Controverse sur les rabais accordés sur les comptes autogérés
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De son côté, Manuvie offre gratuitement un compte REER autogéré aux clients qui placent au moins 50 000 $ dans des fonds communs Manuvie au sein de leur compte Placements Manuvie. Rick Annaert, vice-président principal, Services-conseils chez Manuvie, ne fait pas de mystères sur la question des rabais accordés sur les comptes autogérés.

«Le rabais sur les frais d’administration n’est pas accordé au conseiller, mais plutôt au client, explique-t-il. C’est le client qui bénéficie de ce rabais s’il décide d’avoir, ou non, ce montant d’argent dans des produits Manuvie dans son compte. C’est toujours le choix du client et il n’y a pas d’avantage pour le conseiller, c’est pourquoi nous estimons qu’il n’y a pas de biais (pour le conseiller).»

Rappelons qu’un groupe intégré peut offrir un tel avantage à ses clients parce que le fiduciaire, qui est chargé du compte autogéré, lui appartient. Le fiduciaire, au lieu de demander les frais habituellement liés à un compte autogéré, peut donc accorder un rabais ou l’offrir gratuitement. Le groupe intégré peut en effet compenser la perte des frais du compte autogéré par les frais réalisés sur la gestion des sommes investies dans le compte.

Mécontentement chez les indépendants

Ce n’est pas le cas dans les réseaux indépendants de distribution qui doivent faire affaire avec des fiduciaires indépendants et payer les frais qui sont associés aux comptes autogérés. C’est une des raisons pour lesquelles «l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) dit qu’on devrait remettre à leur place les fiduciaires indépendants», soutient son président, Flavio Vani.

«Ça nous trouble», commente simplement Robert Frances, président du conseil et chef de la direction du Groupe financier PEAK en ajoutant avoir demandé à Placements IA Clarington : «Si un conseiller de chez nous met 20 000 $ dans un REER autogéré chez vous, peut-il faire bénéficier son client du même avantage ? La réponse a été : non.»

Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, se dit également inquiet des impacts de ce genre de pratique : «À mon avis, ça amenuise la liberté de conseil du conseiller. On pousse en coulisses des incitatifs qui peuvent influencer son jugement. Ça donne une apparence de conflit d’intérêts.»

Rick Annaert ne croit pas que ce genre de pratique influence le jugement du conseiller. C’est, au contraire, l’occasion pour le conseiller d’avoir une discussion ouverte avec son client : «Le client économise des frais d’administration de 150 $ par compte. J’ajouterais que ce n’est pas tout le compte qui doit être en produits Manuvie, mais une portion fixe en dollars et non un pourcentage, note-t-il. C’est 50 000 $, et ce, que le compte vaille 75 000 $ ou 200 000 $. Le client peut avoir une conversation transparente avec son conseiller et déterminer si ce genre de produit répond à ses besoins.»

Chez SFL partenaire de Desjardins sécurité financière, on offre la possibilité aux conseillers d’opter pour les comptes autogérés de SFL, moyennant des frais, ou pour ceux d’un fournisseur externe : «Si le conseiller arrive chez SFL et a déjà une relation d’affaires avec B2B Trust, par exemple, nous souhaitons respecter sa façon de travailler, dit Michael Rogers, vice-président, Vente et gestion des réseaux indépendants chez Desjardins. Nous laissons le choix au conseiller et à ses clients.»

Robert Frances a vérifié la légitimité du procédé auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui, indique-t-il, ne s’en formalise pas. «L’AMF nous dit que l’argent est redonné au client et ne va pas dans les poches du conseiller, note-t-il. Bien sûr, mais c’est une influence externe sur l’activité du conseiller.»

Et chez Investia ?

Patrick Ducharme, vice- président chez De Champlain Groupe financier, dont la firme est affiliée à Investia, a accepté de discuter de la pratique des rabais sur les comptes autogérés.

Celui-ci défend l’initiative de son courtier. «Ça va dans le sens contraire de rendre les conseillers captifs, dit-il, parce qu’on veut éviter que les conseillers aient des pratiques concentrées auprès d’un nombre restreint de fournisseurs.»

En effet, c’est une pratique courante pour un conseiller d’ouvrir des comptes clients auprès de quelques grandes firmes, comme Fidelity, Franklin Templeton et d’autres. Un compte autogéré évite de multiplier les comptes clients auprès de chaque manufacturier.

Au-delà d’un nombre restreint de comptes, explique Patrick Ducharme, «faire des ajustements dans les portefeuilles des clients devient compliqué. Un compte autogéré met à ma disposition un compte unique dans lequel je peux regrouper les comptes de multiples fournisseurs. Je peux donc mieux diversifier les actifs de mes clients. Ce n’est certainement pas au détriment du client que ça se fait.»

La pratique n’est-elle pas déloyale à l’endroit des réseaux concurrents ? Il ne le croit pas. «Les environnements sont propres à chaque firme de courtage. Je pense que la firme qui décide d’offrir des conditions plus avantageuses à ses conseillers leur permet d’aller chercher plus d’actifs. Je n’ai pas vraiment de problème avec ça.»