Conseillers-dinosaures menacés d'extinction ?
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Ce n’est pas tout. «Certains d’entre eux continuent même à acheter des blocs d’affaires. L’occasion est trop belle !» déplore Sylvain Sawyer, qui préside également l’Académie du courtage.

Plaintes de clients

«Rien n’oblige les conseillers inactifs à vendre leurs pratiques», constate Yan Charbonneau, président-directeur général de l’agent général AFL Groupe Financier.

Et pourquoi le feraient-ils ? Car les conseillers qui veulent accrocher leurs patins peuvent vendre leurs pratiques à des prix situés entre une fois et demie à trois fois la taille annuelle des commissions de suivi. En revanche, les conditions de rémunération actuelles favorisent le statu quo.

«Certains conseillers préretraités ont des books de 2 000 clients. Parfois, c’est bien plus encore ! Leurs commissions de suivi peuvent représenter des sommes très importantes. Elles sont quelquefois étalées dans le temps selon le principe d’un portefeuille de retraite», dit Sylvain Gagné, ancien directeur général associé de l’agent général BBA Groupe Financier.

En revanche, le fait de demeurer conseiller tout en ne rencontrant plus ses clients peut poser un problème d’ordre éthique.

«Étant donné qu’ils ont cessé de vendre et de suivre leurs clientèles, ces conseillers font du tort à la profession. Ce sont des dinosaures. Ils nuisent au renouvellement de l’image du conseiller en sécurité financière ainsi qu’au recrutement des plus jeunes», dit Frédéric Perman, vice-président, développement des affaires, de l’agent général Financière S_Entiel.

De plus, leur inaction peut ouvrir la porte aux plaintes de clients. «Des plaintes, j’en vois de plus en plus, surtout par rapport aux successions. Par exemple, dans le cas d’héritiers qui s’attendaient à un capital-décès de 200 000 $ et qui en touchent moitié moins», dit Frédéric Perman.

Pistes de solutions

L’Autorité des marchés financiers (AMF) pourrait-elle inciter les conseillers inactifs à communiquer régulièrement avec leurs clientèles ? Cette possibilité n’enchante guère. «Tout d’abord, l’AMF n’aurait pas les ressources pour faire de tels suivis», dit Sylvain Sawyer.

De plus, en assurance de personnes, il n’est pas simple de définir ce qu’est un niveau de service adéquat.

«Il est très difficile de déterminer ce qui constitue un niveau de service suffisant. Par exemple, le besoin d’un client pourrait être comblé grâce à une assurance vie payée au bout de dix paiements. Dans ce cas-ci, le conseiller n’aurait pas besoin de rencontrer ce client après un an ou trois ans», dit Michel Kirouac, vice-président directeur général du Groupe Cloutier.

En conséquence, le dirigeant de cet agent général établi à Trois-Rivières estime qu’«il n’est pas nécessairement souhaitable d’instituer une règle d’obligation de rencontrer ses clients périodiquement, par exemple tous les trois ans».

Cela dit, Michel Kirouac avance une autre piste d’action : l’interdiction par l’AMF du versement de commissions de suivi aux conseillers n’ayant plus de permis : «Depuis une quinzaine d’années, le milieu des agents généraux demande à l’AMF d’interdire ce genre de pratique. Malheureusement, la réponse de l’AMF a toujours été négative.»

Des assureurs réactifs

Les réformes pourraient-elles venir des assureurs ? «Dans l’univers de l’épargne collective, les cabinets de services financiers ont une certaine capacité coercitive à l’égard de l’observation des règles de conformité. En assurance de personnes, la situation est différente et les agents généraux n’ont pas ce pouvoir. Je crois que les assureurs devraient s’en mêler», dit Yan Charbonneau.

Chose certaine, les assureurs sont au courant de la situation. En février 2016, dans un document sur la distribution d’assurance au Canada, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes recommandait que «les responsables de la réglementation travaillent de concert avec notre industrie pour trouver une solution au problème que pose le service après-vente pour les assureurs ayant un effectif de vente non exclusif».

De fait, un vent de changement issu des assureurs commence à se faire sentir.

Au moins un assureur aurait récemment changé ses contrats afin d’empêcher que des conseillers n’ayant plus de permis puissent continuer à percevoir des commissions de suivi. Et cette année, un assureur aurait rompu ses liens avec un nombre considérable de conseillers en raison de leur récente (et insuffisante) production. Nous n’avons pu en savoir davantage auprès de ces assureurs qui ont décliné nos demandes d’entrevues.

Sylvain Sawyer évoque une piste de solution qui peut rapidement être mise en oeuvre par l’AMF : des publicités visant à sensibiliser les consommateurs à leur droit au conseil en assurance.

«Je verrais bien l’AMF lancer une campagne publicitaire mettant l’accent sur trois éléments. Premièrement, sachez que le conseiller en sécurité financière touche des commissions de suivi. Deuxièmement, vous êtes en droit d’avoir des services de qualité. Et troisièmement, vous pouvez changer de conseiller si vous n’en êtes pas satisfait», dit-il.