Entré à la CDPQ peu après la dernière crise financière, en juillet 2009, Roland Lescure a contribué pour beaucoup au virage effectué depuis par l’institution. Michael Sabia, le président et chef de la direction de la CDPQ, en a pour sa part pris les rênes en mars 2009.

L’institution avait enregistré un rendement de – 25 % pour l’exercice 2008, ce qui était inférieur à la médiane des caisses de retraite canadiennes.

«La Caisse n’allait pas très bien à l’époque et Michael a partagé avec moi la vision qu’il avait pour redresser, restructurer et développer la CDPQ», relate Roland Lescure.

Il s’est d’abord attaqué au problème des papiers commerciaux adossés à des actifs non bancaires (PCAA).

«En compagnie de Claude Bergeron [actuel premier vice-président et chef de la direction des risques], qui connaissait très bien les PCAA pour avoir participé à l’Accord de Montréal, nous avons travaillé d’arrache-pied pour couvrir une partie de ce risque», évoque-t-il.

Fort d’une maîtrise en économie de la London School of Economics and Political Science, au Royaume-Uni, Roland Lescure arrivait à Montréal après avoir travaillé plus de 10 ans au sein de différentes sociétés françaises de gestion d’actifs.

Auparavant, il a oeuvré à l’Institut national de la statistique et des études économiques et pendant sept ans, au ministère des Finances de France où il a notamment contribué à la mise en place de la monnaie européenne.

S’il n’est pas surpris par ce qui se passe en Europe, Roland Lescure en est préoccupé : «Les défis économiques sont bien connus ; la manière de les régler, c’est de mettre en place des transferts fédéraux, à l’exemple de la péréquation au Canada. Toutefois, on constate l’émergence de mouvements anti-européens dans tous les pays».

Semer les germes d’une nouvelle culture

Au sein de la CDPQ, Roland Lescure dirige la stratégie de placement, la répartition de l’actif du portefeuille global et la recherche soutenant les activités d’investissement.

À son arrivée, l’investisseur institutionnel travaillait de manière cloisonnée, avec des unités d’affaires assez indépendantes, mentionne Roland Lescure.

La crise financière a toutefois montré qu’il fallait mieux comprendre le monde et son impact sur les entreprises dans lesquelles la CDPQ investit, mais également «comprendre en profondeur les entreprises et les actifs dans lesquels on investit, parce que c’est la seule manière d’être protégé», mentionne Roland Lescure.

«Si vous avez 15 personnes qui font des choses différentes, mais qui prennent le même risque sans s’en rendre compte, vous avez 15 fois mal», illustre-t-il.

La CDPQ a donc renforcé ses équipes économiques. En 2011, elle a recruté Paul Fenton à titre d’économiste en chef, et Yanick Desnoyers à titre d’économiste en chef adjoint. Paul Fenton a travaillé à la Banque du Canada pendant plus de 30 ans et également au Fonds monétaire international.

L’institution a aussi créé un comité de recherche transversale. Celui-ci travaille sur des thèmes qui intéressent plusieurs équipes, par exemple les risques et les enjeux du commerce électronique, l’évolution potentiellement négative du taux d’intérêt et l’exposition de la CDPQ au Canada, et développe des orientations communes.

«Nous avons de très bons experts en placement privé, en placement immobilier et en marché boursier, mais ils ne se parlent jamais, alors qu’en fait, ils ont des questions communes auxquelles il nous semble opportun de réfléchir ensemble», souligne Roland Lescure.

La mise en place de ce comité a contribué à changer sa culture, analyse-t-il : «Lorsque nous avons considéré que la culture était mûre pour aller là où nous voulions aller, nous avons créé le comité investissement-risques».

Avec Claude Bergeron, Roland Lescure copréside ce comité, créé il y a trois ans. Celui-ci développe la stratégie d’investissement, dont découle la planification stratégique des investissements.

Lorsqu’il se passe quelque chose sur les marchés financiers, des gens du marché boursier, du marché obligataire, de la répartition de l’actif, du risque et de l’économie se réunissent, interprètent et voient comment ces choses interagissent avec les portefeuilles, dit Roland Lescure.

Il a fallu faire évoluer les moeurs et d’abord amener les gens à travailler ensemble, sinon la démarche aurait été perçue comme une menace, selon lui.

Oublier les indices pour les battre

Aujourd’hui, la CDPQ vise à bâtir des portefeuilles sans tenir compte des indices de référence, ce qui est le cas pour la majorité de ses portefeuilles et devrait, à terme, l’être pour 75 %.

Par exemple, le portefeuille Actions Qualité mondiale, créé en 2013, a atteint 28,3 G$ d’actif net au 31 décembre 2014 et a généré un rendement annualisé de 25,2 %, par rapport à son indice de 18,6 %.

«La meilleure manière de battre les indices consiste à les oublier, mentionne Roland Lescure. Ce n’est donc plus une histoire d’indices, mais d’investir dans des entreprises que l’on connaît très bien, et y investir comme si nous en étions propriétaires, voire comme si nous les construisions.»

L’une des qualités d’un dirigeant d’entreprise d’investissements, selon Roland Lescure, consiste à reconnaître le droit à l’erreur : «Il faut toutefois que les placements soient bien calibrés».

La CDPQ a dégagé un rendement de 12 % en 2014, et de 2009 à 2014, de 10,4 %. Sur ces deux périodes, l’indice S&P/TSX affichait un rendement de 10,5 % et 7,4 %.

Peu optimiste face à l’évolution de l’économie canadienne, la CDPQ a concentré ses investissements dans les entreprises canadiennes exposées à la croissance mondiale, par exemple CGI, Alimentation Couche-Tard, Magna International et Manuvie, selon Roland Lescure.

Au Québec, les actifs de la Caisse s’élèvent à 60 G$, dont 35 G$ dans le secteur privé, au 31 décembre 2014. Sur quatre ans, les nouveaux investissements et engagements de la Caisse auprès des entreprises québécoises se sont élevés à 11,1 G$, dont 2,5 G$ en 2014.

«Nous avons clairement un biais pour le Québec, confirme Roland Lescure. Toutefois, la vraie question concerne l’impact que nous avons au Québec. Parfois, il est difficile d’avoir une bonne conversation sur le Québec, sur l’impact que nous avons, plutôt que d’avoir une conversation plus simpliste sur les dollars que nous investissons.»

Il cite en exemple l’investissement de 500 M$ destiné au rachat des activités canadiennes de Standard Life par Manuvie.

«Nous considérions que le projet de développement économique de Manuvie était intéressant pour le Québec, pour Montréal et pour nous comme investisseur. Ces 500 M$ investis à Toronto contribuent localement, parce que Manuvie démontre la volonté de devenir un acteur incontournable au Québec», illustre-t-il.

Vive les infrastructures

La CDPQ désire maintenant accroître son exposition aux marchés non liquides comme les infrastructures. Le but est de se prémunir contre une éventuelle volatilité sur les marchés boursiers et contre la faiblesse des rendements attendus sur les marchés obligataires.

Les portefeuilles Immeubles et Infrastructures ont des actifs nets totalisant 33 G$.

«Ces actifs tangibles comptent aujourd’hui pour près de 25 % du portefeuille et nous voulons atteindre de 30 à 33 %», selon Roland Lescure.

En quatre ans, la taille du portefeuille Infrastructures a plus que doublé, passant de 4,3 G$ d’actif en 2010 à plus de 10,1 G$ à la fin de 2014. Au cours de cette période, ce portefeuille a enregistré un rendement annualisé de 13,8 %.

La Caisse prévoit créer une filiale, CDPQ Infra, qui sera chargée de réaliser des projets d’infrastructures publiques.

«Ces projets d’infrastructure vont nous permettre de livrer du rendement, tout en ayant un impact important au Québec. Imaginez un système de transport en commun qui vous amène à l’aéroport, par lequel vous contribuez à la retraite des Québécois. C’est quand même plus excitant que de contribuer à la rentabilité d’un fonds américain ou australien spécialisé en infrastructures», évoque Roland Lescure.

Ce modèle d’affaires, la CDPQ veut le développer au Québec, mais aussi à l’étranger, notamment aux États-Unis.

Selon Roland Lescure, l’un des principaux défis auxquels la Caisse est confrontée consiste d’ailleurs à accentuer sa globalisation.

Même si la CDPQ continuera à trouver des rendements au Québec et au Canada, elle sera de plus en plus contrainte à aller les chercher à l’étranger, notamment en Inde, au Mexique et au Brésil, dit-il. En 2014, elle a d’ailleurs ouvert des bureaux à Washington et à Singapour, et prévoit cette année en ouvrir à Mexico et à Sydney.

Plus de 47 % de l’exposition du portefeuille de la CPDQ se trouve présentement à l’extérieur du Canada.

L’autre défi majeur de la Caisse consiste à éprouver son modèle.

«Nous avons plutôt bien performé jusqu’ici, mais dans un monde où la marée montait. Dans les années qui viennent, nous allons connaître plus de volatilité, avoir des chocs et des mauvaises nouvelles», mentionne Roland Lescure.

«Nous avons renforcé la structure, changé la culture et accru énormément les compétences. Maintenant, il faut aller dans le monde et affronter les tempêtes. Nous sommes armés pour le faire, mais c’est au fruit que l’on juge l’arbre», ajoute-t-il.