Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’AMF précise : «Ce n’est pas que les formulaires ne sont pas adéquats, mais nous constatons et mettons en garde contre une mauvaise utilisation de ceux-ci de la part du conseiller.» Il ajoute que «le formulaire ne doit pas remplacer le travail du représentant» ni son obligation de prendre des mesures raisonnables pour bien connaître son client et de mettre à jour cette information régulièrement.

À la Chambre de la sécurité financière (CSF), on s’étonne dans un premier temps de la réaction de l’AMF. «C’est vraiment dans notre cour, nous sommes le régulateur de proximité. Cette question fait partie intégrante de notre cours de conformité», constate la présidente et chef de la direction de la Chambre, Marie Elaine Farley.

Elle ne s’en formalise pas pour autant : «Tant mieux si nous sommes plusieurs à répéter le message», ajoute l’avocate, qui précise néanmoins que les questions de déontologie sont de la juridiction de la CSF et de son comité de discipline.

Marie Elaine Farley précise sa pensée. «Il faut remplir le formulaire et ça doit être au dossier. Mais cela ne veut pas dire que c’est suffisant. L’expérience du conseiller intervient lorsqu’il faut évaluer les besoins du client. Le travail ne consiste pas seulement à cocher des cases. Sinon, il suffirait de remplacer les conseillers par des ordinateurs», constate-t-elle.

Plus conforme que la conformité

Le représentant Sylvain De Champlain, président de De Champlain Groupe financier, acquiesce : «Le questionnaire est là pour nous guider, et non pour être pris au pied de la lettre. Que le client ait coché b ou c, cela nous aide et guide nos conversations, mais il faut rester vigilant. Ce n’est pas parce qu’il nous a dit qu’il est un investisseur à long terme qu’il ne changera pas d’idée si le marché baisse soudainement.»

Il y va d’une recommandation pour ses collègues planificateurs financiers. «Il faut être plus conforme que la conformité. Je vais toujours positionner le client qui me dit qu’il a un profil « croissance » une coche ou deux au-dessous de ce niveau au début, surtout en ce moment, puisque nous venons de traverser des années où les marchés financiers se sont bien comportés. Il est facile de se dire « croissance » lorsque ça fait cinq ans que les marchés montent», observe le propriétaire de De Champlain Groupe Financier.

Ce n’est qu’après un cycle boursier complet qu’il conseillera à son client de passer à la vitesse supérieure en matière d’acceptation du risque, car il connaîtra alors vraiment sa réaction à la volatilité inhérente aux marchés.

Lacunes dans l’industrie

Cependant, quelles sont les pratiques de l’industrie en la matière ? «Certains cabinets exigent qu’on fasse usage d’un questionnaire prescrit, tandis que d’autres laissent les conseillers utiliser d’autres types de questionnaires, ou simplement une démarche verbale», constate Gaétan Veillette, Fellow administrateur agréé et planificateur financier, à Brossard.

«Ces questionnaires comportent généralement de cinq à huit questions et le choix des placements est tributaire des résultats du questionnaire. Ces questionnaires ne traitent pas généralement des risques relatifs au gel des fonds (par exemple les CPG), notamment les frais de rachat, la fiscalité, le mode de détention du patrimoine, le profil d’affaires, le concept de levier financier, les régimes d’investissement (REER, CELI, REEE, CRI, régimes non enregistrés), le besoin de revenus du client, son profil socioéconomique (célibataire, conjoint de fait, marié, etc.) et ses engagements, le risque de ne pas atteindre ses objectifs financiers, le risque d’épuisement du patrimoine, etc.» énumère-t-il.

Gaétan Veillette pose aussi une autre question fondamentale. Dans quelle mesure les conseillers peuvent-ils influencer le résultat de ces questionnaires ? «Faut-il conscientiser les conseillers sur leur façon d’influencer le client avant qu’il ne remplisse le questionnaire ?», demande-t-il.

Réprimande possible ?

Un conseiller peut-il être sanctionné à la suite de l’utilisation d’un questionnaire mal conçu ? La réponse des régulateurs est claire. «Oui, un produit qui serait suggéré et « vendu » alors qu’il ne correspond pas au profil de l’investisseur peut causer d’éventuels problèmes si le client porte plainte et que la démonstration est faite qu’on lui a proposé un mauvais produit en regard notamment de son profil d’investisseur et de sa tolérance au risque», prévient Sylvain Théberge.

Ce dernier pondère toutefois ces propos : «Un conseiller ne s’attirera jamais d’ennuis s’il a bien fait son travail – en complément du formulaire – dans ses conseils, ses suggestions et ses recommandations.»

Pour sa part, Marie Elaine Farley prévient qu’«un représentant sera réprimandé s’il s’est contenté d’un chiffre au bas du questionnaire. À plusieurs reprises depuis la création de la Chambre, le comité de discipline a confirmé l’obligation réglementaire d’interpréter les réponses et de bien comprendre le client et ses besoins», insiste-t-elle.

La chef de la direction de la CSF recommande aux conseillers de bien documenter leurs dossiers. «On peut par exemple résumer la rencontre avec le client et faire part de nos observations. C’est un peu comme pour un médecin. Il n’inclut pas seulement une copie de l’ordonnance au dossier, mais également ses observations ainsi que les commentaires du patient», renchérit-elle.

Gaétan Veillette partage ses recommandations afin que l’industrie s’assure de bien respecter ses obligations : «Il serait souhaitable que le marché se concerte pour établir des questionnaires mieux étoffés», suggère-t-il.

«À l’avenir, la conception des questionnaires devrait prévoir l’usage de l’informatique afin de faire cheminer le client dans le processus selon ses réponses antérieures», ajoute le planificateur financier.

Quant à l’AMF, elle invite les intervenants de l’industrie à consulter l’avis 31-336 qui porte sur le sujet (http://bit.ly/1QrHhs3).