Bêta judicieux ou mal avisé ?
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Ce phénomène n’est pas seulement une aberration passagère. «Une part de 4,1 point de pourcentage des rendements annualisés de 50 ans du marché boursier (1950-1999) – près de la moitié des rendements réels ! – tient à la hausse des prix, alors que les rendements en dividendes chutaient de 8 à 1,2 %», selon l’étude.

Le nouveau millénaire n’a pas fait exception. «Même à la suite du fabuleux marché haussier depuis 2009, le rendement réel annualisé des titres américains pour la période de 2000 à 2015 n’est qu’un faible 1,9 % en moyenne.»

Stratégies chères

Ces constatations relatives au marché en général se transposent au secteur des FNB à bêta judicieux ainsi qu’aux «facteurs», ou stratégies factorielles, qui les sous-tendent. Ces facteurs sont des filtres quantitatifs systématiques qui permettent d’ajouter ou de retirer un titre d’un portefeuille. «Pour plusieurs stratégies, une grande part de la valeur ajoutée – dans certains cas, toute la valeur ajoutée ! – provient du « mirage alpha » de prix en hausse», lit-on dans l’étude.

RA analyse d’abord certains des facteurs et certaines des stratégies les plus populaires, notamment la valeur, l’élan (momentum), les petites capitalisations, la faible liquidité, et le faible bêta. Par exemple, la performance nominale de ces facteurs au cours des 10 et des 50 dernières années qui variait de 0,37 à 4,54 %.

La firme a toutefois retranché la partie de ce rendement qui est attribuable seulement à la hausse des prix des titres, sans tenir compte de la valeur sous-jacente. Le rendement net n’est déjà pas toujours convaincant, variant de – 2,96 à 3,83 %.

Par exemple, pour la stratégie «faible bêta», le rendement nominal est de 2,67 % sur 10 ans et de 1,64 % sur 50 ans. Cependant, quand on en retranche la part qui tient uniquement aux gains de prix, ces rendements changent d’allure et tombent à 2,36 % sur 10 ans, et à 0 % sur 50 ans.

RA porte donc un regard très sceptique sur les stratégies à bêta judicieux. À l’heure actuelle, elles s’avèrent toutes trop chères, sauf la stratégie valeur, qui est sous-évaluée. Plus encore, puisque tous les mouvements excessifs de surévaluation tendent à revenir aux moyennes historiques, «on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un crash du bêta judicieux suive la popularité démesurée des approches par facteurs», peut-on lire dans l’étude.

L’approche de RA se distingue nettement de toute la recherche courante sur les stratégies factorielles, dit en entrevue Rob Arnott, fondateur de RA et un des auteurs de l’étude. «Il s’est écrit des centaines d’articles sur les facteurs et leur forte performance par rapport aux normes historiques, note-t-il. Mais dans quelle mesure cette performance tient-elle à la cherté des prix ? Aucun article.»

Regard vers l’avenir

Les réactions recueillies par Finance et Investissement à l’étude de RA sont mitigées. On salue certaines idées, par exemple, l’impératif de se méfier de l’emballement des prix et de la tendance des investisseurs à acheter la performance passée. Par contre, on critique le jugement à l’emporte-pièce émis à l’endroit du secteur des FNB à bêta judicieux.

Vice-président et gestionnaire de portefeuille chez BMO Gestion globale d’actifs, le principal fournisseur de FNB à bêta judicieux au Canada, Chris Heakes demande s’il est avisé pour un investisseur de se baser à ce point sur les données historiques.

L’impératif premier, dit Chris Heakes, «est de savoir si un investissement est sensé d’un point de vue économique. N’est-il pas sensé qu’une entreprise plus stable, qui a moins de dettes, performera mieux au fil du temps ? Ne préservera-t-elle pas plus de valeur dans une baisse de marché ? Je le crois.»

Même son de cloche chez Richard Guay, professeur de finance à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, qui juge que RA accorde trop de poids au ratio prix du marché/valeur comptable. «La question clé n’est pas la valeur passée, mais plutôt les rendements que je peux anticiper aujourd’hui. Rob Arnott juge que quand ce ratio évolue défavorablement, le titre est trop cher. Mais ce ratio n’est pas une mesure infaillible de la cherté d’un titre.»

Richard Guay cite l’exemple du titre d’Apple. Aujourd’hui, il se vend 93 $ US, à 10 fois les bénéfices, alors que la société a perdu beaucoup de son dynamisme. Il y a 10 ans, le titre se vendait 10 $ US, à 25 fois les bénéfices, mais à cette époque, l’entreprise s’engageait dans tous les développements majeurs du iPhone et du iPad. «Aujourd’hui, le ratio est plus bas qu’il y a 10 ans, souligne Richard Guay, est-ce pour autant une plus belle occasion ?»

Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital, une firme engagée presque exclusivement dans les FNB, n’est guère réceptif à la recherche de RA. Certes, certains facteurs ne sont pas très valables, mais d’autres voient leur valeur confirmée par une multitude de recherches, notamment les deux facteurs de la valeur et des petites capitalisations, parties prenantes des FNB que privilégie PWL Capital.

De plus, un élément de la recherche de RA la rend suspecte : elle semble suggérer «qu’on devrait faire du market timing avec les facteurs», fait ressortir Raymond Kerzérho, par exemple en favorisant en ce moment le facteur «valeur» parce qu’il est le moins cher. Or, il condamne tout market timing. «La meilleure approche reste celle de demeurer dans les marchés et de traverser ses hauts et ses bas. C’est risqué, bien sûr, mais le market timing l’est encore plus.»