Larguer les obligations est une mauvaise idée
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«L’indice obligataire universel au Canada a perdu 1 % de sa valeur en septembre et est en recul de 3 % pour l’année au 30 septembre. Ces faibles rendements sont susceptibles d’avoir à court terme des répercussions négatives sur les flux de capitaux dans le marché obligataire. Au cours de l’année écoulée, certains fonds comme le fonds de revenu mensuel Pimco et le fonds à revenu stratégique Manuvie ont tiré leur épingle du jeu et ont vu leurs actifs croître passablement pendant cette période. Leurs stratégies ne sont pas classiques (plain vanilla) et peuvent inclure des obligations hypothécaires étrangères, des titres à rendement élevé et des obligations souveraines de pays étrangers», souligne James Gauthier, chef de la recherche sur les fonds chez Industrielle Alliance Valeurs mobilières.

Par ailleurs, la sous-catégorie des fonds d’obligations étrangères a également bien performé en 2016 et depuis le début de 2017, enregistrant une croissance de ses actifs ainsi que des ventes nettes positives, selon Investor Economics. Les entrées de capitaux dans plusieurs fonds mondiaux de revenu fixe sans contraintes ont été appréciables, selon Dan Hallett, analyste de fonds et vice-président de HighView Financial Group. Les fonds sans contraintes chercheront à générer du rendement en investissant dans plusieurs catégories d’actifs et divers secteurs. L’utilisation d’instruments dérivés est parfois permise. Ils ne sont généralement pas liés à un indice de référence.

«Il est toutefois beaucoup plus difficile de prévoir ce qui arrivera dans les prochains mois, vu la hausse appréciable des taux cette année au Canada», affirme Dan Hallett. Par exemple, le taux des obligations du gouvernement canadien à échéance à deux ans a presque triplé depuis douze mois, passant de 0,55 à 1,60 % en septembre dernier.

«Les mouvements d’actif dans les fonds de revenu fixe sont bien souvent le reflet de la performance récente, et donc passée, de cette catégorie d’actif plutôt que du rendement attendu dans le futur», observe Michael McHugh, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Gestion d’actifs 1832. Ce dernier supervise la gestion d’environ 7 G$ d’actif en revenu fixe pour les fonds Dynamique.

«L’engouement pour les fonds à haut rendement suit une période de bonne performance pour cette catégorie de titres. On se tourne vers des catégories d’actifs plus risqués, alors que la compensation en fonction du risque pour l’investisseur est à son plus bas depuis plusieurs années», constate le portefeuilliste.

«Comme investisseur, on doit plutôt se demander quelle est la bonne composante de risque à détenir dans le portefeuille lorsqu’on détermine l’allocation des actifs. Ceci inclut le type de crédit, la durée et la composition sectorielle des titres. Ne sachant pas ce que nous réserve l’avenir, il faut déterminer quel compromis est acceptable et justifie d’augmenter ces risques si les choses ne se passent pas comme prévu. On veut éviter de surpondérer ou de sous-pondérer certaines catégories d’actifs», ajoute Michael McHugh.

«Tout ce qui concerne le crédit corporatif nous semble actuellement cher. Nous avons donc diminué nos positions dans les obligations à rendement élevé. Dans notre portefeuille de titres de bonne qualité (investment grade), nous avons augmenté la qualité du crédit tout en réduisant légèrement notre duration», précise-t-il.

Plaidoyer pour la qualité

Depuis un an, les taux d’intérêt sont en hausse et pourraient monter encore dans les prochains mois, particulièrement dans le segment à court terme de la courbe, selon James Gauthier : «Nous ne sommes cependant pas des prévisionnistes de taux d’intérêt. Nous croyons que les obligations de grande qualité doivent faire partie d’un portefeuille afin de jouer leur rôle de filet de sécurité et de protection dans le cas d’une récession ou d’une catastrophe boursière. Ceux qui détiennent des obligations pour cette raison doivent continuer à le faire.»

Pour ces clients, réduire l’allocation en obligations pour acheter plus d’actions ne serait pas une bonne tactique, estime James Gauthier : «Ceux qui souhaitent rehausser la performance

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de leurs placements en ajoutant des titres à rendement élevé doivent le faire de manière modérée. On pourrait donc détenir entre 10 % et 30 % de la portion à revenu fixe du portefeuille dans de tels titres, tout dépendant des besoins du client et de sa tolérance au risque.»

Les clients inquiets ne devraient pas écarter l’idée de placer temporairement des montants dans des fonds sécuritaires, soutient James Gauthier. «Les comptes d’épargne à intérêt élevé (High ISA) offrent des rendements autour de 1,5 %, souvent sans frais.» Ils sont également admissibles à la protection de 100 000 $ de la Société d’assurance-dépôts du Canada.

«Pour gagner de nouveaux actifs, certains conseillers seront prêts à chasser le rendement et cela peut être risqué», remarque Dan Hallett. Selon lui, les obligations de grande qualité auront toujours leur place dans le portefeuille des épargnants et en posséder au moins 50 % de la portion à revenu fixe du portefeuille a du sens. Ils permettent de stabiliser les revenus et vont protéger le portefeuille en limitant les pertes en période de grande volatilité boursière.

Quant aux marchés privés, bien qu’ils offrent des revenus et des rendements attrayants, ils sont également beaucoup moins liquides. «On peut en détenir un peu dans le portefeuille, mais il faut avoir la flexibilité de rééquilibrer le portefeuille en ajoutant des actions après un recul boursier. Les titres de grande qualité seront faciles à vendre, ce qui n’est pas le cas des placements privés», note Dan Hallett.

Quelle duration choisir ?

Qu’en est-il du choix de la duration du portefeuille obligataire des clients ? Bien que celle de l’indice obligataire universel FTSE TMX Canada soit supérieure à 7 ans, beaucoup de particuliers et de représentants ne se sentent pas à l’aise d’acheter des titres avec de longues échéances. Rappelons que de nombreux gestionnaires de portefeuilles obligataires au Canada ont le mandat de calquer ou même de battre le rendement de cet indice de référence. Leurs clients sont souvent des institutions et des fonds de pension.

«Lorsqu’il s’agit de clients de détail, on constate en discutant avec les conseillers qu’une duration autour de 5 ans est souvent mieux adaptée à leur situation. Ceci en raison de la sensibilité au prix plus élevée dans le cas de l’indice universel, alors qu’une duration plus basse permet de limiter le risque de perte», précise Michael McHugh.

«N’oublions pas aussi qu’une hausse de taux de 25 points de base a un impact plus important aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années, lorsque les taux étaient significativement plus élevés. Vu le niveau historiquement bas des taux d’intérêt, en proportion, l’effet est amplifié. Les taux de coupon sont également plus faibles qu’avant, ce qui réduit le coussin de sécurité lorsque les taux remontent. La sensibilité au prix des obligations est donc plus élevée», souligne Dan Hallett.

Dans un tel contexte, bon nombre de conseillers sont tentés de réduire la duration du portefeuille de leurs clients et se tournent vers d’autres types d’actifs générateurs de revenus afin de compenser les plus faibles rendements. «Certains vont diminuer la portion en obligations et ajouter des actions dans le portefeuille. Parfois, on prendra plus de risque en se tournant vers les marchés privés ou en ajoutant des titres à rendement élevé, du moins bon crédit ou encore, des fonds de revenu fixe sans contraintes», constate-t-il. Il faut alors bien comprendre l’impact de ces décisions sur le portefeuille global.

Dans les mois à venir, la suppression progressive des politiques accommodantes aux États-Unis et aussi en Europe va maintenir sous pression les taux d’intérêt, d’après Michael McHugh. «Il a été avantageux d’avoir une duration plus courte depuis la fin de l’été 2016. Avec la remontée des taux, nous avons augmenté cette duration à 4 ans et demi, et nous souhaitons l’augmenter à 5 ans, si les taux augmentent encore plus prochainement et que les obligations gouvernementales américaines à 10 ans négocient près de 3 %.»