Risques du décaissement

Bien qu’une partie des revenus des retraités soit assumée par des régimes gouvernementaux à prestations déterminées, la majorité des clients épargnent pour la retraite dans un régime à cotisation déterminée autogéré ou collectif. Selon l’étude de l’Institut C.D. Howe, les probabilités que l’actif se déprécie sous un seuil préoccupant au cours de la retraite ont augmenté depuis l’établissement des règles de décaissement du FERR en 1992.

Le premier risque en est un de longévité, puisque l’espérance de vie d’un homme de 71 ans est passée de 11,2 à 14,4 ans, et celle d’une femme, de 14,6 à 16,9 ans, selon les tables de mortalité de l’époque et celles de 2009-2011 (les données les plus récentes disponibles au Canada).

Le deuxième risque du décaissement cerné par l’Institut C.D. Howe est lié au rendement des actifs sans risque. Le rendement annuel composé nominal ajusté à l’inflation d’un portefeuille d’obligations du gouvernement du Canada, avec des échéances correspondant grosso modo aux retraits prévus, est passé de 5,7 % à 0,25 % entre 1992 et 2014. Le rendement réel d’un tel portefeuille en octobre 2015 est désormais sous 0 %.

En utilisant un taux de rendement réel de 0 %, l’Institut C.D. Howe calcule que la valeur réelle d’un dollar détenu dans un FERR ne sera plus que de 50 cents à 83 ans, pour passer à seulement 10 cents à l’âge de 96 ans.

Bien qu’il s’agisse d’un âge vénérable, les statistiques actuelles prédisent qu’un homme sur 10 et une femme sur 6 atteindront leur 96e anniversaire. Et comme l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, il se pourrait bien que de nombreux épargnants canadiens soient dans le besoin au moment même où ils sont les plus vulnérables en matière de sécurité financière.

Dangereuses, les actions ?

La théorie veut que l’on diminue la pondération en actions d’un portefeuille au fur et à mesure qu’un investisseur avance en âge. Sa tolérance au risque est généralement moins élevée avec le temps, l’horizon de placement est moins long, et le besoin de croissance du capital est moins présent.

Cependant, l’analyse de C.D. Howe porte à réfléchir : qu’adviendra-t-il de la sécurité financière des épargnants âgés si les taux obligataires devaient rester bas pendant une longue période ? Le Japon, avec des taux obligataires gouvernementaux à 10 ans sous la barre des 2 % depuis 1998, en est après tout un exemple bien réel. Afin d’éviter le pire, surtout pour des investisseurs qui n’ont pas un ratio élevé de couverture de leurs besoins à la retraite, est-il concevable d’investir en actions avec une approche strictement axée sur le décaissement ?

Une analyse menée par la firme Turtle Creek Asset Management permet d’évaluer la performance des actions dans un contexte de décaissement constant. Turtle Creek a créé un modèle de décaissement très simple pour son fonds d’actions. La firme détermine un taux de versement «raisonnable» au début de chaque année, avec pour objectif de verser une distribution mensuelle sans jamais éroder la valeur ajustée à l’inflation du capital initial.

Le taux de versement annuel initial de 1999, soit la première année complète d’existence du fonds, était de 4,4 %. Appliqué au marché canadien en général, un million de dollars investi au début de 1999 dans l’indice composé S&P/TSX aurait alors généré un revenu annuel de 44 000 $. En suivant leur formule de décaissement dite raisonnable, le montant initial d’un million de dollars serait devenu 1 624 000 $ au début de 2015, et la distribution annuelle serait passée de 44 000 $ à 81 000 $. Ajusté à l’inflation, le capital restant serait de 1 191 000 $, soit près de 20 % de plus qu’à l’origine. Si cette formule était appliquée à une gestion de portefeuille active procurant une valeur ajoutée par rapport aux rendements du S&P/TSX, les résultats pourraient être encore plus intéressants.

Turtle Creek en vient à la conclusion que les investisseurs surévaluent les titres à revenu fixe, en ce sens qu’ils acceptent des taux extrêmement faibles pour subir moins de volatilité. Si les clients se concentraient davantage sur les montants qu’ils reçoivent plutôt que sur les fluctuations boursières, ils seraient en bien meilleure posture, et pourraient générer des revenus stables tout en protégeant la valeur ajustée à l’inflation de leur capital.

Tout dépend des hypothèses

Bien que les exemples discutés n’énoncent pas les mêmes hypothèses de taux de décaissement, la réflexion quant à la répartition de l’actif adéquate pour un investisseur avide de revenus, reste de déterminer comment protéger son capital dans un contexte de faibles taux d’intérêt.

L’étude de l’Institut C.D. Howe présente un portefeuille entièrement investi dans les titres les plus sécuritaires qui soient, offrant le plus faible rendement de toutes les valeurs mobilières traditionnelles. Leur démonstration met en lumière le problème des hypothèses en gestion des avoirs. L’hypothèse actuelle du gouvernement dans l’implantation des nouveaux taux de retraits du FERR est de 3 % de rendement réel sur un portefeuille sans risque, alors que les taux actuels ne sont pas à ce niveau et que rien n’indique pour l’instant qu’ils effectueront un rattrapage suffisant pour y parvenir dans un court laps de temps.

Dans ce contexte, la valeur du conseil prend tout son sens afin d’avoir une perspective à long terme. Même en décaissant lors de périodes de baisse des marchés, l’analyse de Turtle Creek démontre que la sécurité financière est davantage préservée en investissant dans les actions que dans les obligations les plus sécuritaires. Il reste à trouver la recette idéale entre les deux afin d’atteindre l’équilibre délicat entre le profil de l’investisseur et ses besoins financiers à long terme.

Par ailleurs, au moment de mettre sous presse, il n’était pas possible de savoir si l’élection du Parti libéral du Canada aurait ou non un impact sur les nouveaux taux de retrait minimum d’un FERR.