«Le but est de rééquilibrer l’apport que les conjoints fournissent au couple lorsqu’ils ont au moins un enfant commun», souligne Jean Lambert, de l’étude de notaires Lambert, Perron-Oddo, Pelonis et membre du Comité.

Les changements proposés feraient en sorte que les conseillers devraient adapter leurs recommandations en matière de conjugalité, disent les experts.

«Les conseillers devront faire leurs recommandations en fonction de la présence ou non d’enfants», indique Caroline Marion, mentor à l’Institut québécois de planification financière.

En effet, les droits découlant de la présence d’enfants s’ajouteraient aux autres obligations alimentaires et droits découlant du mariage et surtout, ce qui est nouveau, de l’union de fait.

Nouvelle prestation compensatoire

Un des premiers moyens proposés est le régime parental impératif appelé «prestation compensatoire parentale».

«Si un conjoint met sa carrière en veilleuse pendant quelques années, il est désavantagé sur le plan économique. La prestation compensatoire parentale le compensera», précise Jean Lambert, un ancien président de la Chambre des notaires.

«On innove avec la prestation compensatoire parentale qui n’a rien à voir avec la prestation compensatoire actuelle, qui demeurera», explique le président du Comité, Alain Roy, qui est professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal ainsi que notaire.

La prestation actuelle permet essentiellement à un époux de réclamer une compensation pour son apport à l’enrichissement de son conjoint.

«Pensez à une épouse ou à une conjointe en union libre qui met en veilleuse sa carrière pour contribuer au bureau de courtier de son mari. Elle pourrait peut-être obtenir une compensation pour son apport à l’enrichissement de son mari, mais cela n’a rien à voir avec la présence ou non d’un enfant», ajoute Jean Lambert.

Ce nouveau régime parental impératif n’interviendrait que si les conjoints ont au moins un enfant commun. «Il ne sera même pas nécessaire d’avoir fait vie commune», indique-t-il.

Quant au contenu de cette clause, Alain Roy souligne que son appellation dit tout : «prestation, car il s’agit d’un montant forfaitaire ; compensatoire, car ce n’est pas alimentaire puisque le but n’est pas de remettre les parties dans l’état prévalant avant l’union ; et parental, puisque c’est lié au rôle de parent».

Le Comité s’est également prononcé sur l’opportunité d’accorder une vocation successorale au conjoint de fait. Ce dernier aurait pu ainsi devenir un légataire en absence de testament, contrairement au droit actuel, qui exige que l’on rédige un testament si on veut privilégier un conjoint hors mariage.

Certains auraient aimé que l’on crée une telle vocation en présence d’enfants communs. Le professeur Alain Roy fait toutefois remarquer que les probabilités de contestation devant les tribunaux auraient alors été élevées.

«Ça aurait paru discriminatoire de faire dépendre la vocation à succéder à l’existence d’autres personnes. Notre vocation successorale tient à la relation qu’on a avec le décédé, et non au contexte dans lequel on vit», met-il en garde.

François Bernier, notaire et directeur de la planification fiscale et successorale chez Placements Mackenzie, soulève lui aussi les difficultés qui seraient survenues : «Aurait-on différencié le conjoint d’une première union, le conjoint avec lequel on a eu un enfant, le conjoint avec lequel on n’a pas eu d’enfant, etc. ?»

François Bernier constate que le conjoint défavorisé pourrait de toute façon, en vertu de la prestation compensatoire parentale, faire prévaloir ses droits contre la succession de l’autre conjoint.

«Il s’agit d’ailleurs d’un premier impact potentiel du rapport du Comité sur la pratique des conseillers. En effet, dans le cadre d’une planification, on doit souvent évaluer l’actif du client au décès, et les réclamations possibles de son conjoint pourraient avoir une incidence considérable», ajoute le notaire.

Des critiques

Chantal Gosselin, avocate au cabinet Joli-Coeur Lacasse, de Québec, est beaucoup moins enthousiaste à l’égard du rapport Roy. «C’est sûr que c’est du droit nouveau, mais nous aurions aimé qu’on établisse des barèmes ou des normes pour mesurer la protection offerte [dans le cadre de la prestation compensatoire parentale]. C’est justement ce qui rend si difficile la notion d’enrichissement sans cause sur lequel repose la prestation compensatoire.»

L’ancienne bâtonnière pense de plus au conjoint sans enfants qui fait parfois d’énormes sacrifices afin de suivre, par exemple, un partenaire qui est transféré régulièrement par son employeur, et qui n’arrive pas à satisfaire le fardeau de la preuve exigé par la prestation compensatoire actuelle.

François Bernier constate lui aussi que le Comité ne propose pas de barèmes, mais il refuse de le blâmer pour autant. «Certes, le Comité n’en établit pas, mais il souligne l’importance de le faire. Ce sera au législateur de faire ses devoirs», estime-t-il.

Chantal Gosselin est également en désaccord avec la recommandation du Comité de remplacer le régime matrimonial légal actuel (celui attribué d’office aux époux sans contrat de mariage) par un régime basé sur le patrimoine familial.

«Le régime légal actuel est la société d’acquêts, qui est le plus généreux [il inclut par exemple les entreprises, les placements non enregistrés, les immeubles à revenu], alors que le patrimoine familial ne les inclut pas», déplore-t-elle.

L’ancienne bâtonnière s’inquiète encore plus de la recommandation du Comité qui voudrait permettre l’opting-out, soit la possibilité de se soustraire du patrimoine familial en optant pour la société d’acquêts ou la séparation de biens, voire la communauté de biens, par contrat de mariage. «C’est le retour à la liberté contractuelle au détriment du conjoint le moins privilégié», soutient-elle.

Caroline Marion est d’un tout autre avis. «Je me réjouis de cette proposition !» s’exclame-t-elle.

Jean Lambert, quant à lui, fait remarquer que le contexte a changé depuis l’adoption du patrimoine familial en 1989. «Dans la pratique du droit, on rencontre plusieurs clients qui aimeraient former une deuxième ou une troisième union, mais ils reculent à cause du patrimoine familial. Ces gens ont déjà un patrimoine et souvent, ils ne veulent pas d’autres enfants», explique-t-il.

Une autre recommandation du Comité porte sur l’attribution d’une protection au conjoint en matière de résidence familiale. Selon Alain Roy, il s’agissait probablement d’un oubli du législateur.

«Si on regarde les dispositions pertinentes du Code civil, il semble évident que le législateur n’avait pas l’intention de s’opposer à une attribution préférentielle au conjoint de fait dans la mesure où il est désigné bénéficiaire. Il n’y a pas d’entrave à la liberté de tester», soulève le professeur à l’Université de Montréal, faisant référence à l’action de faire son testament.

Irrévocabilité : situation renversée

Le Comité s’est également penché sur les désignations qu’on retrouve dans les polices d’assurance vie et les contrats de mariage.

«On s’est attaqué dans un premier temps à l’irrévocabilité des donations pour cause de mort», indique Alain Roy. Le Comité propose de les rendre révocables, à moins d’indication contraire expresse.

«La fameuse clause de donation irrévocable des droits découlait de la présence du patrimoine familial. On faisait en sorte que les enfants, par exemple, ne pouvaient pas réclamer la moitié de la maison, car on protégeait notre créance en la déclarant irrévocable. On ne pouvait rien faire sans l’accord du conjoint», rappelle le professeur, qui souligne du coup que l’opting-out du patrimoine familial rendrait caduques ces donations.

Par ailleurs, Caroline Marion apprécie la recommandation voulant que les contrats d’union de fait reçoivent une reconnaissance formelle.

«Cela aura un impact important sur la pratique des représentants. Jusqu’à aujourd’hui, on recommandait ces contrats, mais on ne savait pas avec certitude ce qu’on pouvait y inclure ou pas.»

En matière d’assurance vie, la situation sera renversée, puisque la présomption d’irrévocabilité sera remplacée par une présomption de révocabilité.

Par ailleurs, le Comité propose que l’assurance vie en faveur d’un conjoint de fait devienne insaisissable.

Mais attention ! La fin d’une union de fait entraînerait automatiquement la révocation du conjoint de fait comme bénéficiaire ou titulaire subrogé d’un produit d’assurance, ainsi que sa révocation comme légataire testamentaire.