Robots-conseillers : l'ère des machines
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Il serait étonnant que cette permission soit accordée uniquement à Wealthsimple. «Il serait insensé de l’accorder à un joueur sans l’accorder à tous les autres», dit Dan Hallett, vice-président et responsable, gestion d’actifs, chez HighView Financial Group, à Toronto.

La logique qui anime la demande de Wealthsimple en est une d’économie de coûts et de volume, comme le chef de la direction de l’entreprise, Michael Katchen l’a expliqué à Morningstar. Les clients qui préfèrent traiter leurs affaires en ligne de façon autonome pourraient bénéficier de frais moindres, ce qui attirerait une clientèle élargie. Par ailleurs, la firme pourrait concentrer les efforts de ses conseillers en chair et en os sur les clients qui réclament un contact personnel et dont les comptes, le plus souvent, sont plus substantiels ou dont la situation est plus complexe.

Déjà dans la mire

Dan Hallett ne serait pas étonné que la CVMO accepte la requête de Wealthsimple. «Il n’y a pas vraiment raison de s’engager en profondeur pour un client qui ne confie que quelques milliers de dollars à un robot- conseiller. Ce serait le signe que les régulateurs s’adaptent à l’évolution de l’industrie et ils pourraient simplement intégrer le changement à la règlementation existante. Je crois qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un site trace le profil d’un client sans engager une conversation avec lui.»

Toutefois, avant que les régulateurs donnent leur permission, Dan Hallett aimerait que le processus de profilage du client soit plus solide. Même si un client investit peu d’argent, ce geste s’inscrit à l’intérieur d’une situation financière plus large dont le robot-conseiller doit tenir compte.

Dan Hallett donne l’exemple d’un client qui traîne une dette étudiante ou un solde négatif important sur ses cartes de crédit. «J’ai vu un processus en ligne où l’on mentionnait à l’investisseur qu’il devait payer ses dettes, indique-t-il, mais on lui présentait quand même un portefeuille de placement, ce qui est inacceptable pour une firme tenue à un devoir fiduciaire. Je crois que les régulateurs vont exiger un système de profilage plus robuste, une chose que les robots-conseillers n’ont pas encore mise en place.»

Randy Cass, chef de la direction et fondateur de Nest Wealth, un autre robot-conseiller de l’Ontario, s’attend à ce que les organismes de réglementation en arrivent à accepter un processus entièrement automatisé. Leur principale réticence, selon lui, «est de voir la mise en place de sites où il n’y aurait aucun moyen de parler à un conseiller humain». Les services de Nest Wealth sont offerts au Québec, mais en anglais seulement. «On travaille actuellement à une interface francophone», s’empresse d’ajouter Randy Cass.

Vers un modèle hybride

Il est intéressant d’observer qu’au moment même où une importante firme canadienne de robots-conseillers réclame la possibilité de mettre un place un système entièrement automatisé, le principal acteur américain, Betterment, inaugure un service de conseil humain. Au début de l’année, la firme new-yorkaise a recruté une douzaine de conseillers humains auxquels peuvent avoir accès les clients disposant d’un actif supérieur à 100 000 $ US moyennant des frais additionnels de 0,40 % de l’actif sous gestion.

Deux autres firmes, Charles Schwab & Co et Vanguard ont mis en place un tel service hybride. «Tout le monde passe à un modèle hybride qui combine automatisation et conseil», observe Chris Nicola, cofondateur de WealthBar, un robot-conseiller de Vancouver dont les services sont maintenant offerts en français au Québec.

David Siegel, chef de la direction d’Investopedia, disait récemment à Investment News qu’il considère même déjà inutile de chercher à distinguer les deux modes de conseil. En effet, alors que les sites de robots-conseillers «s’humanisent», on voit de plus en plus de cabinets de conseillers humains «s’automatiser» en ayant recours aux services d’algorithmes pour la prise en charge d’une foule de procédures : traitement des formulaires, mise en place du profil des clients, mise à jour réglementaire, création d’un portefeuille diversifié et son rééquilibrage périodique.

Le robot-conseiller et le conseiller humain sont donc en voie de se rejoindre dans une zone commune. Le seul acteur menacé par cette situation, est le conseiller qui apporte peu de valeur ajoutée, juge Randy Cass. «Celui qui a bâti sa carrière sur les dîners avec ses clients à la suite de quoi il construit un portefeuille sans imagination, celui-là est menacé par la nouvelle donne», dit-il.

Pour l’instant, les robots-conseillers n’offrent pas les services à plus haute valeur ajoutée, notamment les divers types de planification plus sophistiqués (financière, fiscale, fiduciaire, etc.). Là où c’est le cas, ce n’est encore que très embryonnaire, juge Dan Hallett. Au Canada, ces services plus avancés sont offerts par une filiale d’un robot-conseiller, comme WealthBar Financial Services dans le cas de WealthBar, où le client a accès aux services personnalisés d’un conseiller.

C’est un terrain où le rôle du conseiller humain n’est pas encore menacé par l’automatisation. Cependant, une autre menace pèse sur l’industrie du conseil et provient plutôt du développement de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage machine, juge Gilles Savard, directeur du projet IVADO de l’Université de Montréal qui se consacre à l’avancée de ces technologies.

La victoire en mars 2016 du système AlphaGo de Google sur Lee Sedol, le grand champion mondial de Go, un jeu de stratégie combinatoire abstrait d’origine chinoise, laisse entrevoir la mise en place accélérée d’agents intelligents très sophistiqués, notamment dans le domaine des services financiers sous l’impulsion des fintechs. De tels agents «ne vont pas nécessairement remplacer les personnes et pourraient plutôt améliorer les services», juge Gilles Savard. Néanmoins, il entretient de sérieux doutes. «Si mon fils manifestait le désir de s’orienter vers le conseil financier, dit-il, je lui suggérerais de très bien y penser avant de faire le saut.»