«Les modèles d’entreprise qui sont réellement novateurs du point de vue du marché canadien seront admissibles au bac à sable réglementaire des ACVM. Nous évaluerons au cas par cas le bien-fondé de chaque modèle, et les entreprises qui s’inscrivent ou qui obtiennent une dispense seront autorisées à tester leurs produits et services sur l’ensemble du marché canadien», annoncent les ACVM. Il faut saluer l’adoption de mesures novatrices en matière de réglementation. Il va sans dire que l’approche du bac à sable est particulièrement bien adaptée au secteur des fintechs. Toutefois, le régulateur doit s’assurer de conserver l’équilibre entre la protection du consommateur, l’équité entre les différentes entreprises se faisant concurrence dans le marché et la culture de l’innovation technologique.

En effet, plusieurs intervenants croient que les fintechs ne peuvent pas être régies de la même façon que les entreprises qui font traditionnellement partie du secteur des valeurs mobilières. On risquerait de les étouffer.

La blockchain en est un bon exemple : bien que réputé être très sécuritaire, le stockage des données n’est pas localisé géographiquement avec ce type de technologie. Ainsi, les lois doivent être adaptées en conséquence.

D’autres entreprises en démarrage, les fameuses startups, marchent souvent sur une ligne très mince entre ce qui est réglementé et ce qui ne l’est pas. Le régulateur se retrouve alors devant un dilemme : est-ce qu’il impose tout de suite ses règles en risquant de tuer la petite organisation ou lui laisse-t-il une certaine marge de manoeuvre tout en assurant une surveillance ?

De plus, d’un point de vue plus économique, il est important de favoriser l’émergence d’un secteur comme celui des fintechs. Le Québec s’avère être un terreau fertile pour cette industrie qui amène la création d’une foule d’emplois spécialisés et de grande qualité, comme en témoigne le récent palmarès de Z/Yen qui classait Montréal au 13e échelon des principaux centres fintechs à travers le monde. Ça ne peut toutefois justifier une inégalité réglementaire qui pourrait rendre plus vulnérable le client.

Existe-t-il vraiment une problématique de deux poids deux mesures dans l’encadrement règlementaire entre les fintechs et l’industrie financière traditionnelle ? Avec une réglementation par principe, on pourrait s’attendre à ce que le même principe s’applique à tout le monde, bien que son application puisse prendre une forme différente.

Eric Stevenson, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’Autorité des marchés financiers, insiste sur l’importance d’adopter une approche adaptée aux fintechs : «Quand un acteur arrive avec un modèle novateur, on veut le regarder avec une lorgnette qui nous permet de l’intégrer dans le cadre réglementaire». Il ajoute toutefois que «personne ne va avoir un free game» et que, avec l’arrivée des fintechs, le règlement 31-103, qui date de 2009, devra vraisemblablement être revu.

Nous pouvons toutefois comprendre que des membres de l’industrie ressentent un sentiment d’iniquité à l’égard de l’encadrement des fintechs. En effet, la réglementation, bien que justifiée, met déjà à mal les marges de profits, notamment celles des cabinets en épargne collective. Il en coûte beaucoup plus cher qu’avant d’être conforme. Il n’y a qu’à penser aux coûts technologiques associés à la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2). De plus, la consolidation a déjà fait plusieurs victimes dans ce secteur déjà touché par certains fossés réglementaires, notamment entre les valeurs mobilières et les produits bancaires.

Dans ce contexte, le fait de favoriser, grâce à la réglementation, certaines entreprises aux dépens d’autres, n’est pas bien accueilli. Que penser, par exemple, de l’Organisme canadien de réglementation des valeurs mobilières (OCRCVM)qui proposait en novembre dernier d’octroyer une dispense destinée à permettre aux sociétés offrant des comptes sans conseils de mettre certains portefeuilles modèles à la disposition de leurs clients ? Certaines restrictions accompagnaient bien sûr cette proposition, mais c’est ce genre de politique qui fait peur à l’industrie financière qui se voit imposer, depuis quelques années, réforme réglementaire par-dessus réforme réglementaire.

Cependant, il ne faut pas se leurrer, le secteur fait face au même genre de problème que tous les autres où des firmes ont vu leurs modèles d’affaires bousculés par les innovations technologiques. Cette fois, les enjeux sont importants puisqu’on parle de l’épargne et du fonds de retraite des consommateurs. Leur permettre de bénéficier de services financiers abordables est important, mais ils ont aussi besoin d’une bonne dose de protection du régulateur.

C’est ce qui doit guider ses décisions.

L’équipe de Finance et Investissement