Mais il est très important de comprendre la tournure que vont prendre les titres à revenu fixe ces prochaines années, dit Patrick O’Toole, vice-président des titres à revenu fixe mondiaux à Gestion d’actifs CIBC et qui compte 26 ans d’expérience dans l’industrie.

Le ralentissement de la croissance de la main d’oeuvre et la faiblesse de l’économie intérieure sont les principaux moteurs de ce scénario. « La croissance de la main d’oeuvre a atteint son sommet dans les années 70, et elle est maintenant inférieure à 0,7 % au Canada et aux États-Unis », dit M. O’Toole, cogestionnaire de 10 milliards $ d’actifs à revenu fixe, notamment les 2,6 milliards $ du Fonds canadien d’obligations CIBC. « Mais sur 10 ans, elle baissera jusqu’à 0,3 %, ou moins de la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui. »

Dans l’intervalle, avec la croissance de la productivité fixée à environ 1 % par an, la croissance du PIB canadien va probablement diminuer à moins de 2 %, partiellement en raison d’une croissance mondiale du PIB d’environ 3 %. De plus, l’inflation est plutôt faible à moins de 2 %. « Les rendements obligataires tendent à suivre les tendances macroéconomiques, dit M. O’Toole. Donc, les rendements obligataires sur 30 ans seront dorénavant bien inférieurs à ce qu’ils ont été dans le passé. »

M. O’Toole compare la courbe des rendements sur 30 ans au cours des deux dernières décennies à la forme d’un bâton de hockey. Depuis le début des années 80, la tendance baissière avait la forme du manche. Mais depuis 2013, les rendements des obligations sur 30 ans ont baissé davantage et oscillent autour des 2 %. « Maintenant, nous nous trouvons dans la palette du bâton. »

Un développement tout aussi troublant est que bien que la Réserve fédérale américaine ait augmenté le taux d’intérêt à un jour à 0,50 %, le rendement des bons du Trésor américains à 91 jours, qui sert d’étalon, est d’environ 0,30 %. « C’est l’instrument le plus sûr au monde, et il permet vraiment de voir la direction que prennent les rendements. »

Quant à l’avenir, M. O’Toole n’est pas trop convaincu de la possibilité de trois à quatre augmentations futures des taux annoncées par la Réserve fédérale américaine, avançant plutôt qu’il pourrait y avoir seulement deux augmentations de plus en 2016, ce qui laisserait le taux d’intérêt à un jour à 1 %. « La croissance n’est pas aussi solide que la Fed l’a affirmé. Nous allons donc adopter une approche prudente et ne sommes pas aussi enthousiastes sur l’augmentation des taux d’intérêt. »

Selon M. O’Toole, les rendements des obligations à plus long terme ne vont probablement pas revenir aux alentours des 5 %. En fait, la dernière fois que les rendements se sont approchés de ce niveau était en 2004, lorsqu’ils ont atteint 4,5 %. Les investisseurs devraient plutôt s’ajuster à la nouvelle réalité : « Nous allons voir des rendements inférieurs pour les obligations, de même d’ailleurs que pour les actions, en fait pour toutes les catégories d’actifs. Plutôt que d’obtenir des rendements de 4 à 6 % pour les obligations et de 8 à 10 % pour les actions, nous obtiendrons environ 3 % pour les obligations et de 5 à 7 % pour les actions », a dit M. O’Toole.

Étant donné la toile de fond économique et le fait que les obligations de sociétés offrent des rendements plus énergiques que les obligations gouvernementales, M. O’Toole jette son dévolu sur les obligations de sociétés de premier rang. « L’écart par rapport aux bons du Trésor était de 135 points de base en décembre 2014, puis il est passé à 172 points de base en décembre dernier. Aujourd’hui, il est d’environ 190 points de base, dit M. O’Toole. On ne peut pas faire beaucoup mieux. »

Bien que les écarts aient augmenté parce qu’on craint un ralentissement de l’économie, M. O’Toole croit que les données fondamentales restent solides. « L’an dernier, on a vu une fuite vers la qualité, avec des investisseurs cherchant un abri dans des titres plus sûrs comme des obligations du Trésor, dit-il. Il a remarqué que les obligations à rendement élevé avaient proportionnellement subi plus de dégâts, surtout dans les secteurs de l’énergie et des matériaux.

Pourtant, M. O’Toole est convaincu que les entreprises canadiennes surmonteront cette conjoncture de ralentissement de la croissance. « Les bilans financiers sont sains. La couverture des intérêts est solide. Les cotes de crédit sont stables. Et la toile de fond économique est positive. La croissance canadienne sera d’environ 1,5 % cette année, alors qu’aux États-Unis elle sera d’environ 2 %.

D’un point de vue stratégique, M. O’Toole a affecté environ 57 % du portefeuille d’obligations canadiennes de CIBC, ainsi que de son jumeau le Fonds d’obligations canadiennes Renaissance, aux obligations de sociétés. La pondération de cette composante est le double de celle de l’Indice obligataire universel FTSE/TMX. Elle est répartie entre 48 % dans les obligations de premier rang et 8 % dans les obligations à rendement élevé.

« Nous pensons faire augmenter la pondération totale des obligations de sociétés jusqu’à 60 % environ », dit M. O’Toole, ajoutant que le reste du fonds est placé dans les obligations gouvernementales fédérales et provinciales.

M. O’Toole s’attend à ce que les obligations à rendement élevé rebondissent pour devenir les plus performantes parmi tous les titres à revenu fixe en 2016, suivies par les obligations de sociétés de qualité supérieure, et que les obligations gouvernementales restent à la traîne. Pourtant, il prévient que si la conjoncture économique se durcit encore plus cette année, cet ordre sera inversé.

« La Fed se lancera-t-elle dans un autre train de mesures d’allègement quantitatif? La Banque du Canada va-t-elle passer à des rendements négatifs comme elle en a indiqué la possibilité? Si cela se produisait, dit M. O’Toole, l’impact pourrait en être négatif et nous verrions de nouveau une fuite vers la qualité. »