Innover ou mourir
Martin Laprise

«Je suis maintenant au service des courtiers. Je dois bien comprendre leur plan d’affaires afin de les propulser», souligne celui qui vise une croissance annuelle de 8 % pour l’ensemble des secteurs d’activité de la firme en 2017.

En décembre 2012, constatant que le plan d’affaires de Pro Vie assurances, l’entreprise qu’il a cofondée, stagne, Christian Laroche se met à réfléchir à une nouvelle formule. «Il fallait vraiment prendre plus de risques et faire croître l’entreprise, ou arrêter complètement et se faire absorber», dit-il.

L’idée de créer un cabinet indépendant, sans conseillers directement rattachés, et au service des courtiers germe alors dans son esprit. L’objectif est double : d’une part, faire de Pro Vie un agent général à part entière, et d’autre part, créer une structure complètement indépendante offrant des services aux cabinets du réseau.

Appuyé par le président et cofondateur de Pro Vie, Raymond Dostie, et soutenu par Humania Assurance – actionnaire majoritaire de la firme -, Christian Laroche met son plan en marche en 2014. La même année, il prend le relais de Raymond Dostie à titre de président de Pro Vie.

«Dès 2014, quand nous faisions des acquisitions, nous mentionnions déjà discrètement qu’un modèle comme celui d’Aurrea s’en venait.»

Et l’idée fait son chemin. Sur une période de trois ans, soit de 2013 à 2016, les actifs en fonds communs de placement ont fait un bond de 122 %, pour atteindre près de 170 M$. En fonds distincts, les nouvelles ventes ont plus que doublé entre 2014 et 2016, passant de 27,6 M$ à 64,8 M$.

La différence dans le nouveau modèle se perçoit également en assurance individuelle, où le nombre de primes vendues a augmenté de 99 % en deux ans, passant de 6,8 M$ à près de 13,5 M$.

«C’est vraiment dans les primes vendues que nous voyons la différence du plan d’affaires», souligne Christian Laroche.

Par ailleurs, le nouveau modèle les devance et les courtiers sont curieux d’en apprendre davantage ou de se joindre à eux, ce qui ajoute de la pression sur les infrastructures technologiques ainsi que sur l’embauche de nouvelles ressources.

«Nous avons doublé de taille en deux ans. C’était peut-être trop rapide ou même dangereux à un certain moment. C’est bien beau, un chiffre d’affaires qui grossit aussi vite qu’en ce moment, mais est-ce que le back office va suivre ? Nous avons eu des petits problèmes et il a fallu s’adapter», avoue-t-il.

Le Web en renfort

Le développement des affaires du cabinet et de son réseau est également appuyé par son générateur de référencements (leads) en ligne, Pro Spect, qui fournit à ses conseillers les coordonnées de clients potentiels. Le fonctionnement est simple : des consommateurs remplissent en ligne sur ClicAssur des demandes de soumission qui sont, par la suite, envoyées aux conseillers de façon quotidienne par l’intermédiaire de Pro Spect.

En 2016 seulement, près de 10 000 clients potentiels ont été dirigés vers les conseillers du réseau, et Christian Laroche a bon espoir d’atteindre 16 000 référencements cette année. Plus du quart des clients référencés se convertissent en clients réels.

Christian Laroche avoue d’ailleurs candidement avoir longtemps douté qu’un jour les soumissions provenant d’Internet soient aussi importantes et modifient autant le modèle d’affaires de son entreprise.

«J’étais à côté de la track. Si, en 2009, on m’avait dit que j’allais avoir 16 000 leads provenant d’un site web, je leur aurais dit qu’ils étaient complètement fous, explique-t-il. Malheureusement, c’est vers certains produits d’assurance simplifiés sans intervention d’un représentant qu’on se dirige. Quelqu’un qui me dit le contraire est dans le coma et ne voit pas ce qui s’en vient.»

Dès ses débuts, Pro Vie était spécialisé dans les produits de prestations du vivant, et plus précisément l’assurance invalidité. Depuis, la proportion s’est inversée à l’avantage des produits d’assurance vie, ce qui, au passage, a fait de la firme multidisciplinaire un cabinet de «volume».

«C’est incroyable le nombre de transactions qu’on doit faire ici, parce qu’en ayant des sites Internet et du référencement comme les nôtres, nous obtenons souvent une clientèle avec de la plus petite prime», souligne Christian Laroche.

Il cite l’exemple d’un assureur qui lui indiquait qu’Aurrea occupait la première place, sur le plan du volume, auprès de l’ensemble des agents généraux qu’il servait. En effet, Aurrea conclut deux fois plus de transactions que le deuxième cabinet en importance faisant affaire avec cet assureur.

Le président reconnaît que sa rentabilité est liée à la solidité de son arrière-guichet ainsi qu’aux ressources humaines qui doivent accompagner les ventes. Malgré le défi, il considère que son modèle est porteur.

«C’est l’avenir qui m’intéresse, dit-il. C’est beaucoup plus de clients et beaucoup plus de ventes croisées par la suite.»

Entrepreneur dans l’âme

Dès le départ, Christian Laroche avait été identifié par les dirigeants d’Humania comme un futur gestionnaire d’importance pour assurer la relève.

«Christian est quelqu’un qui n’hésite pas à remettre en question les façons de faire, un visionnaire. Ce n’est pas un gars de demi-mesure, il aime aller au bout de ses idées et de ses projets», souligne Richard Gagnon, président et chef de la direction d’Humania Assurance de décembre 2003 à janvier 2017.

Pour Christian Laroche, la perfection n’existe pas dans un projet et il reconnaît être très sévère envers lui-même.

«Je suis un homme d’équipe. Cependant, je suis exigeant pour le projet, je ne me satisfais jamais des résultats que j’ai et il faut être capable d’accepter ma franchise quand je donne mon opinion.»

Après un passage de trois ans dans les Forces canadiennes, il intègre l’industrie des services financiers au sein de la Mutuelle d’Omaha, une firme spécialisée en assurance invalidité auprès des entrepreneurs.

Son expérience dans l’armée lui a permis de comprendre que c’est le côté entrepreneurial de l’industrie qui l’intéresse.

«Dans l’armée, j’ai compris qu’on pouvait seulement grimper les échelons avec l’ancienneté, et non parce qu’on est bon, indique-t-il. Je crois au système de performance.»

Par la suite, lorsque la RBC a racheté les activités canadiennes de la Mutuelle, en 1997, Christian Laroche est devenu directeur régional chez RBC assurances.

La structure d’entreprise plus lourde ne lui convenait pas. Il décide de quitter RBC un an et demi après l’achat de sa société pour récréer le modèle d’affaires de la Mutuelle d’Omaha, «mais dans le courtage et avec davantage d’assureurs», avec son ancien collègue de la Mutuelle et mentor Raymond Dostie. C’est à ce moment que naît Pro Vie assurances.

Leur plan d’affaires ambitieux oblige ses fondateurs à rechercher rapidement un coup de main financier, soutien qu’ils trouveront auprès d’Humania (NDLR : anciennement La Survivance) en 2001.

«C’était une question de survie de l’entreprise», se rappelle Christian Laroche.

À l’époque, Humania, qui venait de fermer son réseau carrière, prend une participation de 45 % dans l’actionnariat du cabinet, ce qui permet à Pro Vie de prendre son envol.

Le partenariat entre les deux était naturel et répondait aux besoins particuliers de Pro Vie en matière de développement de produits de niche pour ses clientèles cibles.

«Nous avons toujours été un des plus gros acteurs chez Humania. Le but était là, il nous aidait. Humania fabriquait des produits sur mesure pour nous», dit-il.

En 2014, Humania est devenu l’actionnaire de contrôle de Pro Vie, avec 75 % des actions, en rachetant la participation de Raymond Dostie, qui prenait sa retraite.

Christian Laroche soutient que malgré l’importance d’Humania dans l’entreprise, l’assureur n’intervient ni dans la distribution ni dans la gestion et qu’il n’y a pas de «contamination par l’assureur».

«Il y a même des jours où il faut que je me souvienne qu’ils sont propriétaires de la filiale», soutient-il.

L’assurance n’est pas un produit Avon

Christian Laroche est «200 %» d’accord avec l’abolition des mesures incitatives, ou concours de vente, faites par les manufacturiers de produits d’assurance.

«J’abolirais tout ça provenant des assureurs, je déteste ça. D’ailleurs, certains assureurs ont des budgets plus importants que d’autres, ce qui peut détourner les ventes d’un assureur vers un autre», dit-il.

Il croit qu’organiser des concours de vente, tous manufacturiers confondus, est davantage le rôle des agents généraux.

Par ailleurs, les conseillers devraient obtenir des rémunérations équivalentes, et ce, quel que soit l’assureur avec lequel ils font affaire, selon lui.

«Nous ne sommes pas des produits Avon», dit le président d’Aurrea.