Les institutions «ne donnent aucun détail, dit un analyste financier qui requiert l’anonymat. Remarquez, si j’étais une banque, je n’en donnerais pas non plus».

Le calcul net est d’autant plus difficile à établir que des réallocations d’emploi et des ouvertures de postes dans d’autres services s’associent à ces mises à pied.

Alors que la période de production des rapports annuels commence, on pourrait croire que les institutions manoeuvrent pour embellir leurs résultats. L’analyste cité plus haut ne le croit pas. «C’est le moment où les banques étudient leurs dépenses, font leurs budgets et imputent des charges.»

Par ailleurs, certaines avaient déjà annoncé des charges exceptionnelles dès le deuxième trimestre, note James Shanahan, analyste senior, secteur financier, chez Edward Jones, à Saint-Louis, au Missouri : 337 M$ à la TD, 149 M$ chez BMO.

Vents de face

James Shanahan croit que les mises à pied annoncées ne sont qu’un début. «J’en anticipe d’autres», remarque-t-il. En effet, les banques font face à trois défis de taille : le contexte économique, leur situation et les développements technologiques.

Les difficultés du contexte économique sont bien connues : la chute des prix du pétrole et des matières premières, les très faibles taux d’intérêt et l’endettement élevé des consommateurs. Ce dernier facteur est le plus inquiétant, selon James Shanahan : «L’endettement des ménages a propulsé l’économie pendant les 15 à 20 dernières années, mais a atteint sa limite».

L’endettement franchit un seuil extrêmement instable, selon lui. Avant la dernière crise financière, la dette des ménages américains, incluant la dette hypothécaire, atteignait 131 % du revenu disponible, celle des Canadiens, 130 %. Depuis, ce taux a baissé aux États-Unis ; au Canada, «il atteint maintenant 170 %», dit-il.

Cet endettement des ménages nous fait passer au deuxième facteur : la situation des banques. «Leur sort est maintenant davantage lié à celui du consommateur, relève James Shanahan. En 1985, leur portefeuille de prêts se divisait à parts égales entre entreprises et consommateurs. Aujourd’hui, les pourcentages sont de 17 % en prêts aux entreprises et de 83 % en prêts aux consommateurs. Et les consommateurs semblent à la limite de leur capacité d’endettement.»

L’activité en succursale est également sous pression. Détail symptomatique, «TD nous dit que ses transactions hors succursale représentent aujourd’hui 17 % de ses revenus», rapporte Claude Boulos, président, chef de l’exploitation et gestionnaire de portefeuille chez Gestion de portefeuille Selexia, à Montréal.

«D’ici trois à cinq ans, cette proportion montera à 30 %. La CIBC prévoit que la surface moyenne de ses succursales passera de 5 500 pieds carrés à 3 500», ajoute-t-il.

À tout ceci s’ajoute le fait, presque ironique, que les banques canadiennes sont étonnamment efficaces, fait ressortir James Shanahan. «Leur ratio dépenses d’opération/revenus est déjà très bas, dit-il. Par exemple, il est de 43 % à la TD et de 45 % à la BRC. Dans les banques américaines, ce ratio se situe entre 55 % et 62 %. Les banques canadiennes n’ont donc pas une grande marge de manoeuvre pour améliorer leur efficacité.»

Remous des «fintech»

Cela nous mène à la troisième contrainte, qui est en même temps un facteur de productivité : les «fintech», ou technologies financières. Leur impact net sera probablement de réduire encore plus le nombre d’employés.

Ces «fintech» représentent un défi majeur, juge Claude Boulos, qui s’appuie sur des études de grands groupes de consultation.

«Nous devons certainement nous attendre à la fin de l’activité bancaire et des banques telles que nous les connaissons aujourd’hui», affirme l’étude de 2014 «The Future Shape of Banking», de PricewaterhouseCoopers.

Les dislocations proviendront de nouveaux acteurs qui visent le segment de la banque de détail, le segment plus lucratif pour les banques où elles enregistrent 52 % de leurs revenus, avertit l’article «Decoding financial-technology innovation tiré du McKinsey Quarterly» de juin 2015. Les banques doivent garder à l’oeil divers types de concurrents allant de ceux qui bouleversent leur modèle d’affaires à ceux qui transforment leurs processus d’affaires et ceux qui implantent la banque numérique.

Les quelques centaines de mises à pied annoncées jusqu’ici ne sont peut-être que le signe avant-coureur d’une tempête économique et technologique qui gronde.