Non à l'indexation sur l'ensemble du marché
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Comme l’a fait observer le Dr. Harry Markowitz  il y a quelques années, le principe de base selon lequel les investisseurs raisonnables devraient détenir toutes les actions du marché en proportion de leur valeur boursière, repose sur l’hypothèse que les détenteurs d’actions financeront automatiquement leurs placements au taux sans risque. Comme ce n’est pas le cas, cette théorie s’effondre. Il pourrait y avoir de bonnes raisons de détenir autre chose que l’ensemble du marché.

Cette découverte provient, indirectement, des recherches de M. Markowitz. Il démontre que si le levier financier n’est pas facilement abordable et s’il est peu commun, les investisseurs dynamiques dévieront du portefeuille du marché. Selon la logique qui recommande le portefeuille du marché, c’est-à-dire le Modèle d’évaluation des actifs financiers, plus le bêta d’une action est élevé, plus ses rendements devraient être élevés. Sans le recours à l’outil du levier financier, les acheteurs dynamiques investiront en masse dans les actions au bêta élevé.

Distorsions de prix

Ce comportement pourrait occasionner des distorsions de prix, c’est à dire fixer des cours erronés. (Le document de M. Markowitz ne soulève pas cette possibilité, mais d’autres le font). S’il y a trop d’argent qui afflue dans la même sous-catégorie d’actions au bêta élevé, ces titres pourraient être survendus et générer ainsi des rendements inférieurs aux prévisions. Et quand les investisseurs se rendent compte de cette faille, ils pourraient se défaire de ces actions au bêta élevé, faisant baisser leur cours et les transformant en aubaines.

Assurément, il est difficile de percevoir ces effets et d’en profiter. Il n’en reste pas moins que, puisque le marché boursier n’obéit à aucune des principales hypothèses du modèle CAPM, il pourrait y avoir systématiquement des distorsions de prix. Cela représente une occasion pour les gestionnaires de placement actifs.

Il pourrait y avoir aussi d’autres ouvertures. Bien que, pour autant que je sache, l’interaction des titres au bêta faible et élevé est la seule conséquence potentielle suggérée par le modèle CAPM, d’autres facteurs pourraient aussi avoir des répercussions. Par exemple, de nombreux observateurs affirment que les entrées de capitaux dans les fonds indiciels ont faussé les cours boursiers, dynamisant les actions détenues dans les grands indices et laissant languir d’autres actions. Je ne suis pas d’accord, mais je ne doute pas que cela pourrait se produire.

Diverses définitions du risque

Les trois autres arguments qui déconseillent de détenir le portefeuille du marché ne parlent pas de mauvaises évaluations des cours boursiers, mais reflètent plutôt des différences de situation personnelle, des conditions particulières qui peuvent conduire deux investisseurs tout à fait raisonnables à détenir différents portefeuilles d’actions.

Un exemple évident est le besoin différent de liquidité. Un gestionnaire de placement qui gère un fonds mutuel avec peu de porteurs de parts, chacun d’entre eux détenant un pourcentage élevé des actifs du fonds, est confronté à la possibilité quotidienne de devoir vendre une bonne partie des actifs pour répondre à un rachat soudain. Détenir des actions qui prêtent facilement à transactions devient important. Par contre, le gestionnaire d’un fonds à capital fixe n’est pas confronté à ce danger.

Puisque la liquidité ne peut être qu’une bonne chose – ce n’est jamais une mauvaise chose de pouvoir vendre un titre rapidement et à un bon prix – les actions qui sont très liquides, toutes choses étant égales par ailleurs, sont un peu plus chères que celles qui prêtent difficilement à transactions. Le gestionnaire de fonds qui pourrait recevoir un avis de rachat sera enclin à accepter des rendements futurs un peu plus bas en échange d’une liquidité supérieure, tandis que le gestionnaire de fonds à capital fixe ne le sera pas. Diverses préférences, pour des raisons entièrement rationnelles, conduisent à des portefeuilles différents.

Le même précepte se vérifie pour de nombreux autres risques. Pour citer un autre exemple, certaines compagnies sont plus sensibles à l’économie que d’autres. La sensibilité économique étant un facteur indésirable, cette caractéristique rend les actions un peu moins chères qu’elles ne le seraient autrement, ce qui signale qu’elles ont des rendements prévus supérieurs. Ceux qui peuvent mieux endurer des pertes sur leurs placements en période de récession pourraient privilégier ces actions, mais pas du tout ceux qui se trouvent dans la position inverse.

Capital humain

Les gens possèdent deux sources de capital : financier et humain. Leur capital financier existe aujourd’hui. Ce sont les gains qu’ils ont accumulés, représentés par des actifs financiers. Leur capital humain, en revanche, concerne le futur. C’est l’argent que les travailleurs gagneront (ou, de façon plus technique, qu’ils comptent gagner, car la valeur du capital humain est connue seulement lorsqu’elle est réalisée) par leur labeur.

Le capital humain, comme les actifs financiers, comporte différents niveaux de volatilité. Un professeur expérimenté auprès d’une université prestigieuse peut estimer avec fiabilité le montant de ses prochains chèques de paye, comme un fonctionnaire du gouvernement qui travaille dans un département stable et bien financé. Un promoteur immobilier, pas autant. (Le dernier que j’ai rencontré a manqué à ses obligations, dont l’une était… moi). Tout bien considéré, le professeur et le fonctionnaire du gouvernement peuvent se permettre de prendre plus de risque avec leurs avoirs financiers, mais le promoteur immobilier pas autant.

Jusqu’à présent, le capital humain affecte la quantité d’actions que les investisseurs peuvent détenir, mais n’influe pas sur leur déviation éventuelle du portefeuille du marché, sauf si l’on considère la participation aux secteurs. Compte tenu que les actions de l’automobile se négocient souvent à l’unisson, le travailleur du secteur automobile est confronté à un danger de licenciement quand l’industrie s’effondre et ferait mieux de rester entièrement à l’écart des actions automobiles. En effet, il devrait se méfier de toute industrie qui se comporte de la même manière que celle de l’automobile.

Actifs et passifs

Une dernière raison de ne pas détenir le portefeuille du marché est pour améliorer l’adéquation entre les actifs et les passifs. Cela paraît vague : mon premier commentaire quand j’ai entendu cette suggestion de la part des experts Morningstar de recherche sur la répartition d’actifs Paul Kaplan et David Blanchett a été : « vous pouvez me donner un exemple? » – mais en réalité c’est simple. Si vous pouvez détenir un actif dont le prix augmente souvent quand celui d’un passif diminue, alors allez-y.

Donc, l’investisseur qui a cinq enfants d’âge scolaire et qui prévoit avoir des factures d’études élevées devrait peut-être investir dans des titres indexés à l’inflation, car les hausses des frais de scolarité sont à peu près corrélées au taux de l’inflation.

Cet argument n’est pas aussi convaincant que celui du capital humain. Il est évident qu’il faut éviter de détenir les actions corrélées à sa propre compagnie; perdre un emploi quand son portefeuille est en train de s’effondrer est un coup dur à deux titres. Il n’est pas aussi évident, ni clairement utile, d’acheter des titres indexés à l’inflation dans l’éventualité que plusieurs de ses enfants feront des études : ces factures devront être payées, et les titres indexés à l’inflation s’avèreront être un placement sûr pour répondre à cette obligation. Il y a trop de maillons dans cette chaîne.

Néanmoins, l’argument demeure : détenir le portefeuille du marché peut être un bon point de départ pour les investisseurs, et s’avérer aussi le point d’arrivée, mais il existe d’autres stratégies de placement légitimes.