Bernanke à Montréal : « Il fallait sauver AIG afin que le système ne s'effondre pas. »

« La Fed a complètement changé sa façon de voir le système financier en entier comparativement à il y a dix ans. Elle considère le système dans son ensemble, tenant compte des facteurs systémiques plutôt que d’évaluer ses éléments séparément », a-t-il expliqué à la pléthore d’acteurs du milieu financier (plus de 1000) venus l’entendre au Palais des congrès, mercredi soir, lors d’un événement organisé par CFA Montréal.

Stephen S. Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, Monique F. Leroux présidente du Mouvement Desjardins, Louis Morisset, président de l’Autorité des marchés financiers et Louis Vachon président de la Banque Nationale étaient entre autres présents.

À la question, « avec du recul et sachant la tournure des événements, y a-t-il quelque chose que vous feriez différemment aujourd’hui par rapport à 2008 ? », Ben Bernanke a défendu ses actions de l’époque. Il a notamment dit que la Fed avait tiré des leçons des crises précédentes dont celle des années 30 où elle avait hésité à injecter des liquidités.

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« À notre avis, si AIG s’effondrait, ça allait être la fin pour tout le monde. Je suis allé voir le président Bush pour lui présenter notre plan de sauvetage de 85 milliards de dollars (G$) (le prêt total consenti à AIG s’est finalement élevé à près de 185 G$). Il m’a envoyé voir le Congrès. Un sénateur sénior m’a dit que personne ne me donnerait la permission et que cette décision me revenait à moi seul », a-t-il raconté.

Ben Bernanke explique qu’il considérait, alors selon lui, qu’il fallait avoir du courage pour déroger de la « tradition économique orthodoxe » et agir de façon plus agressive.

Rappelons qu’un procès a été intenté contre le gouvernement américain par l’ancien patron de l’assureur AIG. Ce dernier est d’avis que les mesures exceptionnelles prises par Washington pour éviter un effondrement du système financier ont nui aux actionnaires d’AIG. Ben Bernanke est un témoin du procès.

Les leçons en réglementation

En plus de voir le système de manière plus globale, les régulateurs ont adopté plusieurs changements réglementaires, dont les exigences minimales de capital et les tests de stress qui font en sorte que la structure financière est aujourd’hui beaucoup plus solide, a dit Ben Bernanke. « À l’époque nous craignions que si une si une entreprise tombait, ce serait le système entier qui s’effondrerait. Il fallait prévenir la panique. » Il explique que les autorités financières travaillent à ce que de nos jours, la fermeture d’une seule firme n’ait pas un impact sur toutes les autres. « Nous avons appris à regarder toute la forêt et non pas qu’un seul arbre », a-t-il illustré.

Toujours le QE

Ben Bernanke a aussi défendu la politique monétaire d’assouplissement quantitatif ( »Quantitative Easing »), incluant notamment l’achat de titres adossés à des créances hypothécaires et l’achat d’obligations du trésor, à laquelle la Fed a mis fin en octobre dernier. Ben Bernanke croit qu’elle a fonctionné.

Cette politique avait pour but d’augmenter la liquidité dans l’économie des États-Unis et causait de facto l’expansion du bilan de la banque. Ainsi, plusieurs experts doutaient de cette façon de faire, notamment par peur que l’inflation ne grimpe à un trop haut niveau, « mais l’assouplissement quantitatif a fonctionné », affirme l’ex-président de la Fed.

« Nous n’avons jamais vraiment été inquiets de l’inflation parce que même si le bilan devenait plus large, la Fed avaient tous les outils dont elle a besoin pour contrôler les taux d’intérêt. Aujourd’hui, l’inquiétude est plus que l’inflation soit à un niveau trop bas que trop haut. »

Prédictions

Ben Bernanke a fait des prédictions prudentes quant à la croissance américaine. « Il reste probablement encore du temps avant que le marché de l’emploi aux États-Unis atteigne son plein potentiel », a-t-il noté.

L’économiste de métier, diplômé de Harvard a expliqué qu’en finance l’innovation de la technologie avait été tellement rapide que la réglementation était dépassée au moment de la crise de 2008 : « Aujourd’hui, nous avons plus de difficulté à prédire l’effet des changements technologiques que les fluctuations des taux d’intérêt ! »

La conférence se déroulait sous le format questions et réponses, les questions posées par l’économiste et professeur de McGill, Chris Ragan.

Photo : Mocaphoto