Finance et Investissement (FI) : Quel bilan dressez-vous de la crise des papiers commerciaux adossés à des actifs non bancaires (PCAA) et de la crise financière ?

Monique F. Leroux (M.F.L.) : Qu’il s’agisse des PCAA ou de la crise financière, ça m’a convaincue de bâtir une entreprise coopérative qui a des fondations financières extrêmement solides. Ça nous a amenés à nous donner des objectifs de capitalisation exigeants. Au 31 décembre 2015, notre ratio de capital de première catégorie est à 16 %, alors que celui de la Banque Nationale est de 9,9 %.

Nous avons aussi décidé d’avoir une croissance stable de nos excédents, et d’essayer d’éviter la volatilité. Donc, il y a certains métiers que nous avons essayé d’exercer beaucoup moins, notamment sur le marché des capitaux. Nous avons décidé de travailler auprès des membres particuliers, auprès de nos assurés, et d’accompagner les petites, moyennes et un certain nombre de grandes entreprises. Une fois que cela a été fait, nous avons dressé un plan de croissance qui nous a amenés vers un développement pancanadien.

FI : La croissance de Desjardins passe-t-elle par l’Ouest canadien ?

M.F.L. : La croissance de Desjardins ne passe pas que par l’Ouest canadien. Le marché du Québec est très important. Par exemple, nous n’avions pas dans le marché montréalais ce que nous avions dans d’autres régions, donc, nous avons lancé des initiatives qui sont en cours, dont les nouveaux centres de services Marché central et 360d.

FI : Votre passage à la tête de Desjardins a été associé à une diminution du nombre de caisses, qui est passé de 495 en 2008 à 347 en 2014, comment cela s’inscrit-il dans votre bilan ?

M.F.L. : Les regroupements ont fait l’objet de décisions collectives. Nous avons tenu compte de l’évolution du territoire et de la dynamique des marchés. Il faut être capable de s’adapter. Si on ne le fait pas, on se retrouvera avec un moyen enjeu de productivité et de pertinence. Desjardins est l’institution financière la plus présente au Québec et va continuer à l’être.

FI : Les revenus de services de courtage et de fonds de placement ont crû de plus de 10 % sur une base annualisée de 2011 à 2015. Comment expliquer cette progression ?

M.F.L. : En 2009, nous nous sommes donné un plan de match. Nous avons ainsi développé l’assurance de dommages, grâce à [l’acquisition de] Western Financial Group. [Le plan] nous a amené à [acquérir] MGI et Qtrade, nous avons également fait des choses supplémentaires avec Placements NEI, dont les fonds Northwest et Éthique. Tout cela a fait l’objet d’une stratégie concertée. Nous avons pris le volet Gestion de patrimoine et assurance de personnes (GPAP), le volet assurance de dommages et celui de la monétique et l’accompagnement des entreprises, et nous nous sommes donné une perspective de développement.

[…] La combinaison d’une distribution accrue et du travail qui a été fait dans nos solutions de placement, avec l’équipe de Desjardins Gestion d’Actifs, parce que derrière tout ça, il y a GPAP, mais derrière GPAP, il y a des équipes qui gèrent tous nos portefeuilles, il y a eu une forme d’ingénierie financière, une forme de recherche dans nos équipes de placement pour arriver avec des solutions de placement qui fonctionnent assez bien.

FI : Avant votre entrée en poste, Valeurs mobilières Desjardins (VMD) avait un actif de 14,5 G$ et un actif moyen par conseiller sous la moyenne de ses pairs. Maintenant, l’actif s’élève à 25 G$, et l’actif moyen, dans la moyenne de ses pairs. Que pensez-vous de cette progression ?

M.F.L. : Nous avons ramené l’action de VMD autour du travail d’équipe, du travail avec le réseau, du travail avec nos membres. Une philosophie qui a été une prise de risques moins grande, mais qui nous a permis de travailler en plus grande complémentarité avec le reste du groupe. Cela nous a amenés à des décisions difficiles. Nous avons eu un certain nombre de questionnements par rapport aux paradis fiscaux. Nous avons voulu travailler d’une certaine manière. Maintenant, il y a une plus grande harmonie entre VMD, la gestion privée et le réseau des caisses. Nous lançons actuellement le Service Signature Desjardins. Nous avons connu une belle croissance.

FI : Quelle est votre position par rapport au rôle des institutions financières canadiennes dans les paradis fiscaux ?

M.F.L. : Nous sommes une entreprise citoyenne québécoise et canadienne. Nos impôts, nous les payons ici, et nos structures sont faites ici, à moins qu’elles ne soient aux États-Unis, comme dans le cas de Desjardins Bank. Nous n’avons pas de structure dans les paradis fiscaux.

FI : Que pensez-vous de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller ?

M.F.L. : Je crois beaucoup à la transparence et à la divulgation. Que ce soit dans les états financiers, dans les frais, dans les termes de certains contrats, il faut être capable d’être extrêmement transparent pour permettre aux gens de comprendre le produit, de comprendre les frais, de pouvoir se faire une idée.

FI : Selon un mandat de lobbying, vous souhaiteriez même que le Québec recoure aux règles de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels. Pourquoi ?

M.F.L. : Est-ce que ça a du sens d’avoir des règles harmonisées à travers le Canada et l’ensemble des provinces sur la distribution des services financiers ? Oui. En principe, il devrait y avoir une certaine forme de convergence. De la même manière qu’il y a une certaine convergence sur les règles qui concernent l’application de Bâle III.

FI : Selon vous, que devraient retenir les conseillers de votre passage ?

M.F.L. : Que je suis une personne qui a des convictions, qui a été très engagée dans le développement du Mouvement Desjardins. Aussi, une personne qui y a peut-être relancé l’innovation.

FI : Quelle est votre plus grande satisfaction en ce qui concerne votre bilan ?

M.F.L. : Premièrement, d’avoir travaillé à faire que Desjardins soit un employeur de choix au Canada. Deuxièmement, nous avons maintenant un Mouvement Desjardins diversifié à l’échelle du Canada. Nous avons une institution qui a démontré qu’elle était capable de faire des acquisitions, mais qui crée des emplois au Québec, car tous nos sièges sociaux sont ici.

FI : Et votre plus grande déception ?

M.F.L. : Le travail qu’il nous reste à faire pour faire reconnaître la pertinence du modèle coopératif par l’ensemble des parties prenantes dans le monde. Ce n’est pas un modèle apprécié à son juste titre. Vous ne pouvez pas faire une prise de contrôle hostile ou amicale. Elle reste la propriété du milieu.