Lente évolution techno des régulateurs
123RF/ Turgay Gundogdu

Les responsables de la conformité interrogés jugent sévèrement la rapidité des régulateurs à adapter leur cadre règlementaire aux changements technologiques. Ils leur accordent une note de 6,1 à 6,6 points sur 10 pour cet élément.

Les répondants des secteurs de l’assurance et du plein exercice donnent les pires notes à l’Autorité des marchés financiers (AMF) et à l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), alors que ceux qui travaillent en épargne collective sont moins sévères envers la Chambre de la sécurité financière (CSF) et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM).

«Les attentes de la clientèle en matière de technologies sont beaucoup plus grandes que ce que les régulateurs sont capables de livrer», dit un répondant.

«L’AMF est lente à s’ajuster. Quant à la réglementation de l’OCRCVM, elle a été élaborée il y a longtemps et certaines règles sont moins pertinentes», dit un autre.

Un répondant du secteur de l’assurance souligne : «L’AMF et la CSF sont lentes à s’adapter en matière de distribution. Par exemple, les clients ne se déplacent que rarement dans les succursales physiques et privilégient l’utilisation d’Internet, alors les modes de communication et de transaction doivent être mieux adaptés».

Quelques répondants se plaignent du fait qu’«il y a encore beaucoup de papiers à remplir», tandis que d’autres déplorent l’absence d’encadrement de la signature électronique.

Miser sur la prudence

Il est difficile, au Québec, de juger clairement de la capacité des régulateurs d’adapter leur encadrement aux bouleversements technos, selon Marylène Royer, Directrice Conformité, Distribution, Assurance de personnes et épargne (Est du Canada) chez Desjardins Sécurité Financière : «Le ministre des Finances du Québec, dans le cadre de la révision de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF), a demandé des commentaires à l’industrie sur différents aspects de cette question, dont la vente d’assurance par Internet. Un projet de loi devrait suivre au cours de l’année», dit-elle.

Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF, affirme pour sa part dans un courriel que le régulateur déploie «des efforts considérables pour adapter ses pratiques et faire évoluer le cadre réglementaire en fonction de ces changements».

Les lois du secteur financier du Québec n’ayant pas été rédigées en fonction des réalités technologiques émergentes, il souligne que le gouvernement révisera plusieurs d’entre elles, dont la Loi sur les assurances et la LDPSF, «notamment pour prévoir un cadre applicable à l’offre d’assurance en ligne».

À ce sujet, Louis Morisset souligne que l’AMF a dirigé les travaux du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) ayant mené à la publication en 2013 d’un «Énoncé de principes sur le commerce électronique des produits d’assurance», en plus de publier son propre rapport sur l’offre d’assurance par Internet en 2015.

Il souligne aussi la mise en place de deux régimes de financement participatif en capital (crowdfunding), de concert avec les autres régulateurs des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), et la création d’un groupe de travail interne chargé notamment d’effectuer une vigie des pratiques et du développement de l’encadrement réglementaire des fintech à l’échelle mondiale, et de déterminer les enjeux et les risques émergents.

Selon Marylène Royer, le futur cadre règlementaire devra parvenir à concilier plusieurs intérêts divergents, mais le défi reposera aussi sur les épaules de l’industrie, «car l’application de ce cadre risque de susciter de beaux défis sur le plan technologique et en matière de modèles d’affaires».

«Nous réexaminons nos approches en ce qui concerne le processus de connaissance du client et l’évaluation de la convenance afin d’arrimer notre cadre règlementaire à la nouvelle série d’outils et de modèles de service qui sont proposés aux investisseurs», mentionne par courriel Claudyne Bienvenu, vice-présidente de l’OCRCVM pour le Québec. Elle ajoute que l’organisme a produit deux guides visant à aider ses membres à se protéger contre les cybermenaces.

Ian Gascon, président de Placements Idema, qui a lancé un quasi robot-conseiller en 2010, constate «une évolution du point de vue du régulateur sur le sujet». Cependant, il observe généralement «peu de changements dans la réglementation, si ce n’est des précisions sur l’interprétation de la réglementation et sur la responsabilité des entreprises utilisant des plates-formes technologiques».

Gino Savard, président de Mica Services financiers, estime de son côté «qu’il y a des gens allumés à l’AMF qui ont un oeil très avisé sur ce qui se fait ailleurs dans le monde. Nous sommes en désaccord en ce qui a trait à l’offre d’assurance par Internet, mais ils sont bien intentionnés et ils sont conséquents dans leurs actions».

En contrepartie, les répondants accordent de meilleures notes aux régulateurs quant à leur aisance à utiliser une technologie convenable dans leurs relations avec l’industrie. Les responsables de la conformité interrogés leur donnent une note variant de 6,7 à 7,5 points, laquelle est dans la moyenne ou supérieure à celle-ci.

Certains répondants estiment que les sites Web des régulateurs sont bien construits, alors que d’autres soulignent les difficultés à y trouver l’information recherchée. «La CSF s’est améliorée avec sa nouvelle plateforme qui est agréable. À l’AMF, ils se sont améliorés, mais ce n’est pas user-friendly pour l’industrie», commente un répondant.

Tous les répondants n’ont toutefois pas la même aisance face à la technologie. «Les régulateurs ont beaucoup évolué depuis 2008 ; il n’est pas évident pour les conseillers de suivre les changements de la règlementation», évoque un répondant.

«Nous venons de lancer notre nouvelle plateforme de formation en ligne plus conviviale pour nos membres, et les commentaires sont bons», signale Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF.

«Nous voulions répondre ainsi à un besoin de nos membres et pouvoir offrir de la formation de partout au Québec. Nous avons aussi le site Info-déonto pour soutenir la pratique des membres. Nous travaillons également à rendre la gestion des UFC en ligne la plus conviviale possible», ajoute-t-elle.

Quant à elle, l’AMF a procédé, ces dernières années «à des changements majeurs de ses systèmes afin d’offrir des services en ligne à ses clientèles d’assujettis», mentionne Louis Morisset.

Il estime que ces services en ligne «permettent notamment de faciliter le traitement des demandes relatives à l’entrée en carrière, à la certification et au renouvellement de certificats des représentants, ainsi qu’à l’inscription des cabinets, firmes et individus». D’autres modifications sont également en développement pour d’autres secteurs, toujours dans l’optique de faciliter les communications et la transmission de documents entre les assujettis et l’AMF, ajoute Louis Morisset.

«Les régulateurs s’ajustent tranquillement, mais ça a pris du temps. On est en train, finalement, de se sortir de l’univers du fax», constate Gino Savard.

«Dans le cadre des inspections, nous avons mis une journée et demie pour remettre tous les documents demandés. Avant l’inspection, nous avons un questionnaire à remplir et il faut déposer tous les documents sur un portail. Le téléversement se fait un document à la fois, et c’est très lent», témoigne un répondant au sondage.

À l’instar de l’ACCFM, l’AMF a un site sécurisé d’échange d’information. «Lorsqu’ils sont sur place, nous pouvons numériser les documents requis tels que les politiques, procédures ou dossiers clients s’ils ne le sont pas déjà, ce qui évite l’impression d’une multitude de copies et de faire circuler des dossiers officiels avec les risques que cela entraîne. C’est très efficace et on garde facilement des traces de ce qui a été remis», témoigne Marylène Royer.

«Oui, la numérisation prend un certain temps, mais est-ce plus long que lorsque nous faisons des copies ?» tempère-t-elle.

Le principal bémol évoqué par les répondants concerne le service d’authentification clicSÉQUR de l’AMF, qui est notamment utilisé dans le cadre du processus d’inscription et de renouvellement de l’inscription.

«Il y a encore beaucoup d’incompréhension liée à son utilisation du côté de la force de vente, constate Marylène Royer. Les gens n’y vont pas souvent, ils oublient leur mot de passe et l’ordre dans lequel il faut faire les choses, ce qui peut générer des situations regrettables». Il y a manifestement un bel effort de la part de l’AMF pour aller vers le service en ligne, selon elle, «mais ce n’est peut-être pas tout le monde qui est à l’aise avec ce cheminement».