Les actions sont à leur pleine valeur, sinon surévaluées, et la montée sournoise des taux d’intérêt — toutes choses demeurant égales — va seulement contribuer à rendre les titres encore plus chers, disent deux vétérans de Gestion de Placements Mawer, qui décrivent l’approche de leur firme comme étant « ennuyante mais payante ».

« Il y a seulement cinq ou six ans, chez Mawer on trouvait encore des titres dont on croyait pouvoir tirer des rendements de 10% ou 12% à long terme », dit Jean-Philippe Giguère, gestionnaire de portefeuille institutionnel chez Mawer, à Toronto. « Plus maintenant, poursuit-il. Les marchés ne sont plus comme avant. Dans l’avenir, on voit des rendements de 6% à 8% pour les occasions qu’on repère. »

Dans le contexte actuel de taux d’intérêt en hausse — le principal risque actuel — « il n’est pas certain, ajoute M. Giguère, que les compagnies vont réussir à suffisamment augmenter leurs profits pour compenser les vents contraires de taux plus hauts et de primes de risque potentiellement plus élevées. Les prix pourraient donc tomber, mais sans que les évaluations ne deviennent beaucoup plus attrayantes. »

Une réaction évidente serait d’accroître l’encaisse et d’attendre que les marchés se corrigent, admet M. Giguère. « Nous pourrions avoir une grosse correction, mais c’est de la pure spéculation. Mawer demeure donc investi et construit des portefeuilles à toute épreuve. »

Évidemment, les obligations constituent une importante part d’un tel portefeuille, accaparant présentement une portion de 33% du Fonds équilibré Mawer, légèrement sous la cible à long terme de 35%. « D’accord, ils pourraient ne pas performer à ce moment-ci, reconnaît M. Giguère, mais nous voulons cette protection-là si les marchés plongent. Puisque les taux ne bondiront pas du jour au lendemain, les chances sont minces de souffrir des rendements négatifs sur ce front-là pendant deux ou trois ans. »

Les équipes de Mawer amorcent leur processus de construction de portefeuille en effectuant une analyse classique de la valeur actualisée sur un horizon de 15 ans pour établir la valeur des titres qui retiennent leur attention. Mais ils le font avec une tournure particulière : « Nous n’établissons pas une valeur unique, mais un registre de valeurs possibles », explique Patrick Fournell, également gestionnaire de portefeuille institutionnel chez Mawer à Toronto. « Si nous nous retrouvons dans le bas du registre, nous achetons; dans le haut, nous vendons. »

Projeter sur 15 ans est évidemment hasardeux. Le but est d’établir une tendance de la valeur sur un horizon à long terme, note M. Fournell, mais de produire, sur cinq ans, des chiffres détaillés et fiables.

L’objectif est simple: identifier des « sociétés créatrices de valeur qui font bien quels que soient les taux ou les contextes politiques, dit M. Giguère. Même si les taux montent, elles vont tenir. » Ajoute M. Fournell : « Et même si leur évaluation semble temporairement élevée, elles vont croître pour la justifier. »

Armé de cet outil d’évaluation, les équipes de Mawer plongent en eaux internationales en quête d’entreprises qui se situent dans la fourchette inférieure de leur modèle d’évaluation.

Les gestionnaires de Mawer sont des sélectionneurs d’actions, mais effectuent quand même une analyse macroéconomique par pays pour repérer là où la pèche pourrait s’avérer plus abondante. Cela les conduit vers des pays plus ou moins inattendus. Par exemple, la part du Royaume-Uni dans le Fonds d’actions internationales Mawer surprend à 23%.

L’Inde est un autre pays où les perspectives sont prometteuses. « Son économie montre une belle dynamique », dit M. Giguère. Il note que la classe moyenne, en croissance, compte 280 millions de foyers, que le parc immobilier est insuffisant, et que 53% des maisons existantes n’ont même pas une toilette. « Le marché hypothécaire est très bas, à environ 9% du PIB. Comparez ça à 68% aux États-Unis et à 18% en Chine. Le potentiel de croissance est immense. »

Quand on leur demande leurs titres « chouchous », MM. Giguère et Fournell pointent surtout en direction du sous-continent indien. Par exemple, parce que le marché hypothécaire est si prometteur, ils aiment tout particulièrement LIC Housing Finance, le troisième plus important fournisseur de prêts immobiliers en Inde, « dont les coûts d’opération sont bas et les pratiques de souscription, prudentes », dit M. Giguère.

Balkrishna Industries (Global), manufacturier de pneus hors-route (voiturettes de golf, machinerie de construction, etc.) représente un autre joyau indien. « Ils fabriquent en Inde, ce qui leur donne un avantage de coûts, mais ils expédient globalement, dit M. Giguère. Nous essayons souvent de repérer des sociétés qui dominent un marché de niche, ce qui est le cas avec Balkrishna. »

Le Japon, « géant oublié », est un autre pays auquel les équipes de Mawer commencent à porter attention après une longue période de négligence. « Nos gestionnaires y allaient régulièrement, rappelle M. Giguère, et nous revenaient toujours avec le même verdict : pas la peine d’acheter. »

La part du Japon est toujours sous-représentée en comparaison de l’indice de référence MSCI All Country World ex-USA, mais « il y a un changement de mentalité dans les équipes de gestion au chapitre de la gouvernance, » dit M. Fournell. Pendant longtemps, ces gestionnaires « visaient à produire des empires, pas nécessairement des profits. Nous voyons des changements dans des firmes comme le Japan Exchange Group et surtout dans le commerce de détail en général. Dans une compagnie dont nous avons acheté le titre, ils ont congédié un vieux routier peu apprécié des investisseurs pour le remplacer par un gars plus jeune syntonisé à une meilleure allocation de capital. »