Yves Millette, vice-président principal, affaires québécoises, à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) se souvient : «Aux États-Unis, de nombreux assurés atteints du SIDA souhaitaient encaisser la valeur de leur assurance afin de payer les médicaments très coûteux requis par leur état de santé. Au Québec, les programmes comme l’assurance-maladie et l’assurance médicament faisaient en sorte que ces assurés n’avaient pas autant besoin de liquidités immédiates.»

«Aujourd’hui, l’intérêt provient des retraités qui craignent d’épuiser leurs épargnes, étant donné le prolongement de l’espérance de vie», poursuit le représentant de l’ACCAP. C’est un marché qui s’apparenterait à celui des hypothèques inversées.

Différent des rachats viatiques

John Norman, directeur chez Perisen, remet les pendules à l’heure. «On parle de règlement viatique, mais c’est inexact. Le règlement d’assurance viatique consiste à acheter des polices détenues par des personnes en phase terminale. Ce n’est pas notre cas», pondère-t-il.

Le porte-parole de Perisen poursuit : «Il ne s’agit pas non plus de STOLI (Stranger-originated life policies ou assurance vie détenue par un étranger) ni de financement de prime».

Selon Empire Vie, «La souscription d’une assurance vie détenue par un étranger est l’achat d’une police d’assurance vie avec l’intention de transférer la police à un tiers investisseur qui n’a pas d’intérêt assurable sur la vie de la personne assurée. La personne assurée reçoit un paiement immédiat ou un prêt à titre d’incitation à souscrire une police d’assurance vie individuelle. Le tiers titulaire paie les primes et détermine qui recevra la prestation au décès lorsque la personne assurée décède. Il peut également céder la police à d’autres investisseurs.» «Cette pratique est inexistante au Canada puisqu’elle est illégale», martèle John Norman.

Perisen procède plutôt à un rachat à escompte d’assurance vie (life settlement). La clientèle visée ? Celle des retraités de 70 ans et plus qui détiennent une police de type vie entière, vie universelle ou temporaire 100 ans en vigueur depuis plus de deux ans, et dont le capital assuré varie entre 250 000 $ et 3 M$.

Les assurés obtiendraient en moyenne, selon les prétentions de Perisen, de 10 à 30 % de plus que la valeur de rachat offerte par l’assureur.

Ces polices sont rachetées par Spartan Fund Management, inscrit au Québec à titre de gestionnaire de fonds d’investissement et de gestionnaire de portefeuille. Les investisseurs peuvent par la suite acheter des parts de ce fonds.

Selon la Life Insurance Settlement Association (LISA), aux États-Unis, ce marché s’élève à 60 G$ CA. «Au Canada, chaque année, ce sont plus de 6 G$ en capital de polices qui sont abandonnées par les assurés sans qu’aucun versement ne leur soit fait», indique John Norman. «Nous offrons aux retraités une option de plus, ce qui ne peut être que bénéfique», proclame-t-il.

En fait, ce serait de 80 à 88 % des polices d’assurance vie qui ne donneraient lieu à aucun versement du capital assuré. Gaétan Veillette, Fellow administrateur agréé et planificateur financier de Brossard, en Montérégie, prend ces chiffres avec un grain de sel. «Si l’on inclut dans ce pourcentage les polices temporaires, il est normal qu’il soit aussi élevé», se méfie-t-il.

LES ASSUREURS CONTRE-ATTAQUENT

C’est la crainte de voir cette portion des polices qui tombent en déchéance s’abaisser fortement qui expliquerait, selon plusieurs sources consultées par Finance et Investissement, la virulente opposition des assureurs.

«Beaucoup de polices sont abordables, car les calculs actuariels fixent les primes à un bas niveau étant donné ce bas taux de rédemption (polices qui donnent vraiment lieu à un versement d’argent), explique Gaétan Veillette. C’est injuste pour les assureurs, car les primes actuelles ont été établies en fonction de ces calculs actuariels.» Les primes devraient donc augmenter si ces rachats à escompte devenaient populaires.

Toutefois, certains conseillers semblent se réjouir de cette nouvelle offre. D’abord, parce qu’il s’agit d’une option supplémentaire pour leurs clients. John Norman aime d’ailleurs citer Lauren Cohen, professeur à l’Université Harvard, qui considère que le fait d’obliger un assuré à revendre sa police à son assureur reviendrait à forcer un propriétaire à revendre sa maison à sa banque pour le solde hypothécaire dû.

D’autre part, un fort taux d’abandon des polices se traduit par une baisse des frais de service ou de renouvellement que les représentants touchent. La valeur de la clientèle des conseillers, ou de leur book, s’en trouverait du coup diminuée.

Yves Rochefort, formateur en assurance de Drummondville, relativise toutefois l’effet incitatif de ces commissions. «Ce n’est pas avec cela qu’un conseiller gagne sa croûte. Ça paye à peine les frais de bureau», ironise-t-il.

Le site Internet de Perisen promet cependant aux représentants des honoraires de 1 à 2 % de la valeur nominale en considération du prix final.

Offusqués, plusieurs assureurs montent aux barricades et menacent de résilier les ententes de représentation qui les lient aux courtiers qui se prêteraient à ce jeu. Perisen met d’ailleurs cartes sur table à ce sujet. «Les courtiers d’assurance devraient considérer s’il y a des implications au niveau de leurs ententes de représentation», lit-on sur le site.

L’ACCAP a confirmé que certains cabinets n’avaient su résister à la tentation que représente l’offre de ce type de sociétés. Mais d’autres, plus nombreux, s’insurgent. «Perisen a communiqué avec mes représentants l’été dernier et les documents se sont retrouvés sur mon bureau», certifie Gino Savard, président de Mica services financiers.

Même son de cloche chez Groupe SFGT de Coaticook, en Estrie. «Nous nous sommes informés auprès d’un de nos fournisseurs, Empire Vie. Si nous autorisons ce type de cession de polices d’assurance, nous perdons notre contrat avec Empire», a confirmé le président du Groupe, Gérald Thibeault.

«Plusieurs assureurs ont des clauses semblables dans les ententes qui nous lient à eux. Je pense notamment à Manuvie et à la Sun Life», renchérit Gino Savard.

Assomption Vie avait fait une sortie en novembre dernier, disant qu’elle annulerait toute police ainsi transférée. Jointe de nouveau, Marie-Josée Plourde, sa porte-parole, a réitéré la position de l’assureur acadien.

Empire Vie a envoyé un communiqué aux cabinets à cet effet en janvier : «Les conseillers sous contrat auprès de l’Empire Vie n’ont pas le droit de s’impliquer directement ou indirectement dans ce type de transactions sous peine de résiliation de leur contrat.»