En effet, les épargnants fournissent sans le savoir des multitudes de renseignements sur eux-mêmes en naviguant sur le Web. Ces différentes données se présentent sous plusieurs formes : les vidéos consultées, les boutons «J’aime», le nombre de pages lues et les sujets sur lesquels elles portent, etc.

Cependant, jusqu’à récemment, les institutions financières n’avaient pas les outils ni le temps nécessaires pour analyser ces mégadonnées. Or, les robots-conseillers s’avèrent une solution pour les traiter, puis les exploiter.

En 2014 déjà, 37 % des institutions financières américaines figurant au Top 1 000 des plus grandes sociétés du magazine Fortune avaient des projets en matière de traitement des mégadonnées, selon un rapport de Capgemini (http://bit.ly/1NFtl8n).

De plus, même celles qui n’étaient pas passées à l’acte semblaient sur le point de le faire, puisque 90 % d’entre elles affirmaient que le traitement des données se révélait le facteur qui séparera les gagnants des perdants.

Révolution à venir

Ce point de vue est partagé au Canada. «Les fintech [sociétés de technologies financières] ont un meilleur rendement lorsqu’elles emploient des modèles d’entreprise qui utilisent certaines plateformes technologiques, manipulent intensivement les données financières et nécessitent peu de capitaux», souligne Jean-Christophe Bernier, spécialiste de la réglementation des fintech au Centre d’études en droit économique de l’Université Laval.

«Les méthodes de distribution des secteurs assurantiel, bancaire et des valeurs mobilières conviennent parfaitement à ces entreprises, et elles ne se gêneront pas pour les utiliser», affirme-t-il.

«Le domaine du courtage en assurance, en particulier, pourrait grandement bénéficier d’une intégration des fintech à ses pratiques commerciales», ajoute Jean-Christophe Bernier.

Michel Bernier, associé directeur chez Pivot Transformation stratégique, croit lui aussi que l’industrie financière sera chamboulée.

«Il s’agit du même processus observé à de nombreuses reprises. Dans un premier temps, on vise le bas du marché ou un segment mal servi par les acteurs traditionnels. C’est ce que font les robots-conseillers», observait en mai dernier le directeur de la firme-conseil spécialisée dans les changements stratégiques.

Ce ne serait donc qu’une question de temps avant que les robots-conseillers améliorent leur offre et prennent du galon avant de monter en gamme avec des produits moins coûteux et plus conviviaux.

«Je me suis ouvert un compte sur Wealthsimple [un robot-conseiller] et j’ai été ébahi par la convivialité du processus. Cela risque fort d’avoir un impact perturbateur sur l’industrie», a ajouté le stratège de Pivot en marge d’une conférence de Finance Montréal, tenue en mai dernier sur le sujet.

Ian Gascon, président de Placements Idema, considère que le modèle des robots-conseillers comme Wealthsimple «est de croître rapidement, de chercher du volume et éventuellement, de devenir rentable», ce que Wealthsimple n’est pas actuellement, évalue-t-il.

À l’occasion de la conférence organisée par Finance Montréal, le président-fondateur de la canadienne Wealthsimple, Michael Katchen, a attesté ces propos. Il a alors affirmé que son entreprise n’était pas rentable avec sa base actuelle de clients, mais qu’elle pourrait l’être si l’objectif n’était pas la croissance rapide.

Michel Bernier croit lui aussi que pour les robots-conseillers, le nerf de la guerre consiste à récolter des parts de marché. «Leur évaluation ne repose pas sur les actifs sous gestion comme pour les autres institutions financières, mais sur le nombre de clients. Cela change la donne», analyse-t-il.

Grand avantage concurrentiel

Michel Bernier, en bon stratège, voit cependant plus loin que cette première vague.

«La deuxième vague, ce sera le data. Regardez Google, par exemple. Avec les données qu’elle récolte, elle peut prévoir où surviendra la prochaine épidémie de grippe. Imaginez les données que les institutions financières pourront accumuler [grâce aux robots-conseillers]. Elles pourront en apprendre beaucoup sur le comportement des investisseurs, et c’est là que se trouve l’avantage concurrentiel», prévoit-il.

L’associé de Pivot donne un exemple simple : «Mon client a consulté son compte trois fois aujourd’hui. Est-ce le moment de l’appeler ?»

Les études montrent que la véritable valeur ajoutée par le conseiller se trouve dans l’influence positive qu’il exerce sur le comportement de l’investisseur, particulièrement lors des périodes difficiles.

«Les robots ne le font pas encore, mais ça viendra, et ce sera le data-driven, dit Michel Bernier. Cela a une énorme valeur. Peut-être plus que la clientèle.»

«Regardez, par exemple, une des premières percées des fintech, le peer-to-peer lending (prêts entre particuliers en ligne). L’avantage concurrentiel, c’est le data. Au début, ce n’était pas payant, mais ça a permis de tester les algorithmes et de les raffiner afin de prendre de meilleures décisions», explique Michel Bernier.

Avalés par les grands ?

Une question demeure. Qui sera dominant dans ce modèle ? Est-ce que les robots-conseillers feront preuve de résilience ou seront-ils rachetés par les grands acteurs de l’industrie ? Les experts consultés n’osent pas se prononcer.

Toutefois, Michel Bernier déplore que les grandes sociétés financières envisagent le modèle selon leur prisme, et non en fonction de celui des fintech.

«Les grands acteurs regardent cela en fonction de la productivité. Mais le modèle des robots ne repose pas là-dessus. Le modèle, c’est l’expérience-client.»