Les sociétés privées et leur avantages fiscaux sont désormais le point de mire du fisc, qui cible spécifiquement le revenu et d’autres avantages dont bénéficient les actionnaires qui ne prennent pas activement part aux activités de la société, comme le conjoint ou l’enfant adulte d’un propriétaire d’entreprise.

En juillet, le gouvernement fédéral a proposé une loi destinée à mettre fin à une planification fiscale qui, selon lui, permet aux dirigeants de sociétés privées de profiter d’avantages fiscaux injustes en transférant leur revenu à des membres de leur famille. Si le projet de loi est adopté, les dividendes et autres montants versés par la société à des membres de la famille seraient imposables au taux marginal maximum plutôt qu’au taux minimum normalement imposé au revenu en dividendes.

« La portée de ce projet de loi, s’il est adopté, réagira contre la manière dont tous les entrepreneurs canadiens conduisent leurs affaires au sein d’une société privée », a commenté récemment Kerr Financial Group, une firme établie à Toronto et à Montréal se spécialisant dans les investissements, la fiscalité et la planification successorale pour les familles de plusieurs générations. « Ces propositions représentent un vaste changement dans la manière dont le système fiscal canadien a été structuré à ce jour dans le but de soutenir les petites sociétés. Dans certains cas, elles cherchent à aligner l’imposition des propriétaires d’une petite société sur celle des salaries, sans reconnaître les risques additionnels liés à la gestion d’une entreprise. »

Ces propositions affecteront trois secteurs de la stratégie d’épargne fiscale liés aux sociétés privées :

Le fractionnement du revenu

Cette technique d’épargne fiscale, sorte de saupoudrage du revenu populaire parmi les propriétaires d’entreprise depuis de nombreuses années, leur permet de transférer leur revenu à des adultes de leur famille en leur payant un salaire ou des dividendes, sans qu’ils aient un rôle actif dans les activités de la société. On part du principe que les membres de la famille ont des revenus modestes et que ce revenu sera par conséquent imposé à un taux plus faible que si le dirigeant de la société avait touché ce revenu personnellement.

Selon les lois en vigueur, les mineurs (âgés de moins de 18 ans) ne peuvent pas toucher ce revenu sans que celui-ci soit soumis au taux maximum d’imposition sur le revenu. Cette restriction est connue sous le nom d’impôt sur le revenu fractionné. Le nouveau projet de loi propose d’étendre cette restriction à tous les membres de la famille – à moins qu’ils puissent prouver qu’ils sont des employés légitimes ou qu’ils ont un poste légitime qui justifie leur rémunération.

Ces propositions exigent aussi une imposition élevée sur les intérêts payés à un membre de la famille sur les fonds qu’ils ont prêtés à la société, si cette personne a aussi touché de la compagnie des dividendes ou d’autres sommes.

Toutefois, l’ARC permettra qu’un montant payé à un membre adulte de la famille soit imposé au taux d’imposition propre à ce dernier si la situation remplit quatre conditions. Le montant payé ne doit pas dépasser celui qui serait normalement payé à une tierce personne pour son travail au sein de l’entreprise, pour les actifs qu’il a apportés à l’entreprise, pour les risques qu’il a pris en relation avec l’entreprise, et pour la rémunération qu’il a déjà touchée de l’entreprise.

Le test sera encore plus strict pour les membres de la famille âgés de 18 à 24 ans, car ils devront prouver qu’ils prennent activement part à l’entreprise de manière « régulière, continue et importante ».

Une autre proposition empêcherait l’utilisation par les enfants mineurs de l’exemption à vie pour gains en capital sur la vente des parts des actions admissibles d’une petite entreprise. Cela s’appliquerait également aux gains issus de la vente de ces actions si elles sont détenues par une fiducie familiale. Autrement dit, les actions doivent être détenues personnellement par ceux qui sont âgés de 18 ans ou plus, et soumises au test ci-dessus, pour être admissible à l’exemption.

La conversion du revenu de la société en gains en capital

Une deuxième technique à invalider est la conversion du revenu régulier d’une entreprise en gains en capital, qui sont ensuite distribués aux actionnaires à revenu élevé et imposés au taux plus faible des gains en capital. (Seulement la moitié des gains en capital est imposable, ce qui résulte en une imposition moins chère que sur les dividendes ou les autres revenus. De plus, les pertes en capital réalisées pendant l’année ou l’année précédente peuvent être employées pour réduire le montant des gains en capital).

La restriction de l’utilisation des gains en capital doit être imposée au titre des règles actuelles d’anti-évitement stipulées par la Loi de l’impôt sur le revenu, et s’appliquera à tout montant de gain en capital reçu ou à recevoir après le 17 juillet 2017.

La détention de placements passifs au sein d’une société privée

Les sociétés privées sont souvent utilisées pour détenir des placements passifs destinés en dernier lieu à rapporter des profits personnels. Par exemple, il se peut qu’un propriétaire d’entreprise préfère garder son revenu d’entreprise investi dans la société de manière à être imposé à un taux plus faible. Indépendamment du nouveau projet de loi, le gouvernement envisage de restreindre le recours aux sociétés pour les placements personnels.  

« Conformément aux lois actuellement en vigueur, détenir un portefeuille de placements au sein d’une société privée peut offrir aux propriétaire de cette entreprise certains avantages fiscaux supérieurs aux portefeuilles de placements personnels », indiquent les commentaires de Kerr. « Bien qu’aucune loi n’ait été ébauchée en relation à ce procédé, le gouvernement a proposé des mesures générales qui pourraient permettre à l’ARC de réduire ces avantages. Cela ajoutera une certaine complexité et changera la façon dont l’imposition sur les sociétés et les particuliers est depuis longtemps intégrée aux règles fiscales actuelles. Tout changement réglementaire en résultant s’appliquera uniquement aux périodes qui suivront la mise en place effective de la loi. »

Le projet de loi éliminant ces divers avantages fiscaux est complexe, sans compter la menace potentielle qu’il représente pour les placements détenus par la société. Les propriétaires d’une petite société devraient envisager de consulter un expert pour comprendre comment ces nouvelles règles complexes affecteront la planification de leur retraite et de leur succession, avant que la loi ne soit promulguée et que les changements n’entrent en vigueur, probablement en début d’année prochaine.