Formation continue : débat autour de la gouvernance
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Il évoque la norme ISO 17024:2012, publiée par l’Organisation internationale de normalisation, qui précise : «Proposer des formations et une certification des personnes au sein d’une même entité juridique constitue une menace pour son impartialité. Un organisme de certification qui fait partie d’une entité juridique proposant des formations doit […] ne pas exiger des candidats qu’ils suivent l’enseignement ou la formation propre à l’organisme de certification comme prérequis exclusif, alors même qu’il existe un autre enseignement ou une autre formation avec des résultats équivalents.»

La norme interdit d’exiger une formation propre à l’organisme quand il existe d’autres formations équivalentes. Or, que dire lorsqu’un organisme offre en exclusivité des cours qu’il rend également obligatoires ?

Au Québec, et jusqu’à l’adoption du projet de loi 141 sur la réforme de l’encadrement des services financiers, trois organismes, tous trois certificateurs de formation, s’occupent de la formation des conseillers en finance personnelle : la Chambre de la sécurité financière (CSF), la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et l’Institut québécois de planification financière (IQPF).

Michel Mailloux n’est pas le seul à estimer que les organismes qui donnent des cours se placent en situation de conflit d’intérêts apparent, surtout quand ces cours sont obligatoires pour leurs membres.

En effet, Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), s’inquiète aussi de la situation actuelle. «Ça devient un conflit d’intérêts, dit-il, tout au moins il y a apparence de conflit le jour où les membres sont obligés [de suivre la formation].»

Obligatoire et exclusif

Or, tant la CSF et la ChAD que l’IQPF donnent des cours obligatoires en exclusivité. Dans le cas de la CSF, «tous les quatre ans, [elle] oblige ses membres à suivre une formation de trois heures en matière de conformité aux normes, d’éthique ou de pratique professionnelle», reconnaît Julie Chevrette, directrice des communications de la CSF, dans un courriel envoyé à Finance et Investissement.

À l’IQPF, on rend obligatoire pour tous les planificateurs son cours «Le planificateur financier, bâtisseur d’une profession en émergence», qui donne droit à cinq unités de formation continue (UFC). De plus, tous les planificateurs doivent obtenir tous les deux ans 15 UFC dont l’activité est exclusive à l’IQPF. Au total, ce sont donc 18 UFC qui sont réservées à cet organisme.

Jocelyne Houle-LeSarge, présidente-directrice générale de l’IQPF, reconnaît volontiers cette exclusivité de formation pour 15 UFC parmi les 40 que tout planificateur doit obtenir tous les deux ans. «C’est une connaissance qui nous est spécifique, dit-elle, qui est notre spécialité. C’est comme les cours de droit donnés par le Barreau.»

Michel Mailloux et Flavio Vani ont des réserves quant à cette façon de faire. Michel Mailloux rappelle que la norme ISO 17024:2012 requiert qu’un organisme de certification, comme l’IQPF ou les Chambres, n’assure pas lui-même la formation de sa discipline et, surtout, ne s’en réserve pas des sections entières en exclusivité.

Selon Michel Mailloux, pour éviter tout conflit d’intérêts ou toute apparence de conflit d’intérêts, un organisme de certification ou d’autorégulation devrait s’occuper uniquement de garantir la qualité et la pertinence de la formation, une formation donnée par d’autres.

Actuellement, l’Autorité des marchés financiers (AMF) administre la loi 188 sur la distribution et la vente des produits financiers, et délivre les permis de formation aux Chambres, qui, à leur tour, doivent «veiller» à la formation de leurs membres. Rappelons que ce fonctionnement sera maintenu jusqu’à l’adoption du projet de loi 141.

«Que veut dire « veiller » ? demande Mario Grégoire, président et chef de la direction du Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF). Est-ce que ça veut dire « superviser » ou « donner » la formation ?»

La norme ISO 17024:2012 sépare nettement certification et dispensation. Toutefois, il faut reconnaître que cette évolution dans les normes, qui date de 2012, survient plusieurs années après le fait.

Est-ce qu’un des trois organismes envisage de se conformer à la norme ISO 17024:2012 ? La réponse est sans équivoque dans les trois cas : une telle décision n’est pas de leur ressort, mais de l’AMF, dont ils relèvent.

À l’AMF, on insiste sur le fait que «l’Autorité n’a pas le pouvoir d’exiger des organismes d’autoréglementation qu’ils se conforment à la norme ISO mentionnée, dans la mesure où elle n’élabore pas les règles relatives à la formation continue obligatoire, indique Sylvain Théberge, directeur des relations médias à l’AMF. Un tel pouvoir relève du ministre des Finances.»

L’AMF fait exception dans le cas de l’IQPF, avec lequel la relation quant à la formation est plus directe. Par contre, cela ne change rien en ce qui concerne la norme ISO.

«Bien que l’Autorité ait le pouvoir réglementaire d’élaborer les règles relatives à la formation continue en planification financière, elle pourrait théoriquement exiger la conformité à la norme ISO mentionnée, sous réserve de l’approbation du ministre, note Sylvain Théberge, toujours par courriel. Cependant, dans le contexte de la multidisciplinarité des représentants et dans un souci d’harmonisation des règles, une telle exigence n’est pas envisagée par l’Autorité.»

Une qualité qui laisse à désirer

Or, un autre sujet qui suscite les interrogations de Michel Mailloux concerne le processus d’accréditation des formations, jugement qu’il applique tant à l’IQPF qu’à la CSF et à la ChAD.

«On ne transmet pas aux formateurs un cahier des charges, et le formulaire, de quelques pages, est plus que simple. Ce n’est pas quelque chose de très encadré, surtout si on le compare au processus de l’AMF pour le Programme de qualification en assurance de personnes (PQAP)», ajoute-t-il.

Michel Mailloux juge exemplaire tout le processus qui entoure le PQAP : l’AMF ne donne elle-même aucun cours et s’occupe uniquement de garantir la qualité de la formation, assurée par d’autres.

Les organismes visés par la critique de Michel Mailloux se défendent bien d’avoir une attitude laxiste.

«On a certaines exigences venant de l’AMF, et qu’on respecte, réplique Jocelyne Houle-LeSarge. On ne demande pas toujours le matériel, convient-elle, mais on demande d’exposer les objectifs et de s’y conformer. On laisse nos formateurs monter leur formation comme ils l’entendent, mais ça doit être lié à la planification. Il faut dire que le règlement est assez large et n’impose pas beaucoup de règles au départ.»