’actionnaire.

Force est de reconnaître toutefois que «la majorité des actifs est bien souvent au nom du conjoint, parce qu’il a généralement gagné de meilleurs salaires et que la femme a dû s’absenter du travail pour des congés prolongés de maternité», constate Hélène Gagné.

La question du revenu familial est d’ailleurs un mythe entretenu par le gouvernement qui additionne les revenus des deux conjoints et utilise ces statistiques pour déterminer l’accès à différents programmes sociaux, affirme Hélène Belleau.

Or, l’idée même du revenu familial suppose que les couples mettent en commun leurs revenus, qu’ils ont accès à cet argent et qu’ils partagent les dépenses communes. Les recherches menées par la sociologue démontrent pourtant qu’on est loin du compte.