«C’est un peu de justice pour nous, en épargne collective, quand on considère que les représentants en assurance et en immobilier, eux, peuvent s’incorporer», renchérit Flavio Vani, président du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ).

Pourquoi l’incorporation est-elle encore interdite ? «On prétendait que le conseiller relevait d’un courtier, qui lui est incorporé, et que le conseiller est seulement le représentant du courtier, répond Flavio Vani. Mais les courtiers immobiliers – qui peuvent s’incorporer – sont eux aussi les représentants d’un courtier immobilier !»

Ce projet de loi 58 – qui couvre plus que la seule incorporation – s’avère donc bienvenu dans l’industrie. Cependant, ce n’est encore qu’un projet, constatent les intervenants interrogés par Finance et Investissement.

De plus, si elle était adoptée, la loi devrait se conformer à tout l’exercice réglementaire de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de la Chambre de la sécurité financière (CSF).

Ainsi, quelques articles du projet de loi seront sujets à des mesures d’interprétation et de mise en oeuvre, ce qui risque de créer un cadre de réglementation qui ne répondra plus tout à fait aux attentes initiales.

Contrôle

Deux principes mis en avant par le projet sont particulièrement sensibles.

Le premier énonce qu’un représentant peut «exercer ses activités au sein d’une société qu’il contrôle seul», lit-on dans le projet de loi.

Le deuxième établit que la société et le conseiller sont solidairement responsables. Le représentant «ne peut invoquer des décisions ou des actes de la société par actions au sein de laquelle il exerce ses activités pour justifier un manquement […] ou pour diminuer ou exclure sa responsabilité personnelle».

D’abord, que signifie «qu’il contrôle seul» ? Au départ, on peut penser que le représentant devrait posséder une portion majoritaire du capital-actions (50 % plus une action).

«L’esprit de la loi semble être de vouloir que le représentant soit le seul maître à bord de son entreprise. On ne semble pas vouloir imposer qu’il soit seul actionnaire», soumet Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques et chef de la conformité chez Mica Capital, à Québec.

Si tel est le cas, cette disposition n’interdirait pas l’émission d’autres catégories d’actions ni même la présence d’autres actionnaires. Il en découlerait alors une foule d’avantages fiscaux liés aux fiducies et aux sociétés de portefeuille (voir l’encadré et «Le point sur l’incorporation des conseillers», en page 22).

Pas certain, soutient Jean Martel, associé au cabinet d’avocats Lavery. «Faire appel à du capital externe sera-t-il permis ? demande-t-il. Oui, cela pourrait prendre la forme « 50 % plus un », mais l’AMF pourrait avoir des réserves à ouvrir l’actionnariat de ces sociétés, pour des raisons de transparence de leur propriété et pour éviter que celle-ci ne présente des risques imprévus. L’AMF pourrait donc appliquer la règle selon laquelle le représentant est actionnaire unique.»

Si tel est le cas, l’avantage fiscal semblerait soudain moins intéressant.

Une seule activité ?

Autre question : d’autres activités que le conseil en épargne collective seront-elles permises ? On peut croire que plusieurs représentants s’y attendent, tout particulièrement les représentants qui disposent d’un double permis en épargne collective et en assurance.

D’ailleurs, comme le reconnaît Yvan Morin, plusieurs de ces détenteurs de deux permis font transiter la totalité de leurs commissions et honoraires par leur entreprise incorporée de conseil en sécurité financière – ce qui est risqué sur le plan fiscal.

La possibilité de combiner épargne collective et assurance dans une même incorporation permettrait de tout normaliser et permettrait à ceux qui prennent ce risque de respirer.

Une fois de plus, Jean Martel apporte une nuance : «Il ne faut pas s’attendre à ce que l’activité de conseiller par l’intermédiaire d’une société vienne révolutionner toute l’économie du régime actuel.»

Avec pour corollaire possible «qu’on ne pourra pas retrouver dans cette société des activités qu’un conseiller n’est actuellement pas autorisé à exercer.»

Donc, dans ces sociétés, pas de combinaison d’assurance et de courtage immobilier autre que du courtage en prêts hypothécaires par exemple.

Responsabilité

Par ailleurs, la responsabilité solidaire du conseiller et de sa société par actions peut mener à des développements inattendus. D’abord, la législation corporative est justement faite, à la base, pour limiter la responsabilité de l’actionnaire par rapport à son entreprise.

Or, voici que la loi 58 propose, malgré l’incorporation, de décréter un lien de solidarité automatique entre les deux, à tout le moins à l’endroit des clients. Comme le note Yvan Morin, «si la corporation signe un contrat avec un fournisseur informatique, la corporation seulement devrait être responsable».

Jusqu’où ira donc la responsabilité professionnelle ?

«En théorie, on pourrait avoir une responsabilité solidaire tant sur le plan réglementaire que sur les plans civil et pénal, répond Jean Martel. Toutefois, les règles finales viendront sans doute pondérer cela pour éviter des situations un peu trop artificielles. Autrement, faudra-t-il tenir la société pour responsable d’un comportement fautif clairement lié à l’individu, par exemple d’avoir fait de fausses représentations sur le compte d’un concurrent ou d’avoir eu une conduite indigne d’un professionnel ?»

Assurance responsabilité

Certes, de telles incertitudes pourront être aplanies, comme elles semblent l’avoir été pour d’autres professions auxquelles le législateur a accordé le droit de s’incorporer.

Il reste qu’«une foule d’adaptations devront être apportées. Il s’agira d’un bon défi en matière de réglementation pour l’AMF et le ministère des Finances», soutient Jean Martel.

En outre, le projet de loi 58 exige que le représentant détienne une assurance responsabilité civile qui désigne comme assurée la société incorporée.

Cela ne suscite aucune interrogation de la part des intervenants à qui Finance et Investissement a parlé. «Je ne m’attends pas à ce que les taux et les conditions d’assurance changent avec une incorporation», avance Flavio Vani.

Une éventuelle loi et les règlements qui en découlent seront-ils conformes aux attentes de la profession ? La plupart des interlocuteurs interviewés le croient. Mais il vaut mieux attendre d’en connaître les détails avant de crier victoire.