Selon lui, la maison mère de Standard Life, située à Édimbourg, en Écosse, a probablement vu une occasion de maximiser la valeur de ses opérations canadiennes. «L’assureur peut maintenant prendre cet argent et décider de ce qu’il en fera : soit le redonner à ses actionnaires ou le déployer dans d’autres marchés comme le Royaume-Uni, le Moyen-Orient, l’Asie ou à tout autre endroit qui lui semblerait bénéfique.»

Quant à Manuvie, cette transaction laisse croire que l’assureur a bien traversé la crise et que son bilan s’est assaini depuis les dernières années, selon Stephen Jarislowsky, président du conseil d’administration de Jarislowsky Fraser. «Ils pourront réaliser des économies sur le plan des frais généraux et du personnel. Ils n’auront certainement pas besoin de conserver tous les salaires des gens qui travaillent pour Standard Life», note ce vétéran de la finance.

En plus de prendre plus de place sur le marché québécois, Manuvie pourra également accroître sa présence notamment sur le marché des régimes de retraite. Manuvie estime que la transaction générera une augmentation de 19 G$ de l’actif administré pour son secteur des régimes de retraite au Canada, ce qui portera son actif administré total dans ce secteur à 40,9 G$.

«Manuvie met la main sur des opérations de régimes de retraite incroyables qui comprennent un bras d’investissement, des activités d’assurance collective solides et une division de détail en croissance avec un réseau de distribution loyal, indique Joseph Iannicelli. La Financière Standard Life a un bilan financier propre, et Manuvie sera agréablement surprise par la qualité de l’acquisition qu’elle vient de faire.»

Vents de face

Dans l’industrie de l’assurance au Québec, cette transaction n’étonne pas. C’était connu, la Financière Standard Life souhaitait se départir de ce qui subsistait de son portefeuille d’assurance individuelle, après avoir cessé de vendre ce type de produits en 2011. «Cette transaction n’est pas vraiment surprenante. Nous soupçonnions que la maison mère pouvait se départir de sa filiale canadienne», révèle Richard Gagnon, président et chef de la direction d’Humania Assurance, qui refuse de spéculer et ajoute que les impacts réels de cette transaction seront plus visibles dans plusieurs mois.

Cette transaction serait symptomatique du contexte difficile dans lequel évoluent les compagnies d’assurance, selon Jacques Desbiens, président-directeur général, UV Mutuelle.

«Les bas taux d’intérêt qui perdurent, les nouvelles règles de capitalisation en devenir, la réglementation, l’implantation des normes comptables internationales IFRS, ce sont probablement tous des éléments importants dans la décision des deux entités de poursuivre en faisant route ensemble», souligne-t-il.

Or, cette tendance à la consolidation risque de se poursuivre dans l’avenir, selon Gino Savard, président de Mica Services financiers. «Inévitablement, il va y avoir une nouvelle vague de consolidation des assureurs, croit-il. C’est impossible qu’il n’y en ait pas d’autres, et ce, autant dans les cabinets que chez les assureurs. Les marges de profit se rétrécissent et la compétitivité est à son comble, certaines entreprises vont se décourager.»

Perdante, Montréal ?

Standard Life compte près de 2 000 employés au Canada et Manuvie a indiqué par voie de communiqué que la «grande majorité des emplois au Québec seront maintenus» et que «l’effectif québécois sera plus élevé que celui de la Standard Life à l’heure actuelle».

Cependant, les craintes se multiplient en ce qui concerne une éventuelle fermeture du siège social montréalais de l’assureur.

Richard Gagnon s’attriste devant l’éventualité d’un déménagement de la Standard Life : «Le plus triste est la perte d’un siège social québécois, d’une institution financière bien implantée au Québec depuis 180 ans», déplore-t-il.

De son côté, Eric Lemieux, directeur général de CFI Montréal et de Finance Montréal, voit les choses avec optimisme : «Il y a un bassin d’expertise en matière d’actuariat, de retraite et d’assurance ici. C’est une occasion pour que Manuvie vienne développer l’industrie financière montréalaise et c’est comme ça que je vais les aborder.»

Il souligne que le prix payé par Manuvie, qui a accepté de verser 4 G$ en espèces, ou 19,5 fois les profits, témoigne du fait que l’assureur a l’intention d’utiliser l’expertise acquise pour créer de la valeur dans le futur. Par ailleurs, cette transaction témoignerait de la vivacité de l’économie canadienne.

«Le fait qu’il y a de telles transactions montre que notre économie est dynamique, qu’il y a des entreprises intéressantes sur le marché et qu’il y a du mouvement ! C’est comme ça que fonctionne l’économie, même si on aimerait toujours mieux que ce soit une entreprise québécoise qui fasse cet achat», soutient Éric Lemieux.

Malgré tout, Joseph Iannicelli a certaines craintes pour l’industrie de l’assurance et ses clients qui viennent de perdre une option. «Je ne crois pas que ce soit une bonne transaction pour l’industrie de l’assurance au Canada. La Standard Life fournissait aux consommateurs et aux courtiers une autre option en dehors du Big Three, en plus d’être une force innovatrice, particulièrement en ce qui concerne ses opérations liées aux régimes de retraite. Cette perte fera mal à la compétitivité de l’industrie», soutient-il.