Dans cet avis, les ACVM proposent d’appliquer un triple filtre de convenance avant qu’une personne inscrite ne recommande l’achat, la vente ou la conservation d’un titre pour un client.

Le conseiller et sa firme devraient premièrement évaluer si d’autres stratégies de base seraient plus susceptibles de combler les besoins du client, comme le remboursement de dettes à taux d’intérêt élevé ou le transfert de liquidités dans un compte d’épargne. Dans certains cas, le représentant pourrait l’aviser «que l’achat d’un autre produit financier tel qu’un produit d’assurance ou un produit bancaire est une stratégie préférable» et lui expliquer pourquoi.

Deuxièmement, les personnes inscrites devraient «établir pour le client une stratégie de répartition d’actifs de base et évaluer toute autre stratégie d’investissement». Elles fixeraient un taux de rendement cible qui permettrait au client de répondre à ses besoins et objectifs de placement. «Si le risque à prendre pour satisfaire les besoins et objectifs dépasse la capacité du client, la personne inscrite doit réviser les besoins et objectifs de placement avec lui», lit-on dans le document 33-404.

Troisièmement, un conseiller et sa firme devraient tenir compte des caractéristiques du produit proposé ou détenu, notamment de son coût et de «l’incidence sur le rendement du produit de la rémunération versée à la personne inscrite par le client ou à un tiers». Le produit devrait être «le plus susceptible de satisfaire les besoins et objectifs de placement du client». Autrement, on devrait éviter ce produit ou conseiller au client de changer celui qu’il détient.

Mission impossible ?

L’obligation d’envisager d’autres stratégies financières de base, comme le paiement de dettes, soulève plusieurs réserves. Celle-ci dépasse l’obligation de compétence des représentants, et va au-delà de ce qu’on peut raisonnablement attendre d’eux, selon l’Association des banquiers canadiens (ABC) : «La proposition imposerait une quasi-exigence de planification financière complète à des représentants dont on ne peut pas attendre qu’ils aient les compétences nécessaires pour la faire. Les investisseurs pourraient aussi croire à tort qu’ils ont reçu des conseils de planification financière alors que cela n’a pas été le cas. Cela accroîtrait considérablement les coûts de conformité et placerait les représentants dans des situations intenables vis-à-vis de leurs clients.»

Plusieurs partagent ces réserves, dont Martin Gagnon, premier vice-président à la direction, Gestion de patrimoine, à la Banque Nationale et coprésident et cochef de la direction de la Financière Banque Nationale : «Les principes sous-jacents de cette exigence sont valables, mais nous redoutons que leur mise en oeuvre pratique soit difficile, voire impossible. Par exemple, le client peut décider de ne pas fournir les informations requises à l’entreprise ou à son représentant. Cette obligation suppose également que la majorité des représentants de courtiers connaissent la meilleure réponse pour chacun de leurs clients, ce qui est loin d’être évident.»

Les moyens prévus pour remplir cette obligation risquent de dépasser le champ de compétence de certains courtiers, selon Raymonde Crête, professeure associée et avocate, directrice du Groupe de recherche en droit des services financiers de l’Université Laval et sa collègue Cinthia Duclos, professeure assistante et avocate : «Certaines indications données par les ACVM peuvent également susciter des attentes trop élevées de la part des clients qui sollicitent les services des courtiers en épargne collective. Par ailleurs, nous reconnaissons que ce risque de méprise peut être réduit en obligeant les courtiers en épargne collective et leurs représentants à informer le client par écrit et verbalement de la portée restreinte de leurs services et de leurs produits».

Des membres de l’industrie appuient toutefois l’obligation d’envisager d’autres stratégies financières de base, dont MICA Capital, HighView Financial Group et la division canadienne du CFA Institute. C’est aussi le cas des groupes de défense des intérêts des investisseurs comme FAIR Canada et le Consumers Council of Canada (CCC).

Avalanche de poursuites ?

Fixer un taux de rendement cible tel que proposé par les ACVM est inapproprié, selon certains intervenants.

Ce taux pourrait «encourager les conseillers et les clients à se mettre en quête d’un tel rendement pour atteindre le taux cible plutôt que de choisir des placements bien adaptés aux besoins des clients», selon la Financière Sun Life.

Certains clients pourraient aussi perdre de vue la portée à long terme d’un tel taux et ne mettre l’accent que sur la performance à court terme de leur portefeuille, d’après Groupe Investors.

«Quelle signification peut avoir un taux cible sans préciser les risques inhérents pour atteindre les objectifs ? écrit l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF). Les dimensions de rendements et de risques ne devraient jamais être dissociées.»

«Nous craignons qu’un taux cible de rendement fixé puisse être interprété par un client comme une promesse de rendement. En conséquence, le fait de fixer un taux cible de rendement, puisque mal interprété par un client, pourrait amener des plaintes du client à l’encontre de son représentant au motif qu’il a fait défaut d’atteindre le rendement ciblé», écrit MICA. Cette crainte est répandue dans l’industrie.

«Quels seraient les risques que certains clients intentent des recours juridiques contre leur conseiller advenant [que] les taux cibles [ne soient] pas atteints en raison d’événements sans lien avec les recommandations du conseiller ?», écrit le Groupe Cloutier, qui remet aussi en question la pertinence d’un tel taux cible.

On devrait déterminer au cas par cas si un client devrait ou non recevoir une analyse comprenant le taux cible, selon le bon jugement du conseiller, d’après le CFA Institute : «Si un client a besoin de l’analyse et qu’il peut la comprendre, l’information pourrait lui être utile et bénéfique. Le fait de lui fournir une telle analyse pourrait servir à démontrer l’engagement du conseiller, augmenter l’éducation des investisseurs et favoriser la compréhension du processus.»

Au lieu d’un taux de rendement cible, qui est inapproprié pour plusieurs clients qui ne souhaitent pas payer pour l’obtenir, l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) propose un taux d’épargne cible qui aide un client à atteindre ses objectifs.

Norme floue

L’obligation selon laquelle le produit devrait être «le plus susceptible» de répondre aux besoins du client créerait par ailleurs de l’incertitude.

«La notion de « plus susceptible » nous paraît pour le moins floue et sujette à interprétations multiples et possiblement contradictoires. La transaction la « plus susceptible » est-elle la meilleure transaction ? La moins pire ? La plus optimale ?», lit-on dans le mémoire de Mérici Services financiers.

Il est tout simplement impossible de déterminer objectivement quel investissement sera «le plus susceptible de satisfaire les besoins» du client, selon la Sun Life : «La norme du « plus susceptible de satisfaire » est irréaliste et pourrait également conduire à des attentes non satisfaites.»

D’après le Groupe financier PEAK, «cette obligation pourrait créer des attentes de la part des clients à l’effet que le conseiller a l’obligation de connaître les produits qui génèrent la meilleure performance sur le marché. Ce qui engendrait possiblement des plaintes injustifiées, que les firmes devraient traiter».

«Placer sur les épaules des personnes autorisées la responsabilité d’effectuer la recommandation la plus susceptible de satisfaire parmi des milliers de possibilités différentes fait peser sur elles un risque inacceptable qu’aucun professionnel ne saurait accepter, écrit le Groupe Cloutier dans son mémoire. Pour cette raison, nous croyons qu’il serait préférable de conserver un objectif de convenance par rapport à la situation et aux objectifs du client.»

Cette position rejoint celle de l’ABC, qui ajoute que les coûts de conformité additionnels et les risques juridiques et réglementaires potentiels d’une telle norme n’apporteraient pas de bénéfice sur le plan de la protection des investisseurs.

«Nous recommandons plutôt l’utilisation de « raisonnablement susceptible de satisfaire » pour limiter l’ambiguïté pouvant conduire à des poursuites ou recours collectifs de la part des clients qui tenteraient de prouver que le meilleur produit ne leur a pas été offert», écrit le Mouvement Desjardins dans son mémoire.