Plaintes non fondées : les couteaux volent bas en assurance

Cette pratique est même relativement fréquente et peut être lourde de conséquences, selon Luc Labelle, président de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et Maxime Gauthier, avocat, chef de la conformité et conseiller en épargne collective chez Mérici Services Financiers.

Elle demeure toutefois difficile à chiffrer, car les plaintes émises auprès des régulateurs demeurent confidentielles. Toutefois, Luc Labelle affirme que les enquêteurs de la CSF constatent de temps à autre que les plaintes non fondées proviennent directement d’un conseiller compétiteur.

« Ils servent de l’outil disciplinaire qui est là pour la protection du public pour se faire des luttes concurrentielles. Certains individus, certaines firmes le font systématiquement », rapporte Luc Labelle. « Ceux-ci se disent :  »Tu es allé chercher mon client. Je vais te mettre la syndique dans les jambes » », explique-t-il.

Le rapport annuel 2013 de la Chambre de la sécurité financière (CSF) indique que 28 % des infractions alléguées à la CSF ont trait au non-respect de la procédure de remplacement. De plus, le document soulève que sur 437 décisions du bureau de la syndique, il y a 127 fermetures de dossier en raison de l’insuffisance de la preuve ou de l’absence de fondement de la demande.

Toujours selon le rapport, la CSF a reçu 68 plaintes en 2013 dont 60 % touchaient le secteur de l’assurance de personnes et 21 % à la fois ceux des valeurs mobilières et de l’assurance de personnes.

La pointe de l’iceberg

Même si la plainte d’origine est rejetée, les conséquences peuvent être graves pour le conseiller visé, car l’enquête peut s’étirer longtemps et la syndique peut trouver d’autres lacunes dans son dossier, estime Maxime Gauthier.

Il a entendu parler et été lui-même confronté à quelques dossiers concernant des plaintes non fondées déloyales basées sur un préavis de remplacement de police d’assurance vie.

« Un de nos représentants avait envoyé un préavis de remplacement pour ses clients. Leur ancien conseiller était fâché et a déposé une plainte concernant ce document. Cette plainte originale n’a pas été retenue, sauf que dans le cadre de son enquête, l’enquêteur a trouvé une planification fiscale et successorale qui n’était pas conforme aux règles », raconte-t-il.

L’avocat croit que les conseillers devraient davantage réfléchir à l’impact réel qu’une fausse plainte peut avoir sur son concurrent. « Honnêtement, c’est très rare que le dossier d’un conseiller ne comporte aucune faille. Il se peut qu’il lui manque une note à quelque part, surtout quand il a une relation de 20 ans avec son client. Quand un représentant est placé sous enquête, ce n’est pas agréable. Son agent général et/ou son courtier reçoivent une lettre. La suspicion s’installe, le stress embarque. L’enquête peut prendre quelques semaines, mais la norme c’est un an ou deux ans », dit-il.

Il faudrait, selon lui, que les représentants soient mieux informés sur ce que vivre un processus disciplinaire implique. « C’est bien facile de se dire :  »J’ai perdu un client, je suis fâché  » et d’ensuite prendre le téléphone et déposer une plainte merci bonsoir ! Par contre, je viens peut-être de causer des problèmes à un conseiller pour plusieurs mois. »

Culture d’entreprise ?
Culture d’entreprise ?

Luc Labelle mentionne que souvent la pratique des plaintes non fondées malveillantes est « systématiques » chez certaines firmes et certaines personnes. Guy Duhaime, président de Groupe Financier Multi Courtage rapporte la même information. « C’est connu dans l’industrie et je connais plusieurs personnes qui siègent sur des comités et c’est ce qu’il me disent. Chez certains courtiers, cela fait quasiment partie de la culture d’entreprise ». Il déplore aussi l’argent dépensé pour ces enquêtes. « Une fois que la CSF ouvre un dossier, elle ne le ferme pas facilement et ça coûte de l’argent », dit-il.

Guy Duhaime ne peut par contre pas nommer un exemple précis qui concerne son cabinet. Quant à Maxime Gauthier, il affirme ne pas avoir de chiffre précis, mais observe qu’il s’agit en effet d’un « modus operandi » dans l’industrie.

« Je trouve ça révoltant ! Nous ne sommes pas dans une industrie monopolistique. Je vais régulièrement chercher des clients qui sont ailleurs. Si un jour je perdais un client, je n’essaierais pas de me venger, mais je me demanderais plutôt que ce que j’ai fait ou ce que je n’ai pas fait pour que cela arrive », dit Maxime Gauthier.

Alléger le problème

En attendant, certaines modifications au formulaire de préavis de remplacement, élaborées conjointement par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et la CSF, entrent en vigueur en octobre, rapporte la CSF. Elles ont trait au Règlement sur l’exercice des activités des représentants de la Loi sur la distribution des produits et services financiers. Luc Labelle dit espérer que ces changements contribueront à réduire la récurrence du problème.

Photo Bloomberg