Début de méfiance envers les obligations à rendement élevé
tidty / 123RF Banque d'images

« Il est évident qu’après une forte remontée, le marché est désormais beaucoup plus cher qu’il y a un an », dit M. Kocik, directeur général auprès de la société torontoise Gestion de Placements TD et gestionnaire principal du Fonds d’obligations à haut rendement TD (1,2 G$ d’actifs sous gestion). « Mais la question est la suivante : où en sommes-nous dans le cycle et l’écart actuel de 395 points de base (pdb) est-il comparable à celui d’il y a, disons, 10 ans, juste avant la crise financière? » En juillet 2007, les écarts étaient à 250 pdb, le plus bas jamais enregistré. Cela suggère, selon M. Kocik, que les écarts actuels ont encore de la marge.

Sur une note positive, dit M. Kocik, il y a moins de sensibilité aux taux d’intérêt dans les obligations à rendement élevé car la durée effective a baissé jusqu’à environ quatre ans, alors qu’elle était de 4,4 ans en juin 2007. Quant à la qualité des obligations, leur cote de crédit moyenne (B-plus) n’a pas changé en dix ans.

« De plus, après la « récession » des marchandises en 2014-2015, il ne semble pas y avoir de gros déséquilibres, comme des excès d’offre dans l’habitation et l’automobile, au sein des États-Unis et d’autres pays développés. Cela suggère que la situation des évaluations n’est pas aussi mauvaise qu’en 2007 », dit M. Kocik, ajoutant que le rendement total est à présent de 5,75 % pour le marché américain des obligations à rendement élevé dans son ensemble.

Le marché a connu deux grosses liquidations ces sept dernières années; il y a d’abord eu 2011, année où la dette du gouvernement américain a subi une décote, et puis l’effondrement du secteur énergétique en 2015-2016. On se pose alors la question suivante : la période actuelle est-elle ce qu’on appelle le calme avant la prochaine tempête? Greg Kocik réplique : « Le secteur énergétique a été énormément secoué, et la situation s’est plus ou moins stabilisée. Mais quelle est la suite? Est-ce que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, ou est-ce l’annonce d’un tournant quelconque? »

Ce n’est pas le fait que la Réserve fédérale soit dans une phase de resserrement qui l’inquiète; c’est sa conviction que le marché n’est pas prêt à un rajustement possible du bilan de la Fed plus tard cette année, et n’investira pas le produit des billions de dollars dans des obligations. « Il se peut que la Fed ne les vende pas, mais sur une base nette à court terme, ce n’est qu’une offre additionnelle d’obligations sur le marché.

Il observe que le secteur des obligations à rendement élevé a cessé son ascension en avril. Et depuis lors, le bilan de la Fed est « un des problèmes qu’on essaie de résoudre », dit-il, ajoutant que la récente chute du prix du pétrole brut a aussi accentué le niveau d’incertitude.

« Nous sommes très prudents sur les obligations à rendement élevé, dit Greg Kocik. L’économie va bien, mais à ce stade du cycle, on va voir les sociétés adopter une attitude plus favorable aux actionnaires, comme des rachats par endettement et des paiements de dividendes, qui seront probablement financés par les obligations à rendement élevés ou d’autres émissions d’obligations. Cela ne fera qu’augmenter l’offre, et peut finir par déprimer le prix des obligations. »

En fait, si l’Amérique du Nord en était vers la fin du cycle, il y aurait un élargissement important de l’écart, dit M. Kocik. « Le marché à rendement élevé convient si la croissance économique est d’environ 1 ou 2 %. Mais si elle chute sous les 1 %, c’est une liquidation qui s’annonce. Ce n’est pas notre scénario de base, mais nous y pensons. »

Dans l’environnement actuel, Greg Kocik maintient qu’il peut encore trouver des obligations à rendement élevé capables de produire des rendements autour de 5 %, ce qui est encore attrayant par rapport aux obligations gouvernementales. « Il y a beaucoup d’obligations de courte durée qui étaient jadis de qualité supérieure mais qui ont subi une décote après la crise financière, puis la crise énergétique, et dont l’échéance est de trois à quatre ans, mais qui rapportent de 4 à 5 %. Nous pouvons les détenir pendant plusieurs années et en récolter le coupon. »

D’un point de vue stratégique, il est pleinement investi, et principalement aux États-Unis. Il possède environ 180 obligations émises par 110 sociétés. « Nous avons un penchant pour le segment non cyclique de l’économie », dit M. Kocik.

Au nombre des obligations qu’il aime bien, il y a celles qui sont émises par HCA Healthcare, le plus gros exploitant d’hôpitaux aux États-Unis. Cette société a une obligation qui arrivera à échéance en février 2020, qui est cotée BB-plus/BBB et qui rapporte environ 3 %. « Elle pourrait devenir de qualité élevée si elle s’arrêtait de racheter des actions. Elle est juste un peu agressive dans l’utilisation de ses flux de trésorerie pour payer les actionnaires, mais elle a plus de 100 hôpitaux, c’est une intervenante très stable dans le secteur et son obligation arrive à échéance dans moins de deux ans et demi. »

Un autre émetteur préféré est Ally Financial, l’ancien service de financement de General Motors. « Même si les ventes d’automobiles sont actuellement en baisse, nous pensons qu’Ally peut facilement manœuvrer dans n’importe quelle situation de chute des ventes d’autos. Les obligations auraient été de qualité supérieure si ce n’était pas du nivellement récent des ventes et de quelques rachats d’actions. » L’obligation à l’échéance de septembre 2020, cotée BB-plus, rapporte 3,5 %. « Cette obligation est assez recherchée. Si quelque chose de mal arrivait sur le marché obligataire, nous pouvons facilement la vendre. »

Il est important de noter que Greg Kocik est prudent quant à la durée effective car elle est de 2,6 ans, soit 1,4 ans de moins que l’indice Bank of America Merrill Lynch BB-B U.S. High Yield (couvert en dollars canadiens). « Nous sommes préoccupés par la rationalisation du bilan de la Réserve fédérale et la manière dont cela pourrait effrayer le marché obligataire dans son ensemble. Cela pourrait mettre de la pression sur tous les marchés d’obligations, y compris celui du crédit, même si l’économie est robuste. Une économie forte est une bonne chose pour les obligations à rendement élevé parce qu’elle signifie de gros profits. Toutefois, la perturbation des marchés obligataires pourrait être importante et aboutir à un ralentissement de l’économie. »