Léon Lemoine insiste sur les modifications au Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription, qui visent à informer les détenteurs de parts de la rémunération exacte des représentants d’ici 2016.

«Certains représentants se sentent vulnérables. Certains d’entre eux, qui ont la double licence, choisissent déjà de mettre l’accent sur la vente de fonds distincts. D’autres, qui ne distribuaient que des FCP, chercheront à obtenir un certificat de représentant en assurance de personnes», remarque le planificateur et conseiller en sécurité financière dont le bureau, Gestion Ethik, est situé à Brossard, en Montérégie.

Chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services Financiers, Maxime Gauthier affirme recevoir «de plus en plus d’échos sur le terrain» sur de nouvelles stratégies de ventes de représentants qui ont le double permis.

«On constate que beaucoup plus de nouvelles affaires sont conclues en fonds distincts. On s’est posé la question. Pourquoi le chiffre d’affaires de ces conseillers se déplace-t-il vers les fonds distincts ? La réponse se trouve dans les changements dans la réglementation des commissions», note l’avocat.

Tel est également le point de vue de la Federation of Mutual Fund Dealers, un organisme pan-canadien qui regroupe 17 000 conseillers, dont certains sont affiliés au Groupe financier Peak et à Investia Services Financiers.

«En raison des coûts de conformité plus élevés et d’une rémunération moins importante, des conseillers transfèrent des actifs de fonds communs vers les fonds distincts», a affirmé cet organisme dans une communication envoyée aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) dans le cadre de la consultation sur le Règlement 81-407 sur les frais des organismes de placements collectifs (http://tinyurl.com/nj8fkn8).

Membre sortant du Groupe consultatif des investisseurs de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), Ken Kivenko pense que les ventes de fonds distincts augmenteront avec le renforcement de la réglementation des FCP.

«Je pense qu’au Canada, plus de la moitié de la force de vente en produits financiers dispose d’une double licence. Si la réglementation des FCP s’intensifie, il y a de fortes probabilités que cela se traduise par des ventes accrues des fonds distincts», dit-il.

Impact de la «surrémunération»

Léon Lemoine estime que la «surrémunération» en fonds distincts ajoute à l’attrait qu’exerce le produit sur certains représentants.

«Des manufacturiers de fonds distincts organisent des concours de ventes. Certains d’entre eux donnent des bonis lorsque des représentants concentrent chez eux leur chiffre d’affaires. Ces pratiques n’existent plus dans l’univers des FCP, mais elles restent attrayantes pour une minorité de conseillers en sécurité financière», dit l’ancien porte-parole du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ).

De son côté, Maxime Gauthier ajoute que les commissions des fonds distincts peuvent être versées au compte d’un représentant qui a incorporé sa pratique, ce qui diminue le taux d’imposition des bénéfices avant qu’ils soient versés à l’actionnaire.

Toutefois, le gouvernement du Québec a récemment déposé un projet de loi qui permettrait aux représentants en épargne collective d’incorporer leur pratique, ce qui risque éventuellement d’atténuer ce dernier avantage (voir «Incorporation en vue», à la une).

Erreurs

Attention, toutefois, car même si la réglementation qui s’applique aux fonds distincts est moins stricte, les clients finiront eux aussi par poser des questions sur la rémunération de leurs représentants, prévoit Léon Lemoine.

«Voilà pourquoi c’est une erreur que de vouloir vendre des fonds distincts à cause d’une réglementation moins sévère», dit-il.

Directeur, investissement et retraite chez BBA Groupe Financier, René Belzile estime quant à lui qu’il existe une «forte» tendance à l’harmonisation des réglementations en assurance et en valeurs mobilières.

«Les commissions versées aux conseillers en sécurité financière ne sont pas encore connues des clients, mais il y a de fortes chances qu’elles le soient un jour», dit-il.

Marie Gauthier, vice-présidente associée, fonds distincts, solutions marchés individuels chez Standard Life, ne pense pas non plus que les conseillers en sécurité financière soient à l’abri des grands débats qui secouent le monde des FCP.

«D’importantes discussions sont en cours dans le secteur des fonds distincts. Les choses pourraient changer», prévient-elle.

Toutefois, d’après Ken Kivenko, il pourrait s’écouler encore beaucoup de temps avant que les autorités de réglementation deviennent aussi fermes pour les fonds distincts qu’elles le sont pour les FCP.

«Les régulateurs en assurance ne sont pas très énergiques dans leurs objectifs de réformes. Je ne crois pas que les choses s’amélioreront, à moins que les politiciens ne se mettent de la partie», dit-il.

Maxime Gauthier croit également que le vent du changement ne souffle pas assez fort. «Je ne vois pas, à l’horizon des valeurs mobilières, de signes de ralentissement des changements dans la réglementation. Par contre, il n’y a rien de semblable en assurance !» prévoit-il.

Cependant, ajoute-t-il, opter pour la vente de fonds distincts par calcul opportuniste ne sera pas une bonne affaire à long terme.

«Les fonds distincts ne conviennent qu’à certains clients, et à une portion donnée de leur portefeuille», soutient-il.

Autrement dit, la vente généralisée de fonds distincts, dans des circonstances qui ne s’y prêtent pas, risque d’ouvrir la boîte de Pandore de l’éthique relâchée et des conflits d’intérêts, ce que les conseillers concernés pourraient regretter.