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Cette réforme risque de priver plusieurs clients de détail de l’accès au conseil financier et d’accroître le coût du conseil, ce qui pourrait nuire à l’accumulation de patrimoine retraite de ces investisseurs.«On ferait en sorte que ceux qui ont le plus besoin de conseil se retrouvent dans une situation moins propice pour aller en chercher. Ce n’est pas nécessairement très bien», a-t-il expliqué lors du 11e colloque de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec, à la fin d’avril.

Ainsi, la nature abstraite du conseil financier fait en sorte qu’il serait une erreur de le dissocier du produit financier, selon Pierre Lortie. Les clients sont incapables d’évaluer avec confiance la qualité des conseils et le caractère raisonnable du coût des services qu’ils ont reçus, même après des achats répétés. «Face à cette issue incertaine, une grande proportion d’individus s’abstiendront de s’adjoindre un conseiller s’ils sont tenus de payer à l’avance pour un service dont ils ne parviennent pas à saisir la valeur», dit-il.

Résultat, on risquerait de creuser un déficit de conseil entre les clients riches, qui ont les moyens de se payer le conseil et qui sont plus rentables pour l’industrie financière, et les autres clients de détail. Pierre Lortie a souligné que la réforme au Royaume-Uni, qui prévoyait l’abolition des commissions, a résulté en une diminution significative du nombre de conseillers et à l’établissement de seuils minimum élevés d’actif à investir.

Dans le cadre d’un modèle de tarification basé sur la valeur des actifs sous gestion, le seuil minimum pour maintenir un «compte avec un conseiller» au Canada est estimé à 150 000 $, a affirmé Pierre Lortie. En tout, 80 % des ménages canadiens possèdent moins de 100 000 $ en actifs financiers à investir.

Transparence détruite

Un autre risque lié à l’imposition d’une forme de rémunération directe est la hausse du coût du conseil. Celle-ci serait la conséquence de la disparition de la transparence dans les coûts.

«La comparaison du coût total entre les intermédiaires financiers est rendue inaccessible aux investisseurs individuels parce que les entreprises ont pour politique de ne pas divulguer publiquement les charges réelles imposées à leurs clients», a noté Pierre Lortie.

Un autre effet pervers potentiel de l’abolition des commissions intégrées serait de favoriser les institutions financières qui sont à la fois manufacturières et distributrices de produits d’investissement. Pierre Lortie appelle cette stratégie de concentration : «structures verticales».

«La performance des produits dans les structures verticales est inférieure à celle [des structures] où il y a de la concurrence», a-t-il estimé. Dans ces structures, les conseillers ont aussi tendance à privilégier les dépôts bancaires plutôt que les actifs financiers à rendement plus élevé, ce qui peut nuire au potentiel de rendement et d’accumulation d’actif du client, a soutenu Pierre Lortie.

S’appuyant sur différentes études, il a souligné que la valeur du conseil réside dans le fait d’encourager les clients à épargner de manière disciplinée et à investir dans des portefeuilles plus équilibrés et mieux diversifiés.

Par conséquent, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) devraient reconnaître que les commissions intégrées sont efficaces pour fournir des conseils financiers abordables et très accessibles.

Rappelons que les ACVM montrent du doigt plusieurs travers des commissions : elles peuvent inciter courtiers et représentants à faire des recommandations partiales et donnant priorité à la maximisation de leur rémunération plutôt qu’aux intérêts du client. De plus, le fait que la rémunération des courtiers est intégrée dans le produit restreint la capacité du client de contrôler directement ce coût, lit-on dans la consultation 81-408 sur l’option d’abandonner les commissions intégrées. En outre, les commissions intégrées sont payées aux courtiers sans égard à l’importance des services que fournit le représentant à son client.

La valeur de la discipline

Lors du même événement, Claude Montmarquette, professeur émérite au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal et qui a étudié depuis plusieurs années la valeur du conseil financier, a souligné que le fait d’avoir un conseiller accroît significativement le taux d’épargne d’un client.

Lorsque ce dernier cesse d’entretenir sa relation avec un conseiller, l’impact se fait sentir sur ses avoirs financiers qui en pâtissent également. «Nos résultats indiquent qu’en moyenne, les ménages qui ont gardé leur conseiller ont vu la valeur de leurs actifs financiers augmenter de 16,4 % [entre 2009 et 2013], alors que les ménages qui ont laissé tomber leur conseiller présentent une hausse de 1,7 %», a-t-il noté. D’où l’importance d’avoir une relation continue dans le temps avec un conseiller afin d’en bénéficier.

Claude Montmarquette a également souligné que les ménages qui ont des revenus de 90 000 $ ou plus profitent davantage et plus rapidement du soutien d’un conseiller. Leur avoir net s’améliore de manière significative par rapport aux ménages de même catégorie qui n’ont pas de conseil après aussi peu que quatre ans de relation avec un conseiller, et cet écart favorable augmente avec le temps.

Chez les ménages gagnant moins de 35 000 $, cet écart favorable est moindre, en raison des sommes inférieures à investir, et apparaît souvent plus tard dans le temps. Il demeure tout de même significatif après 15 ans.