Incitatifs en assurance sur la sellette
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«L’objectif est d’approfondir la réflexion à l’égard du risque que certaines catégories d’incitatifs nuisent au traitement équitable des consommateurs, des mécanismes de contrôle et de supervision que les assureurs devraient mettre en place pour réduire ce risque et du déséquilibre compétitif entre assureurs que peuvent engendrer ces incitatifs», explique Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF, dans un communiqué.

La publication du document de réflexion est une autre étape d’un processus qu’a entamé l’AMF en 2013, lors de la mise en oeuvre de la Ligne directrice sur les saines pratiques commerciales. L’organisme avait aussi fait parvenir un questionnaire d’autoévaluation à 219 assureurs en mai 2014 et a rendu public, en juillet 2015, un rapport présentant les résultats de cet exercice.

Des membres de l’industrie accueillent favorablement l’intervention du régulateur.

«Je suis content qu’ils se penchent sur les conflits d’intérêts et la rémunération en assurance, mais je continue à me demander pourquoi ils ne l’ont pas fait avant, note Gino Savard, président de MICA Cabinet de services financiers. Il y a de réels dangers de mal faire son travail avec les incitatifs à la vente de produits maison en assurance. Cela dit, ce n’est pas évident pour le régulateur d’examiner les pratiques de rémunération en assurance, parce qu’elles sont très complexes.»

Risque «moyen» : les commissions

Selon le document, l’AMF définit les différents types de commissions en les divisant en quatre types : la commission initiale, la commission nivelée, la commission de suivi et la commission de renouvellement. Ces quatre formes de commissionnement sont qualifiées d’incitatifs à risque moyen en ce qui a trait aux conflits d’intérêts.

«Globalement, nous notons que les taux de commission initiale par produit sont assez standards dans l’industrie. Le versement des commissions est par contre calculé uniquement à partir du volume de vente, soit les primes», écrit l’AMF dans son rapport.

Le régulateur ajoute qu’«un produit pour lequel l’assureur offre un taux de commission plus élevé pourrait amener l’intermédiaire ou le représentant à favoriser la vente de ce produit sans que celui-ci soit le meilleur produit pour répondre aux besoins du client».

Il existerait peu de différences entre les commissions offertes pour le même type de produit entre les différents assureurs. C’est plutôt entre les différents produits qu’on trouve des écarts, comme l’explique Daniel Guillemette, président de Diversico, Experts-conseils.

«Un conseiller qui a de 15 à 20 ans d’expérience aura des clients assez âgés et aisés pour acheter des produits qui lui rapportent une commission suffisante pour assurer sa subsistance, souligne-t-il. Lorsque tu es un jeune conseiller, tes clients aussi sont jeunes et opteront plutôt pour des produits abordables comme l’assurance vie temporaire. Or, l’assurance vie temporaire rapporte très peu sur le plan des commissions ; c’est donc quelque chose qui est vendu en succursale bancaire, parce que c’est peu rentable pour le conseiller. C’est très difficile pour les jeunes conseillers de commencer dans le métier.»

Sans surprise, la rémunération sous forme de salaire a été considérée comme à faible risque de conflits d’intérêts, car elle est habituellement fixe. Elle ne tient pas compte du volume de vente ou du niveau de performance et elle n’est pas orientée vers la vente d’un produit en particulier, explique l’AMF.

Risque «élevé» : la bonification

L’AMF considère par exemple que le système des bonifications pourrait mener à de mauvaises pratiques commerciales et qu’il représente donc un risque élevé de conflits d’intérêts.

«La bonification est directement liée à un volume de primes et à un seuil de performance. L’atteinte d’un seuil de performance exerce une pression sur les représentants et les intermédiaires», affirme l’AMF.

Dans la catégorie de la bonification, l’AMF regroupe la surcommission, la commission de rétention, la commission de croissance et les programmes de participation aux bénéfices. Rappelons que les bonifications s’ajoutent à la rémunération de base par voie de commissions auxquelles le représentant et l’intermédiaire peuvent avoir droit à certaines conditions.

Selon l’AMF, certains types de bonification s’apparentent plus à une exigence de l’assureur en matière d’atteinte de volume pour une année donnée, comme la commission de croissance, par exemple.

«Dans tous les cas, plus la performance de l’intermédiaire est bonne, plus la bonification augmente et devient intéressante», constate le régulateur.

C’est là que le bât blesse, selon Gino Savard et Daniel Guillemette, qui dénoncent les pratiques liées à la bonification et aux produits maison dans l’industrie.

«Si on atteint certains volumes, on est payé plus. Certains cabinets vont dire : « Si c’est 10 % plus payant pour moi si le conseiller vend le produit de l’assureur X, je vais donner 5 % de boni de plus au conseiller lorsqu’il le fait », critique Gino Savard. Je n’ai jamais fait ça et mon père non plus. Peu importe ce que MICA touche, on paie tout le monde pareil. Nous ne voulons pas teinter le rôle du conseiller.»

Daniel Guillemette affirme pour sa part que, dans les réseaux où les conseillers ont accès aux produits de l’externe tout en étant affiliés à des institutions financières, les taux de bonification seraient souvent supérieurs pour les produits maison.

«On parle de 170 % de bonification annuelle pour des produits maison et de 150 % pour des produits externes, souligne-t-il. Il y a aussi le fait que ton patron ne reçoit pas de rémunération si tu vends un produit externe, et que le réseau te forme sur les produits maison, mais ne met pas les ressources à ta disposition pour que tu te familiarises avec les produits externes. Il faut que ça cesse !»

«Ce n’est pas tout : il y a aussi le fait que les produits externes ne se qualifient parfois même pas dans le calcul pour avoir accès à des bonifications supplémentaires, ajoute Gino Savard. Tout est emboîté de façon complexe en ce qui concerne la vente de produits maison, mais c’est très clair : les représentants vont être rémunérés davantage pour vendre des produits maison.»

Ainsi, les programmes de participation aux bénéfices (commissions de contingence) sont souvent très exigeants sur les cibles à atteindre et peuvent influencer un intermédiaire quant au choix des produits ou de l’assureur à proposer à un client. Cette bonification peut représenter des montants importants.

Risque «élevé» : les concours de vente

D’autres types d’incitatifs, comme les concours de vente, représentent un risque élevé de conflits d’intérêts, selon le document de réflexion.

Ce type d’incitatifs est généralement lié à la vente d’un produit particulier, à une catégorie de produits ou à la performance du représentant. Ainsi, plus le représentant effectue de ventes d’un produit, plus il a de chances de participer au concours.

«Pour se qualifier à un congrès, à un voyage ou pour gagner des prix, un représentant pourrait être tenté de concentrer sa production à un seul endroit», souligne l’AMF. Les concours de vente sont un reliquat du passé, selon Daniel Guillemette, qui voudrait les voir disparaître une fois pour toutes.

«Ça devrait être banni. Pourquoi pense-t-on que les conseillers ont besoin de se faire balancer une carotte devant le nez pour avancer ? J’ai l’impression qu’on me prend pour un sans-dessein qui n’est pas capable de faire ce qu’il a à faire pour bien servir ses clients», s’indigne-t-il.

L’appartenance à des clubs sélects, l’attribution d’un titre, l’accès à une plateforme informatique ou à des logiciels ainsi que le référencement de clientèle sont des exemples d’autres avantages qui peuvent inciter les intermédiaires à augmenter leur chiffre d’affaires afin d’obtenir l’avantage qui en découle.

Dans le cas de l’attribution d’un titre, celui de directeur des ventes, par exemple, le client pourrait être porté à croire qu’il a été attribué au représentant en raison de sa compétence, selon l’AMF, qui juge que ces avantages représentent aussi un risque élevé de conflits d’intérêts.

Les intéressés peuvent soumettre leurs commentaires à l’AMF d’ici le 15 octobre 2017.