Les nouvelles lignes directrices (http://bit.ly/16HLyol) avaient notamment pour but de regrouper les versions antérieures, datées de 2003, des Lignes directrices sur les sanctions disciplinaires des courtiers membres et des Lignes directrices sur les sanctions disciplinaires dans le cadre des Règles universelles d’intégrité du marché. L’OCRCVM y a aussi vu l’occasion de réviser son guide de détermination des sanctions.

Carmen Crépin explique que l’OCRCVM passe ainsi à un régime basé sur des principes : «Nous avions un guide de sanctions très prescriptif, avec des minimums et des maximums. J’ai toujours été en faveur d’un régime basé sur les grands principes, car il donne plus de flexibilité.»

Le régulateur a notamment éliminé la fourchette des montants précis pour les amendes. «Dans certains cas, nous avions une échelle trop étroite, et dans d’autres, trop large. Je considère qu’il est à l’avantage des membres qu’on se permette d’offrir des contraventions plus basses dans certains cas», dit Carmen Crépin.

L’OCRCVM avait publié un document révisé pour commentaires en novembre 2013. L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM), RBC Dominion valeurs mobilières et RBC Placements en direct ont soumis leurs préoccupations. Le régulateur les a rendues publiques.

En ce qui concerne la fourchette des amendes, les intervenants ont reproché à l’OCRCVM de priver les membres d’un outil de référence pour jauger la jurisprudence afin de plaider pour une amende juste. Le régulateur a de son côté réfuté que le personnel voulait, quant à lui, régler «la fausse impression selon laquelle on peut déterminer les sanctions appropriées à l’aide d’une liste de contrôle».

L’ACCVM a aussi sourcillé devant le deuxième des neuf grands principes : «Les antécédents disciplinaires de l’intimé constituent un facteur aggravant et peuvent justifier des sanctions plus sévères que celles qui seraient imposées à l’intimé pour une première contravention.»

Selon l’OCRCVM, un antécédent disciplinaire «relatif à une contravention similaire ou identique» et «une conduite fautive différente» peuvent être pris en considération dans un processus disciplinaire, car ils pourraient démontrer un mépris général de l’intimé pour le respect de la réglementation ou pour le public.

L’ACCVM s’interroge quant à ce qui pourrait faire partie du dossier disciplinaire : «L’OCRCVM peut avoir émis des lettres d’avertissement sans que les allégations aient été évaluées devant une formation d’instruction». D’après l’ACCVM, seule la conduite reprochée dont une procédure disciplinaire découle devrait être comprise dans un dossier.

«Les lettres d’avertissement ne font pas partie du dossier disciplinaire de l’intimé», répond l’OCRCVM, qui n’a néanmoins pas précisé cet aspect dans les Lignes directrices définitives.

Carmen Crépin admet que le régulateur pourrait préciser ce point. «Pour moi, « antécédent disciplinaire » signifie « dûment documenté ». La lettre d’avertissement en est-elle un ? La question n’est peut-être pas tout à fait claire et demeure pertinente. Cela pourrait faire partie des choses que nous allons continuer à regarder», confie-t-elle.

On devra se livrer à une réflexion plus poussée sur le sujet, d’après Carolyne Mathieu, avocate au Cabinet de services juridiques : «L’intention derrière l’intégration d’une lettre d’avertissement [aux procédures disciplinaires] est intéressante, mais je crois qu’il faut faire attention de ne pas l’appliquer systématiquement.»

Selon elle, un membre sous enquête n’a pas nécessairement la liberté absolue d’être entendu, notamment parce que ce n’est pas lui qui choisit les questions auxquelles il répond, et parce que la procédure d’enquête est de type inquisitoire. Le membre n’est pas nécessairement préparé à se «défendre». Il est probable qu’il ne sera pas invité à ratisser plus large que ce qui lui est soumis. «Souvent, les gens ne comprennent pas le processus d’enquête et ils n’y sont pas préparés. Si l’avertissement qui découle de ce système est ultérieurement qualifié de « récidive » et injecté dans le système non plus inquisitoire mais contradictoire, cela présente un risque», indique-t-elle.

Carmen Crépin dit partager cette préoccupation : «Il faudrait avoir une disposition réglementaire claire. C’est notre opinion, et l’intimé n’a pas nécessairement eu l’occasion de la réfuter. Pour moi, la lettre, c’est peut-être plus une façon de régler des problèmes administratifs et de faire passer un message», précise-t-elle.

Les modifications aux Lignes directrices sur les sanctions remettent à l’ordre du jour un sujet de discorde entre les régulateurs et l’industrie, soit le chevauchement ou le dédoublement de justice.

«On ne sait pas exactement quels éléments sont inclus dans le dossier disciplinaire d’une personne inscrite qui détient plusieurs permis délivrés par des organismes de réglementation différents», écrivait justement l’ACCVM dans ses commentaires.

En réponse à l’ACCVM, l’OCRCVM expliquait que le dossier disciplinaire émanant d’un autre organisme de réglementation professionnel pourrait tout de même être considéré comme un facteur aggravant aux fins d’une audience sur les sanctions tenue par l’OCRCVM.

«Une telle situation pourrait se présenter si une personne inscrite a un dossier disciplinaire lié au secteur des valeurs mobilières, comme auprès d’une commission des valeurs mobilières provinciale ou auprès de la Financial Industry Regulatory Authority (FIRA) ou de la Securities and Exchange Commission (SEC)», a ajouté le régulateur.

Carmen Crépin confirme, par exemple, que l’OCRCVM peut inclure des décisions de la Chambre de la sécurité financière (CSF) au dossier.

«Cela existe déjà dans la loi. Le Code des professions édicte notamment qu’il est possible d’intégrer une décision rendue au criminel auprès de son ordre professionnel. Je trouve cela dangereux, parce que la norme de preuves n’est pas nécessairement la même d’un forum à l’autre. Si la décision intégrée au dossier de l’intimé émane d’un processus imparfait, c’est inquiétant», déplore Carolyne Mathieu.

Pour sa part, Marie-Elaine Farley, vice-présidente aux affaires juridiques et corporatives de la CSF, n’a pas été surprise des principes énoncés dans les lignes directrices de l’OCRCVM.

«De manière générale, elles soutiennent les mêmes principes que nous appliquons pour les sanctions disciplinaires. Ce sont des principes issus de la jurisprudence. En les lisant, on constate qu’ils sont applicables en matière de droit disciplinaire.»

Elle minimise d’ailleurs l’impact que peut avoir un guide avec des principes plus généraux sur les conseillers. L’OCRCVM doit émettre des directives qui visent plusieurs juridictions dans des provinces différentes et qui ne fonctionnent pas toutes de la même façon, rappelle-t-elle.

Oreille tendue

L’ACCVM et RBC ont aussi demandé plus de précisions quant à l’application des suspensions.

«Une suspension doit être considérée comme une sanction sévère uniquement dans les cas de contraventions graves. Les suspensions sont devenues monnaie courante et sont imposées à des intimés pour des contraventions moins graves», lit-on dans un résumé des commentaires reçus.

L’ACCVM et RBC veulent que l’OCRCVM reformule le cinquième principe pour spécifier qu’une suspension ne devrait être imposée que dans les cas de conduite fautive grave. Dans sa réponse, le régulateur dit que le personnel de l’OCRCVM «n’est pas d’accord pour dire que les suspensions sont devenues plus courantes ou qu’elles sont imposées dans des circonstances où elles ne sont pas justifiées» et ne montre pas l’intention de modifier son cinquième principe.

Cependant, Carmen Crépin admet que la perception de l’industrie ne la surprend pas. «Quand on regarde certaines de nos décisions des douze dernières années dans lesquelles la suspension était exigée, on constate que celles-ci étaient de plus en plus longues. C’est pourquoi nous avons mieux gradué les sanctions de suspensions», mentionne-t-elle.

Toutefois, si ces modifications ne sont pas suffisantes, Carmen Crépin n’est pas fermée à l’idée d’une revue de ce point.

Plusieurs autres critères sont abordés dans les nouveaux documents, qui comprennent notamment une Politique du personnel de l’OCRCVM, qui décrit plus concrètement la manière dont les règles sont appliquées. «Nous avons mis l’accent sur la qualification de ce qu’est la coopération proactive et exceptionnelle de l’intimé», dit Carmen Crépin.

Autre contradiction, l’OCRCVM y a vu une façon de simplifier sa méthode, mais l’ACCVM considère avoir perdu un outil pour évaluer ce qui pourrait constituer une mesure disciplinaire appropriée. Néanmoins, le régulateur canadien ne fait pas la sourde oreille aux commentaires de l’industrie et veut réduire la dissonance entre les parties.