Il considère malgré tout que «dans l’ensemble, le secteur canadien de l’assurance vie s’est bien adapté à la situation».

Évolution technologique

Selon Jeremy Rudin, l’évolution technologique pourrait «transformer rapidement le paysage du secteur de l’assurance, et celui des services financiers en général, au point même de nuire à la viabilité d’un certain nombre de sociétés et de modèles d’affaires».

«On mise beaucoup sur les courtiers ou sur un effectif de vente captif qui pratique la vente active, au lieu d’inviter le consommateur à visiter un site Web. Cette approche gagne en popularité en assurance, mais elle n’est pas encore omniprésente. J’ignore si elle finira par l’être, mais c’est certainement possible», mentionne-t-il.

Jeremy Rudin est préoccupé par l’impact de tels changements et par la manière dont les institutions pourront gérer ces transformations.

Bien que le gouvernement du Québec n’ait pas statué sur l’encadrement de la vente d’assurance de personnes sur Internet sans l’intervention d’un représentant, l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est récemment prononcée en faveur de cette pratique.

Les répercutions de la libéralisation des données et l’essor des données massives (Big Data) pourraient également marquer l’industrie, estime-t-il. «Toutes les données supplémentaires qui sont disponibles ou qui peuvent être recueillies de manière délibérée peuvent avoir un impact de taille sur l’évaluation, la tarification et le suivi des risques. Ce pourrait être un facteur très significatif pour le secteur.»

Le cyber-risque constitue une autre menace pour les assureurs. Ceux-ci pourraient subir des dommages allant de l’incapacité d’utiliser leur site Web à la perte d’intégrité des données.

Le BSIF a publié en 2013 un guide d’auto-évaluation du cyber-risque pour les sociétés d’assurance.

Malgré tout, Jeremy Rudin estime que les sociétés d’assurance constituent probablement une cible moins intéressante que les banques et qu’elles sont donc moins vulnérables au cyber-risque. Il ne minimise pas le risque pour autant, puisque l’incapacité de joindre les clients et les problèmes d’intégrité des données peuvent miner la réputation des assureurs.

Le surintendant des institutions financières croit que les assureurs évaluent correctement les risques qu’ils prennent et qu’en conséquence, la sécurité des produits financiers n’est pas menacée.

«Ils (les assureurs) doivent mesurer leurs risques. Ils doivent suivre les risques. Ils doivent gérer les risques. Et ils doivent être capitalisés de telle manière que si leurs prévisions sont erronées et se traduisent par des pertes, ils puissent surmonter des pertes graves, mais vraisemblables, tout en continuant de servir leurs clients», avance Jeremy Rudin.

Évaluer les risques

Selon sa ligne directrice des saines pratiques commerciale et financière, le BSIF s’attend à ce que les assureurs mettent en place des processus lui permettra d’exécuter un dispositif ORSA (Own Risk and Solvency Assessment) qui soit «proportionnel à la nature, à l’étendue et à la complexité de ses activités et de son profil de risque.»

Ce dispositif est un outil d’analyse décisionnelle et stratégique constitué de processus destinés à évaluer en continu la solvabilité de l’assureur, et ainsi de s’assurer que les normes de solvabilité interne sont en phase avec son profil de risque.

Pour Jeremy Rudin, les dirigeants et les conseils d’administration de sociétés d’assurance, ou dans le cas des succursales, les agents principaux, devraient être directement engagés dans l’évaluation du besoin global de solvabilité lié aux risques auxquels leur société ou leur succursale sont exposées.

«Il est important que les conseils d’administration et les dirigeants prennent ces évaluations en main et qu’elles ne proviennent pas d’un expert-conseil externe, d’un auditeur externe ou de l’actuaire désigné. Ces personnes peuvent certes y contribuer, mais l’évaluation doit présenter la perspective du conseil d’administration et de la direction à propos des risques possibles», souligne Jeremy Rudin.

Selon lui, de nombreuses sociétés devraient améliorer la nature et la qualité de l’information sur laquelle repose la supervision qu’exercent le comité de gestion des risques et le conseil d’administration.

Jeremy Rudin se demande d’ailleurs pourquoi les comités de gestion des risques ne retirent rien des volumineux rapports que leur soumettent les dirigeants.

«Est-ce parce que c’est ce à quoi les dirigeants pensent que le comité de gestion des risques ou le conseil d’administration s’attend ? Dans l’affirmative, le comité de gestion des risques doit donner des consignes plus claires. Si c’est ce dont le comité de gestion des risques estime vraiment avoir besoin, croit-il vraiment être en mesure d’étudier des renseignements aussi détaillés ? Si ni l’un ni l’autre ne sont satisfaits, et si chacun d’eux procède ainsi parce qu’il croit que c’est ce que veut l’organisme de réglementation, je vous dirais que ce n’est pas ce que nous entendons par l’exercice d’une supervision renforcée», dit-il.

Le BSFI enjoint par ailleurs les entreprises à lui fournir de l’interaction reflétant l’évaluation faite par l’intermédiaire du dispositif ORSA. Jeremy Rudin aimerait également observer une plus grande interaction entre le dispositif ORSA et l’évaluation dynamique de la suffisance du capital, laquelle relève de l’actuaire désigné.

La récente mise à jour des normes actuarielles liées au passif d’assurance vie constitue «l’un des changements les plus significatifs» pour la gestion des risques, selon Jeremy Rudin, qui estime que cette mise à jour a eu des effets très positifs.

Le surintendant mentionne finalement que la communauté internationale espère instaurer des normes de solvabilité dont l’impact sur les sociétés d’assurance sera aussi important que celles que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) a adoptées à l’intention des banques.

«Nous participons activement aux discussions avec l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (AICA), a-t-il dit. Nous voulons être certains que si tout progresse comme prévu, les nouvelles normes tiendront compte des particularités du secteur canadien.»

Stabiliser le risque

«Les enjeux évoqués par Jeremy Rudin, reflètent bien les défis cernés par l’industrie», indique Yves Millette, vice-président principal pour le Québec à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

Le marché des placements à long terme constitue toutefois un autre enjeu d’importance, selon Yves Millette.

«Jeremy Rudin n’y a pas fait référence, parce que cette question n’est pas primordiale pour le régulateur, dit-il. Toutefois, plusieurs des engagements que prendront les assureurs au cours des prochaines années sont liés au vieillissement de la population, puisqu’il s’agit d’engagements à long terme.»