Ainsi, seulement 11 % des décisions portées en appel par des conseillers sont infirmées par la Cour du Québec, d’après un échantillon de 36 jugements rendus par ce tribunal depuis octobre 2003 et compilés par Finance et Investissement.

Dans 39 % des jugements, soit 14 sur 36, le magistrat a modifié la décision du comité de discipline, réduisant dans tous les cas les sanctions imposées aux représentants. Sur ces 14 jugements, dans seulement deux cas, le juge a réduit le nombre de chefs d’accusation retenus contre le conseiller.

La Cour du Québec a maintenu telle quelle la moitié des décisions (voir le graphique à la page 2).

Durant la même période, le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières (BDRV) confirmait les deux tiers des décisions rendues par une formation d’instruction de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières ou par son ancêtre, l’ACCOVAM, pour lesquels des conseillers avaient demandé une révision. Quelque 17 % des décisions de la formation d’instruction ont été infirmées.

La comparaison statistique est toutefois moins significative, car Finance et Investissement n’a recensé que six décisions pertinentes rendues par le BDRV.

Des jugements bien motivés

Luc Labelle, président et chef de la direction de la CSF, n’a pas commenté directement ces proportions, soulignant les aléas des procès. «Une fois que ces dossiers sont à la Cour, on n’est plus dans un tribunal spécialisé et il arrive ce qu’il arrive, note-t-il. Il y a quelques dossiers où le comité de discipline a pu glisser. La possibilité de porter une décision en appel est ce qui fait notre société de droit.»

Il retient toutefois que, sur 10 ans, la grande majorité des jugements du comité de discipline ne sont pas portés en appel. «Les jugements disciplinaires sont bien motivés. Conséquemment, les parties ne les portent pas en appel, dit Luc Labelle. L’essentiel du processus disciplinaire fonctionne bien et est respecté dans l’industrie.»

Quoi qu’il en soit, la faible proportion de décisions du comité de discipline de la CSF infirmées par la Cour du Québec ne surprend pas Carolyne Mathieu, avocate au Cabinet de services juridiques inc. : «Les décideurs en appel ont une grande déférence pour les premiers jugements d’un tribunal administratif spécialisé. Il est alors très difficile de les faire renverser.»

L’avocate ne s’étonne pas non plus que la Cour du Québec soit plus encline à réduire la sanction du conseiller : «Selon moi, ce n’est pas impliquant que d’intervenir sur le plan de la sanction. On respecte toutes les règles en matière de déférence par rapport à ceux qui entendent les témoins ou les preuves et on fait son travail de réviseur en étant plus cléments sur le plan de la sentence.»

Appel onéreux

Pour décider de porter en appel un jugement du comité de discipline, le conseiller doit avoir plusieurs munitions. «Il faut qu’on apporte quelque chose de majeur pour convaincre un juge de droit commun, soutient Maxime Gauthier, avocat, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services financiers. Si on ne pense pas gagner, on n’y va pas. Ça coûte trop cher, c’est trop long et c’est trop exigeant comme processus, tant émotivement que financièrement.»

Lorsqu’un conseiller porte en appel une décision du comité, la Cour du Québec n’entend pas la cause de nouveau, soutient Carolyne Mathieu : «Il faut qu’il y ait des erreurs de droit pour faire revoir la décision».

Par exemple, on peut plaider une mauvaise interprétation d’une loi, d’un règlement ou des éléments de preuve, selon Maxime Gauthier. Un vice de procédure, comme la mise à l’écart d’un témoignage important, peut aussi être invoqué.

«La crédibilité des témoins est très difficile à faire valoir en appel, parce que les tribunaux d’appel vont dire : « Je n’ai pas entendu le témoin »», précise Carolyne Mathieu.

L’appel se résume essentiellement à un travail juridique, selon l’avocate : «Normalement, on présente nos mémoires, on écrit nos points de droit et on fait valoir par écrit ce qui aurait dû être, selon ce qu’on suppose, une erreur de droit.»

L’appel coûte au conseiller temps et argent, principalement en frais juridiques d’experts et d’avocats. «J’ai eu des dossiers qui se sont réglés entre 5 000 et 10 000 $, et d’autres qui s’éle-vaient à plus de 100 000 $», évalue Carolyne Mathieu.

Le montant déboursé réellement par le représentant varie également en fonction de l’étendue de la couverture de son assurance responsabilité, qui n’est pas uniforme dans l’industrie. Cette somme s’ajoute au coût du premier procès devant le comité de discipline de la CSF.

Gagner du temps

Au-delà de ces frais, faire appel d’une décision peut comporter certains «avantages» pour le conseiller. Au préalable, il peut tenter d’obtenir un sursis de l’exécution de sa sanction. S’il convainc un juge, il gagne du temps et continue de recevoir des commissions. Ce délai peut aussi lui permettre d’organiser la vente de sa clientèle s’il est condamné à une radiation pour une longue période.

«On ne fait alors qu’alourdir le système et je trouve ça dégoûtant, estime Maxime Gauthier. Mais, je comprends, dans un autre sens, le point de vue d’un conseiller qui a été radié. Autrement, il perd sa business du jour au lendemain.»

Le conseiller risque toutefois de ne pas obtenir la juste valeur de sa clientèle, en raison de son urgence de vendre.

Il reste que pour éviter de devoir interjeter appel d’un jugement ou pour augmenter ses chances de succès en appel, un conseiller doit préparer avec rigueur sa défense dès que l’enquête de la syndique de la CSF est amorcée. «Il ne faut rien négliger dans le cadre du procès devant le comité. Après cela, le fond du dossier, le ciment du dossier, est installé», illustre Carolyne Mathieu.

Les deux conseillers ayant réussi à faire infirmer une décision du comité de discipline que nous avons rejoints ont refusé de nous accorder une entrevue.