Perturbations à l'horizon

«L’AMF a complètement cédé. Croyez-vous que les futurs sites Web transactionnels des grandes institutions financières miseront sur le conseil ? Pas du tout. Les institutions financières voudront récolter des primes, point à la ligne. Le consommateur aura un faux sentiment de sécurité», dit Gino Savard qui se dit «outré» de la position du régulateur.

Ces réactions suivent la publication, au début d’avril, des orientations de l’AMF relatives à l’encadrement de l’offre d’assurance par Internet (http://tinyurl.com/n5oarlw).

Dans son document, l’AMF dit que la souscription de produits d’assurance par Internet pourrait être faite sans l’intervention d’un représentant à certaines conditions, entre autres que le consommateur :

dispose des outils nécessaires à la prise de décision, de l’analyse de besoins jusqu’au choix de produit ;

puisse comparer avec un produit qu’il détient déjà et être informé des bénéfices qu’il risquerait de perdre en changeant de produit ;

puisse accéder à un représentant s’il en sent le besoin, à toute étape de la souscription, soit de l’évaluation de besoin jusqu’à la conclusion du contrat ;

soit informé de l’importance d’obtenir des conseils.

Michel Kirouac, vice-président directeur général du Groupe Cloutier, a interrompu ses vacances pour réagir : «L’AMF dit que le travail du représentant n’est pas important. C’est grave ! Je m’inquiète beaucoup [de ce] que des produits très complexes pourraient être vendus directement, sans représentant. Il ne faudrait pas, par exemple, que la véritable analyse de besoins se fasse au moment de la réclamation, comme avec l’assurance-crédit en vente directe où des clients se sont rendu compte, lors de la réclamation, que des conditions pré-existantes les empêchent de toucher leur protection.»

Comme Gino Savard, Michel Kirouac pense aussi que les institutions financières s’engouffreront dans la brèche de la vente directe sur Internet : « »Venez chez nous. C’est moins cher ! » Je crains que les grandes institutions financières communiquent ce genre de discours auprès des consommateurs».

Ce qui, ajoute le responsable du réseau de courtage MGA du Groupe Cloutier, nuira au client.

«L’attrait des plus bas prix et les dégâts de l’auto-analyse de besoins causeront beaucoup de tort aux clients, surtout en matière de produits complexes comme l’assurance vie permanente, l’assurance salaire, l’assurance frais généraux et l’assurance maladies graves», dit Michel Kirouac.

L’AMF envoie ainsi un message contradictoire aux consommateurs, selon Carl Thibeault, vice-président principal chez Services financiers Groupe Investors : «Le nombre de produits financiers augmente sans cesse, alors que le niveau de connaissances générales en finances personnelles, lui, ne bouge pas. Pense-t-on améliorer la littératie financière en invitant les consommateurs à choisir des produits complexes ? Alors même que le choix du produit se trouve à la fin du processus ? On ne peut pas identifier les risques que l’on ne connaît pas».

Ex-président du conseil d’administration de la Chambre de la Sécurité Financière, Dany Bergeron réprouve avec vigueur la position de l’AMF : «Je ne suis pas certain que l’AMF a accompli son travail de protection des intérêts des consommateurs. Le régulateur en vient à impartir la protection du public au public lui-même».

Président de son propre cabinet, Financière Radisson, Dany Bergeron croit que des sites transactionnels ne pourront pas adéquatement surveiller si, oui ou non, le client achète le meilleur produit. Surtout lorsque le niveau de complexité est important.

«Prenons la vie universelle. Comment un logiciel pourra-t-il valider si le client sait vraiment que les frais de rachat, à la cinquième année, s’établissent à 4 ou 5 fois la prime ? Pense-t-on que le client lira tous les documents d’information ? Même mes clients ne savent pas ce genre de choses, à moins que je ne le leur dise», note Dany Bergeron.

«Du point de vue de la protection des intérêts des consommateurs, le document de l’AMF est l’équivalent d’un fromage de gruyère», ajoute-t-il.

Pas pour demain, mais…

Comme le dit l’AMF dans son document d’orientation, «il appartiendra au gouvernement de décider si des modifications réglementaires doivent être apportées afin de mettre en oeuvre ces orientations».

Le scénario de la vente d’assurance de personnes par Internet sans représentant dépend donc de la refonte prochaine de la Loi sur les assurances qui devrait se concrétiser d’ici l’été 2016.

«Si la Loi est révisée et qu’elle autorise la vente sur Internet, ce document de l’AMF nous dit alors à quoi pourra ressembler la nouvelle réglementation», dit Yves Millette, vice-président principal aux affaires québécoises de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes.

 

Photo Bloomberg