Les investisseurs doivent faire leurs recherches
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Selon eux, les journalistes ne liraient pas les états financiers, les comptables seraient complaisants dans leur travail de vérification des états financiers et les autorités de réglementation laisseraient à peu près tout passer par incompétence. Même les conseillers n’échappent pas à leur critique au vitriol, car ils seraient trop nombreux à privilégier leur intérêt pécuniaire aux dépens de leur devoir fiduciaire. En conséquence, les fraudeurs et les promoteurs de manigances boursières auraient beaucoup de facilité, au Canada, à tromper les investisseurs crédules et ignorants.

Al et Mark Rosen, qui travaillent en tandem père et fils, sont des experts reconnus en juricomptabilité. Leur cabinet, Rosen Law Firm, arrive au deuxième rang canadien pour le nombre de règlements en recours collectifs touchant les valeurs mobilières.

Pourraient-ils être amenés à noircir le tableau en raison de leur rôle de spécialistes des tribunes judiciaires en matière de fraudes ?

«Les Rosen ont une longue expérience comme témoins experts dans des causes en juricomptabilité. Ils interviennent dans des cas extrêmes, ce qui teinte leur perception et rend leur point de vue très tranché», dit Michel Magnan, professeur de comptabilité à l’Université Concordia.

Les IFRS dans la mire

La charge à fond de train des Rosen père et fils ne s’arrête pas là. Elle porte également sur les normes internationales d’information financière (IFRS).

Utilisées depuis 2011 par les sociétés ouvertes canadiennes, les IFRS ont succédé aux principes comptables généralement reconnus (PCGR) qui continuent à être utilisés aux États-Unis.

Selon les auteurs, les IFRS permettraient de gonfler artificiellement les revenus et les flux de trésorerie (cash flows).

Les Rosen estiment que les PCGR procuraient une protection supérieure aux investisseurs. En conséquence, ils préconisent que le Canada imite les États-Unis en revenant aux PCGR.

Focus sur les attrapes comptables

Cela dit, c’est dans la dissection des techniques de maquillage comptable que les auteurs donnent leur pleine mesure.

En quelques chapitres bien tournés, ils décrivent comment les responsables d’états financiers peuvent gonfler artificiellement – et sans qu’il n’y paraisse – les flux de trésorerie, revenus et profits. Les auteurs illustrent aussi comment des responsables d’états financiers peu scrupuleux peuvent camoufler des pertes.

Ainsi, au lieu de rapporter des créances irrécouvrables, certains états financiers mentionneront des «prêts à long terme» ou des «investissements». Parfois, l’expression «autres actifs» recèlera de faux investissements qui devront un jour être reconnus comme des dépenses. L’indicateur du BAIIA ajusté (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement) pourrait être manipulé de façon à éviter des dépenses d’intérêt et des impôts, ou à inclure des estimations de revenus futurs dans la colonne des profits générés.

Les auteurs donnent quelques indices afin de repérer ces dangers de tromperies. Ils suggèrent notamment de prendre l’habitude de comparer les états financiers d’une année à l’autre. Ils préconisent la lecture régulière des notes afférentes. Ces notes peuvent en apprendre beaucoup sur les conditions d’achat lorsque l’entreprise effectue des acquisitions. Disent-elles que le prix d’achat reflète la juste valeur marchande telle qu’établie par des consultants indépendants ? Ou leur formulation reste-t-elle vague ?

Gare aux fiducies et aux acquisitions

Al et Mark Rosen consacrent un chapitre aux fiducies de revenu. Ils mettent en garde sur la possibilité que leurs dividendes proviennent d’entrées nettes ou de prêts. La progression de la dette constitue un indice clé permettant de repérer ce type d’arnaque.

Les juricomptables mettent également l’accent sur les impacts négatifs des acquisitions agressives. Car certaines entreprises camouflent leurs difficultés en en achetant d’autres. Elles bâtissent alors un réseau inextricable de filiales et de sociétés apparentées qui rend les états financiers très opaques.

Les comptables qui auditent les états financiers pourraient-ils repérer les indices de fraudes et creuser afin d’en savoir plus ? Selon Al et Mark Rosen, depuis une décision de la Cour suprême rendue en 1997, les auditeurs externes ne peuvent pas être accusés de négligence lors de leurs activités d’audit, sauf au Québec, où les tribunaux seraient plus sévères.

En conséquence, les auteurs préconisent la création d’une autorité pancanadienne aux pouvoirs élargis en matière de poursuites judiciaires, à l’image de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis.

Quelques bémols

Le Canada est-il vraiment le paradis des fraudeurs boursiers que dépeignent les experts-comptables d’Easy Prey Investors ?

«Les fraudes sont nombreuses aux États-Unis !» pondère Michel Magnan.

Contrairement aux Rosen père et fils, le professeur de comptabilité de l’Université Concordia ne croit pas que les normes IFRS rendraient les investisseurs canadiens plus vulnérables.

«Les études universitaires montrent que les IFRS et les PCGR s’équivalent par rapport à la qualité de l’information comptable», dit ce chercheur qui a signé plus de 100 articles scientifiques en comptabilité.

Michel Magnan ajoute que «les auditeurs ne peuvent pas tout faire et les régulateurs ne peuvent pas tout surveiller. Les investisseurs ont leur part de responsabilité. Tout est question de ressources !»