Petite leçon de faible volatilité
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Jean Masson, directeur général et gestionnaire de portefeuille chez Gestion de placement TD, qui a créé le premier fonds de ce genre au Canada en 2009, a répondu aux questions de Finance et Investissement.

Finance et investissement (FI) : En quoi consiste la stratégie à faible volatilité ?

Jean Masson (J. M.) : Le risque d’un titre est divisé en deux parties : le risque systématique, mesuré par le bêta, qui représente la sensibilité d’un titre au rendement de la Bourse, et le risque diversifiable, qui est intrinsèque au titre. Dans les théories classiques de la finance, comme le Modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF) élaboré dans les années 1960, on dit qu’il devrait y avoir une relation linéaire et positive entre le rendement espéré et le bêta.

La théorie s’appuie sur le fait que les gens qui ont 100 titres dans un portefeuille bien bâti n’auront pas beaucoup de risque diversifiable, alors que le risque systématique est impossible à éliminer quand on investit en Bourse. Voilà une théorie simple et intuitive, mais le problème, c’est qu’empiriquement, à l’intérieur des actions, si on se limite à ça, les rendements ne sont pas alignés sur le bêta.

FI : Avez-vous des exemples ?

J. M. : En théorie, la volatilité devrait être récompensée par le rendement, parce que c’est plus risqué, mais quand on regarde l’historique des rendements boursiers, ce n’est pas ce qu’on voit.

Depuis 1920-1925, des études ont montré que si l’on répartit les titres en cinq groupes selon leur niveau de risque, des plus volatils aux moins volatils, et que l’on suit ces portefeuilles dans le temps, on voit que leur rendement a été à peu près équivalent à 12 % environ, de 1920 jusqu’à nos jours.

Rien ne certifie que les investisseurs qui choisissent des titres plus volatils seront plus récompensés. Car dans ce type de fonds, il y a des mines, des compagnies aériennes, de la haute technologie, du Apple et du Google, mais de temps en temps, il y a aussi du Nortel et du Bre-X. Alors, si on regarde l’ensemble du rendement de ces portefeuilles dits plus volatils, il est correct, mais pas supérieur aux portefeuilles qui le sont moins.

À l’autre extrémité du spectre, les titres les moins volatils comme les épiceries, les chaînes de pharmacies, les chemins de fer, les banques, les sociétés d’assurance et les services publics, ont aussi fourni à peu près 12 % par an pendant 90 ans ! Cette belle théorie ne nous aide pas en pratique à savoir quelles actions performeront mieux ou non. Même que les titres moins volatils ont un rendement légèrement meilleur.

FI : Mais cette relation est-elle toujours exacte ?

J. M. : Ça dépend de la période. Entre 1925 et 2015, il y a eu la crise de 1929, le krach de 1987, la bulle techno de 2001-2002 et la crise financière de 2008-2009. Après chacun de ces épisodes, les marchés ont remonté. Le rendement des portefeuilles est allé au-delà de 12 %, parfois même jusqu’à 20 %. C’est là que les titres les plus volatils se sont le mieux comportés. Ce sont les titres les plus cycliques, comme les mines, le pétrole et la haute technologie qui mènent la Bourse et c’est lors de ces épisodes de marché fort que les titres à faible volatilité ont généré des rendements moindres.

D’autre part, dans une période de rendement négatif, les titres plus défensifs enregistrent des pertes moins importantes. Ils vont moins mal quand ça va mal, mais moins bien quand ça va bien. Certains gestionnaires vont donc investir dans des titres plus cycliques quand les marchés sont forts et dans des titres plus défensifs quand les marchés baissent.

FI : Quelle est votre approche dans ce contexte ?

J. M. : J’ai toujours peur d’une baisse des marchés et je n’ai pas ce talent de deviner quand il remontera. Je me protège tout le temps, en investissant dans les titres les moins volatils possible. Quand il y a un rendement fantastique, j’en aurai moins. Je me considère comme une tortue et non un lièvre, mais j’ai une carapace et je m’arrange pour arriver en vie sans accident. Je dis souvent que je me promène en Volvo avec mon coussin gonflable et ma ceinture de sécurité attachée. Ça veut dire que quand les conditions de route sont bonnes, les motocyclistes qui n’ont pas de ceinture de sécurité vont me dépasser, mais j’ai plus de chances qu’eux de me rendre à bon port en cas de mauvaises conditions.

FI : Quelle est la différence entre la faible volatilité et la gestion de valeur ?

J. M. : Il y a une intersection entre les deux, mais c’est différent. Des gens comme Warren Buffett, par exemple, ont une vision à long terme. Ils se disent que pour avoir une croissance intéressante, ils n’ont pas besoin d’investir dans la dernière entreprise techno qu’ils ne comprennent pas, alors qu’ils peuvent investir dans Dairy Queen ou Coca-Cola et obtenir de bons rendements quand même. Le rendement sera plus modeste s’il y a une bulle technologique, mais l’entreprise aura été achetée à un prix raisonnable. D’autre part, certains gestionnaires axés sur la valeur vont aussi acheter des titres qui ne sont pas chers comme BlackBerry, par exemple, ou des titres miniers, en se disant que c’est peut-être le moment d’acheter. Un gestionnaire de faible volatilité ne fera jamais ça, car c’est trop risqué. Je vais choisir un titre peu volatil ou une combinaison de deux ou trois titres qui, ensemble, me donnera peu de volatilité. Je n’investirais jamais dans un seul titre, même s’il est peu volatil, par peur du risque non récompensé.

Dans la gestion de style valeur, les gestionnaires épluchent les états financiers d’une entreprise et essaient de trouver des aubaines, des titres qu’ils ne détiendront pas nécessairement à long terme.

En gestion de faible volatilité, nous étudions plutôt son risque, son secteur et son niveau d’endettement. Si l’entreprise augmente beaucoup son levier financier, pour nous, elle augmente son risque et ce serait une raison pour la vendre. Nous regardons aussi la corrélation des titres. S’ils bougent toujours ensemble, ça aide moins à diversifier le risque que s’ils bougent de temps en temps en direction opposée. Les titres qui bougent ensemble sont souvent soit dans le même secteur, soit dans le même pays.

FI : Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à la stratégie de faible volatilité ?

J. M. : Je suis un ancien prof de finance et pendant mes années d’enseignement, j’étais très au fait que l’industrie se comportait comme si le Modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF) était vrai, alors que dans les faits, il ne l’est pas. Les théories doivent nous aider à prévoir la réalité, mais dans ce cas, elles donnent de mauvaises prévisions !

Il a fallu la crise de 2008 pour que la banque me donne l’autorisation de lancer nos premiers fonds à faible volatilité en 2009. À l’époque, nous avons été les premiers au Canada à lancer ce type de produit.

Nous sommes partis de rien et nous gérons 15 G$ d’actif maintenant. C’est très populaire notamment parmi les caisses de retraite.

Plusieurs caisses de retraite privilégient cette stratégie, car avec des actions à faible volatilité, elles n’ont pas besoin de renflouer les coffres quand ça va mal pour respecter le ratio de financement. Pour un individu seul dans son REER, c’est la même chose. C’est mieux quand ça compte le plus, c’est-à-dire quand ça va mal.

FI : La stratégie de faible volatilité est-elle une mode passagère ?

J. M. : Au prochain cycle de rendement fort, les gens diront que c’est pour les pépères, la faible volatilité. Le problème, c’est qu’on ne sait pas quand ça va repartir. En ce moment, l’Inde est un géant bureaucratique, mais imaginons qu’elle décide de s’industrialiser. Ça pourrait créer un deuxième super cycle pour la Bourse mondiale. Dans mon cas, j’opte pour une position à long terme. Quand on prend beaucoup de risques, on n’augmente pas beaucoup le rendement espéré. Avec des actions à faible volatilité, si on ne finit pas milliardaire, on ne risque pas non plus de finir pauvre à la retraite.