Même l’AMF examine l’écart réglementaire entre les produits semblables comme les fonds communs et les fonds distincts, les premiers étant des valeurs mobilières, et les seconds, des contrats d’assurance.

«Il y a probablement certains ajustements à faire, mais il ne faut pas oublier les caractéristiques propres aux secteurs de l’assurance et des fonds d’investissement. Il y a des caractéristiques qui militent en faveur des différences. Je ne pense pas que ces différences devraient être aussi importantes qu’elles le sont aujourd’hui, mais nous verrons au terme des travaux que nous effectuons», a indiqué Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF, à la même occasion.

Ces déclarations surviennent alors que la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2) amènera progressivement, d’ici juillet 2016, une série de nouvelles divulgations. Parmi celles-ci, le client devra connaître les frais en dollars payés sur ses valeurs mobilières, lesquels incluent notamment les fonds communs, les actions et les obligations.

Pour le moment, les fonds distincts ne sont pas soumis à cette réglementation étant donné leur statut juridique différent.

Or, l’AMF craint notamment les risques liés à l’arbitrage réglementaire. Par exemple, le conseiller qui a un permis pour distribuer un fonds commun et un fonds distinct privilégie la vente du deuxième afin d’éviter les règles du premier.

«Les distinctions de la réglementation sont nécessaires dans certains cas, étant donné la particularité de chaque secteur, mais elles peuvent aussi contribuer à créer des écarts réglementaires potentiellement contraires au bon fonctionnement du marché et à l’intérêt du consommateur», a soutenu Eric Stevenson, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution de l’AMF, lors du Rendez-vous de l’AMF.

La table est mise

Récemment, l’harmonisation de ces règles avec celles du secteur valeurs mobilières a été abordée sur plusieurs tribunes publiques destinées à l’industrie.

«Le fruit semble mûr pour de tels échanges», a affirmé Louise Gauthier, directrice principale de l’indemnisation et des politiques d’encadrement de la distribution par intérim de l’AMF, lors du Rendez-vous de l’AMF.

L’AMF constate depuis peu une ouverture à la discussion de la part des associations canadiennes en assurance, qui avaient toujours été plutôt froides à l’idée de l’harmonisation.

Le sujet demeure sensible, a dit Eric Stevenson à la fin d’un panel intitulé «Faut-il harmoniser davantage l’encadrement de l’offre de certains produits d’assurance et de valeurs mobilières en raison de leur similitude ?» «Nous n’en sommes pas au point de lancer des consultations [officielles] dans l’industrie. Ce panel était déjà un premier pas important.»

«En valeurs mobilières, l’industrie des fonds communs était aussi fermement opposée, au départ, aux changements proposés en ce qui a trait à une plus grande transparence face au client. Aujourd’hui, nous constatons que l’industrie des fonds communs se rallie et se félicite des avantages de l’évolution de la réglementation», a affirmé Louise Gauthier.

Changement incontournable ?

Carmen Crépin, vice-présidente Québec de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) plaide aussi pour une plus grande concertation des régulateurs du domaine des valeurs mobilières et de l’assurance.

«Je milite pour cela depuis 20 ans. Les deux industries s’adressent aux mêmes clients. Les produits offerts se ressemblent, mais ont des régimes réglementaires différents. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas ! Les exigences minimales devraient être les mêmes partout», a-t-elle mentionné lors d’un panel sur MRCC 2 organisé par Morningstar Canada en octobre.

Même au Congrès de l’assurance et de l’investissement, qui cible principalement l’industrie de l’assurance, des assureurs et des agences générales ont échangé sur le sujet.

«Il faut choisir nos batailles. Je préfère me préparer à l’éventualité de la divulgation obligatoire pour nous aussi, plutôt que de me buter et de penser que nous nous battrons à la vie à la mort contre le concept. Il faut mettre en avant la valeur ajoutée de nos services. Dans cinq ou sept ans, quand la transparence sera plus grande en assurance, nous serons prêts», a mentionné Richard Gagnon, président et chef de la direction d’Humania Assurance au congrès tenu en novembre dernier.

«Nous ne voulons pas être obligés de dévoiler nos commissions pour les fonds distincts, mais nous devons nous préparer à ce que ça arrive. Dans plusieurs pays du monde, la divulgation des commissions est requise en assurance vie», a fait valoir Michel Kirouac, vice-président directeur général du Groupe Cloutier lors du même événement.

Au Royaume-Uni et en Australie, la rémunération à la commission dans le secteur des services financiers est maintenant interdite.

Vive opposition

Tout comme Louise Gauthier, Bruno Michaud, vice-président principal, administration et ventes chez Industrielle Alliance, a participé au panel des Rendez-vous de l’AMF.

«Sur le plan de la sécurité et de la réglementation, le client est autant protégé s’il achète un fonds commun que s’il achète un fonds distinct. Le reste dépend de la compétence du conseiller qui est censé faire passer en premier l’intérêt du client», a-t-il soutenu.

Selon Bruno Michaud, la divulgation des commissions en assurance ne serait pas la panacée des problèmes de transparence. «Je suis d’accord pour que nous dévoilions les frais, mais les commissions ne révéleraient qu’une partie de l’histoire.»

Dans la même optique, Michel Kirouac, lors du congrès, a expliqué que s’il y avait un jour divulgation des commissions en assurance, il souhaite que celles-ci soient présentées selon une durée de vie moyenne d’un contrat d’assurance divisée par l’argent reçu par le conseiller, et non uniquement selon la commission la plus élevée enregistrée pendant la première année.

«Nous avons suffisamment parlé de la question de la divulgation des commissions ! Quand je vais acheter un cellulaire, je sais que le vendeur reçoit une commission. Est-ce cela dérange quelqu’un ? Je ne comprends pas pourquoi ils s’attaquent à notre profession. Nous aidons des gens et nous planifions des retraites. Je n’apprécie vraiment pas qu’on nous montre du doigt !» a clamé James McMahon, président division Québec de Groupe Financier Horizons, lors du congrès.

Du G20 au Québec

Il reste que l’harmonisation de la réglementation de l’assurance et de celle des autres secteurs de la finance interpelle les régulateurs tant sur le plan national que sur le plan international, selon Eric Stevenson.

Le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) a notamment publié en février 2014 son plan stratégique pour les trois prochaines années, dans lequel on mentionne la création d’un groupe de réflexion sur les fonds distincts, qui examinera plus particulièrement le contexte de la réglementation et qui évaluera la pertinence d’un arbitrage réglementaire potentiel.

Ces examens découlent entre autres d’initiatives sur le plan international, plus précisément de la demande faite en 2009 par le G20 au Forum conjoint qui regroupe l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (AICA) et le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire.

Le Forum conjoint a été mandaté pour procéder à une revue des différentes approches de la réglementation des secteurs bancaires, des valeurs mobilières et de l’assurance et d’émettre ensuite ses recommandations.

En 2010, le Forum conjoint a publié un rapport qui a mis en lumière les différences dans l’encadrement de secteurs d’activité distincts à l’échelle internationale. Il a recommandé que «les organismes des trois secteurs travaillent de concert au développement de normes multisectorielles afin que les activités des produits similaires soient encadrées selon une réglementation plus harmonisée», a rapporté Eric Stevenson.

Selon les plus récentes constatations du Forum conjoint, l’harmonisation aurait deux avantages : le premier, de réduire le nombre de situations d’arbitrage réglementaire, et le second, de contribuer à la stabilité du système financier.

«Il est primordial que tous les consommateurs de tous les secteurs de la finance, sans exception, aient droit à une divulgation d’information adéquate sur le produit qu’ils achètent au moment de la transaction point of sale», a déclaré le président du Forum conjoint et directeur de la politique internationale pour la Federal Financial Supervisory Authority de l’Allemagne, Thomas Schmitz-Lippert, dans le plus récent document du Forum sur le sujet publié en avril 2014.

Données tangibles

Selon Eric Stevenson, l’AMF «procède en ce moment à un exercice sérieux sur la question». Il mentionne que des tableaux de données de comparaison entre les deux industries ont été créés, ajoutant qu’il n’avait pas encore réfléchi à la possibilité de publier cette information.

«Contrairement à la croyance véhiculée, bien que les deux secteurs fassent l’objet de réglementations distinctes et exprimées différemment, la façon dont l’AMF les applique est similaire. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de différence, mais il y a assurément des similitudes entre les deux secteurs. Nous allons poursuivre nos travaux et solliciter davantage l’industrie sur ces questions-là», a-t-il conclu.